2.3.1. Les effets psychologiques des stratégies linéaires et/ou adaptatives

L’une des premières mesures qualitatives de la déperdition d’énergie concerne la baisse de motivation. A ce sujet, plusieursétudes ont été développées ces dernières années, les principales s’inspirant des travaux de la philosophe Anna Arendt (voir en particulier les travaux de Dejours 65 (2000) ou de Kets de Vries 66 (1997)).

De nombreux indices laissent présumer que la dégradation de l’énergie dans les organisations provient d’une détérioration du contrat psychologique entre l’entreprise et l’employé.

La notion de contrat psychologique est apparue au début des années 1960 et a été introduite dans le champ du management par des auteurs tels que Levinson, Price, Munden, Mandl et Solley 67 (1962) ou Schein 68 (1965). Pour Morrison et Robinson 69 (1997) il peut être défini comme étant l’ensemble des croyances développées par un employé sur les obligations réciproques entre lui-même et l’organisation. Il existe donc autant de contrats que d’employés et chaque contrat est unique puisque son origine réside dans la subjectivité d’un individu particulier.

Cette notion de contrat trouve sa justification dans la vision taylorienne du travail qui stipule que la base du management scientifique est de récompenser les «bons travailleurs » et de renvoyer les autres. A travers le temps, la loyauté et l’implication des employés au travail ont été récompensées par la garantie d’un «travail à vie ». Cependant les évolutions récentes n’autorisent plus ce type de relation et le contrat psychologique se doit d’évoluer.

Cependant, il semble bien que, dans un environnement de plus en plus turbulent, les attentes respectives des entreprises et de leurs salariés soient de moins en moins claires. La mise en place, de la part des entreprises, de tactiques à court terme qui n'induisent pas toujours des résultats positifs, notamment au point de vue psychologique. Cela se traduit principalement par :

  • un manque de confiance dans l’encadrement
    « On ne nous fait pas confiance. Ici on est une boucane à poisson. On a des murs neufs mais on garde l'esprit et le climat d'avant. On n'évolue pas. » (Entité A - Encadrement)
    « Si une ouvrière dit que quelque chose ne va pas sur la chaîne, c'est mal pris, mal interprété par les chefs. Cela crée des tensions entre les ouvrières et les chefs » (Entité B - Personnel De Base)
  • une ambiance de travail dégradée
    « Avec l'ambiance de travail qui règne, je ne viens pas travailler avec le sourire. Il y a trop de préférences au niveau du personnel. » (Entité A - Personnel De Base)
    « L'ambiance est plus ou moins bonne. Au niveau des ateliers, il y a des problèmes de communication à cause de conflits de génération » (Entité B - Encadrement)
  • un manque d’entraide entre les personnes
    « Il n'y a plus d'entraide. Il y a eu une période où on était main dans la main, mais ensuite on nous laissait nous débrouiller tous seuls. Cela a du mal à se débloquer » (Groupe - Encadrement)

La traduction pragmatique au niveau de l’organisation prend la forme d’une évaluation financière des pertes d’énergie. La contribution horaire à la marge surcoûts variables 70 dans l’une des entités dans laquelle nous sommes intervenus était de 87 francs. Ce niveau extrêmement faible et inquiétant n’avait jamais été rencontré par le laboratoire de recherche en vingt-quatre années d’exercice. La CHMCV mesurant la valeur ajoutée d’une heure de travail, se trouve ainsi révélée la faible productivité existant dans cette entité.

D’autre part, la direction n’a pas fait comprendre que son projet était un projet industriel durable, alors que les esprits sont encore fortement imprimés par des représentations idéologiques telles que l’impression que de riches capitalistes ont débarqué dans l’entreprise.

En parallèle, le personnel ne semble pas avoir pris conscience de l’investissement consenti par la direction pour redresser l’entreprise et semble peu enclin à maintenir son effort. De plus, l'ensemble du personnel estime que l’ambiance de travail est perturbée par l’existence de clans et de conflits de génération. Au quotidien, le manque de coopération et d’entraide, les jalousies et un sentiment de déconsidération concourent à cette perturbation.

Tout cela se traduit par une remise en cause dans le long terme des stratégies affichées, puisque au jour le jour, les actions mises en œuvre n’obtiennent pas la cohésion nécessaire à l’atteinte des objectifs stratégiques. Cela se constate à travers:

  • l’absence d’objectifs communs à atteindre
    « On a beaucoup de difficultés à changer les membres des équipes car il y a un manque de solidarité au sein de la société » (Entité A - Encadrement)
  • la déresponsabilisation du personnel
    « Si les chefs d'équipe ne sont pas en permanence derrière certains opérateurs, le travail est mal ou pas fait. » (Entité A - Encadrement)

Bien qu’annonçant des perspectives à long terme, les entreprises sont davantage préoccupées par la recherche de rentes de type monopolistiques à court terme et ignorent l'effet social (démotivation, surcoût social, transfert de rentes) que ces stratégies peuvent induire.

L’analyse en terme de surplus cherche à évaluer les surplus de différents types d’acteurs. Pour déterminer ces derniers, il convient à partir de données économiques, de retrouver les courbes d’offre et de demande d’un produit. Nous obtenons alors le schéma suivant :

Figure 2.5.: Surplus du consommateur
Figure 2.5.: Surplus du consommateur

Il est ensuite possible de définir :

  • A= surplus du consommateur mesuré par sa disposition à payer
  • (espace délimité par la courbe de demande et la ligne de prix)
  • B= surplus du consommateur mesuré par la différence entre ses coûts totaux et P0 (espace délimité par la courbe d’offre et la ligne de prix)

Si la productivité chute 71 suite à un problème de motivation par exemple et que l’on se trouve en concurrence pure et parfaite (le producteur ne pouvant pas influencer le prix de son bien) le résultat suivant apparaîtra :

Figure 2.6. : variation des surplus
Figure 2.6. : variation des surplus

La perte sociale est donnée par :

  • La réduction du bien-être du consommateur (perte du triangle B)
  • La réduction du bien-être du producteur (perte des zones C, D)

Notes
65.

Dejours C., 2000, Souffrance en France, points Seuil, 225 p

66.

Kets de Vries et Balazs ,1997, the Downside of Downsizing, Human relation, Vol 50 n°1

67.

Levinson, Price, Munden, Mandl et Solley, 1962, Men, management, and mental health, Harvard university Press

68.

Schein ,1965, Organizational psychology, Prentice Hall

69.

Morrison et Robinson, 1997, When employees feel betrayed : a model of how psychological contract violation develops, Academy of Management Review, Vol 22 n°1 p226-256

70.

Pour une explication détaillée de la CHMCV voir Savall H. et Zardet , V.,1997, Un indicateur de veille stratégique de la création de valeur : la contribution horaire à la valeur ajoutée sur coût variable ou marge sur coût variable, Congrès des IAE, Nantes,

71.

Cette chute de productivité, correspond à une hausse des coûts de production pour le producteur.