3.3.2. Les limites de la définition classique

Nous constaterons dans un premier temps que la définition classique de la proactivité prend appui sur une vision agressive dont l’effet sur l’environnement peut être destructeur : ce dernier devant être contrôlé de façon forte pour le faire plier sous la pression de l’entreprise. Si cette acception est envisageable pour des entreprises considérées commeleader sur leur marché, nous pouvons nous interroger sur la capacité de celles qui ne détiennent pas cette position à développer des stratégies proactives.

Cet acte d’agression est souvent perçu comme l’un des facteurs de succès expliquant la réussite stratégique. Un parallèle est souvent établi entre la notion de proactivité et celle de l’avantage concédé à l’attaquant. Or dans ce cas précis, la réussite de la stratégie n’est pas due à l’attaque en elle-même, mais plutôt à l’effet de surprise qui lui est directement rattaché. Autrement dit, cet avantage relève plus de la tactique que de la stratégie pure. L’effet de surprise dérive d’une adéquation entre un espace temps et une configuration de données qui confère à une situation un potentiel non reconductible qu’il faut utiliser sur-le-champ.

Définir la notion de proactivité par rapport à une agression, par rapport à une attaque revient à la définir de façon négative par opposition au comportement de certains acteurs. Cette perspectiveuniquement centrée sur celle de l’avantage de l’attaquant ne prouve qu’une chose : le défenseur n’a pas été proactif, il n’a pas été à l’écoute de son environnement et n’a pas perçu que la situation pouvait se retourner contre lui. Cela ne permet, en aucun cas, de définir la proactivité. L’attaquant, quant à lui, n’a pas été davantage proactif, il a profité d’une ouverture, d’un moment favorable,d’une opportunité. Si la proactivité n’est pas complètement déconnectée de la notion d’opportunisme, nous ne pensons pas pour autant que cette dernière en constitue la donnée fondamentale.

Nous nous intéresserons maintenant à des définitions plus précises de la proactivité. Les arguments avancés Chalus 100 (2000) ne nous ont pas convaincus qu’ils étaientspécifiques à la conduite de stratégies proactives. En effet, l’allocation judicieuse de ressourcesdevrait systématiquement (même si ce n’est pas toujours le cas dans la pratique) faire partie intégrante du processus de définition d’une stratégie qu’elle soit linéaire, adaptative ou proactive. Si nous nous reportons à la définition classique de la stratégie mentionnée dans le premier chapitre, nous voyons bien que cette allocation est l’un des principes basiques de la stratégie en général.

D’autre part, la notion de temps retenu par Chalus est calée principalement sur la vitesse. Or, pour nous,la notion de vitesse est typiquement révélatrice d’une conduite réactive. Lorsque nous parlons de vitesse, nous oublions trop souvent qu’il s’agit de vitesse de réaction.

Quant au processus d’apprentissage, il est approché par cet auteur sous l’angle des capacités d’adaptation (stratégique, au marché, aux réglementations du côté externe, et organisationnelle, sociologique du côté interne, enfin socio-politique en général). Or, l’adaptation n’est une composante de la proactivité que dans la mesure où cette adaptation s’accomplit à un moment spécifique : avant le changement dans l’environnement. Ce n’est pas parce qu’une entreprise s’adapte qu’elle est pour autant proactive.

Nous retiendrons tout de même que cet auteur attache à l’innovation, en tant qu’outil pouvant servir à la mise en place d’une stratégie proactive, une importance que nous jugeons tout à fait justifiée.

Si nous nous penchons maintenant sur l’analyse faite par Lavallette et Niculescu, nous devons noter dans un premier temps que leurs propositions concernent un processus de production de stratégie proactive. Il nous faut alors constater que ce dernier concerne la définition stratégique. Il ne nous semble guère différent des processus de mise en œuvre des stratégies linéaires. Les auteurs reconnaissent eux-mêmes que leur définition de la proactivité s’articule avec la notion de réactivité. Pour notre part, nous sommes pourtant persuadés qu’il serait judicieux de faire une distinction entre ces deux plans, qui a priori s’opposent. De plus, ce processus s’applique à la majorité des démarches de changement et n’offre pas de particularités propres à une approche proactive de l’environnement.

En bref, d’un point de vue théorique, le terme de proactivité s’applique à des types de stratégies différentes et il nous semble nécessaire de définir plus avant cette notion en nous intéressant à ses composantes intrinsèques.

Notes
100.

Chalus M.C. (2000) , Dynamisation du dispositif de veille stratégique pour la conduite de stratégies proactives dans les entreprises industrielles, op.cited.