4.3.3. Langage littéral et langage métaphorique

Nous venons de voir qu’il existait différents moyens d'utiliser le langage pour définir un concept. C’est principalement lors de la phase d’encodage d’un message, et donc de la formalisation d’un modèle, que nous sommes tentés d’utiliser un langage métaphorique. Pour Bouveresse 148 (1998), dans la métaphore, la dénomination de la notion se charge d'un sémantisme et peut conduire à l'équivoque puisque le décodage permet une analyse personnelle variant suivant le schéma cognitif de chaque personne. Pour Morgan 149 (1986), c'est par le langage imagé que les individus construisent le sens de leurs actions. Le rôle que joue la métaphore dans cette construction doit donc être un objet de recherche. De plus, comme le rappelle Travers 150 (1996), les métaphores sont un mécanisme d’encodage de la connaissance et sont chargées à ce titre d’une fonction particulière dans le développement de nouvelles théories managériales.

Pour notre part, nous pensons que dans le cadre d’une stratégie de communication, l’approche littérale est à privilégier dans la phase de formalisation en vue d’une diffusion plus efficace ; le langage métaphorique, quant à lui, étant davantage approprié à un processus de définition et de recherche de sens. Cependant, il faut noter que si le langage littéral permet de réduire le sémantisme introduit par les métaphores, il suppose des fondations communes de connaissances entre le chercheur et le public à qui il s’adresse. Bien que nous soyons proches de Tsoukas 151 (1991), lorsqu’il déclare que les métaphores sont utiles pour capturer un flux d’expérience dans les premières étapes du développement d’un langage littéral, nous sommes persuadés que le rôle des métaphores ne se limite pas à cette amorce.

Hill et Lavenberg 152 (1995) rappellent que la nature imparfaite des métaphores agit comme un stimulus à l’action en encourageant la flexibilité cognitive et l’adaptation au changement car elles dirigent l’attention vers l’apprentissage et le processus de développement plutôt que vers les hypothèses, qu’une analyse plus rationnelle aurait retenues comme nécessaires avant toute action. Bien qu’imparfaites, les métaphores sont même pour certains auteurs 153 capables de rendre une situation moins ambiguë et plus compréhensible pour les acteurs. En bref, lorsque le recours à la métaphore est explicite, «(elle) …est alors délibérément employée pour ses vertus heuristiques ou, à la limite, considérée comme partie intégrante d'un processus de production de connaissance sur les organisations ». 154

Comme le soulignent Pinder et Bourgeois 155 (1982) le langage littéral sera donc favorisé par les positivistes qui cherchent à éliminer les métaphores du processus de définition. Les constructivistes sélectionnent l’usage des métaphores afin de passer de la résolution de problèmes (recherche d'une seule vérité) à la recherche de sens (explications possibles de la réalité). Pour Srivastva et Barret 156 (1988), le langage métaphorique est supérieur au langage littéral car il permet de capturer les expériences et les émotions mais aussi car il véhicule un transfert d’informations dans des intuitions complexes et ambiguës, là où le langage littéral n’a aucun effet.

Dans le cadre de la gestion, Weick 157 (1989) souligne que les métaphores ne sont pas uniquement des belles phrases destinées à conquérir un public mais bel et bien un des rares instruments pour décrire une réalité complexe.

Morgan va encore plus loin en introduisant la notion de métaphore morte ou oubliée. Il affirme ainsi que le langage littéral lui-même dérive de métaphores que nous avons oubliées et qui se sont transformées en des outils de définition traditionnels et bien acceptés scientifiquement.

Ce chapitre nous a permis de développer notre positionnement épistémologique et de présenter nos modes d’interventions sur le terrain. Nous nous sommes ensuite interrogés sur le mode de production de connaissance en science, et en science de gestion en particulier. Nous avons tout spécialement étudié le rôle que pouvait jouer le langage dans le processus de production de connaissance et avons plus particulièrement tourné notre attention vers le langage métaphorique. Il nous semble maintenant important d’analyser en profondeur le rôle que peuvent revêtir les métaphores en sciences de gestion et plus précisément dans le cadre de la définition du concept de proactivité.

Notes
148.

Bouveresse J., 1998, Le monde de l’éducation, janvier

149.

Morgan , G., 1986, Images of organizations, Beverly Hills, CA :Sage

150.

Travers, M ; 1996 ; Theories of metaphors, www.media.mit.edu/people/mt/diss/index.html

151.

Tsoukas, H.,1991, The missing link : a transformational view of metaphors in organizational science, Academy of management Review, 16, n°3, 566-585

152.

Hill, R.C., et Levenhagen, M, 1995, Metaphors and Mental Models : Sensemaking and Sensgiving in Innovative and Entrepreneurial Activities, Journal of management 21(6) :1057-1074

153.

Voir en particulier Lundin, R. A .et Sonderholm, A., A theory of the temporary Organization, Scandinavian Journal of management 11(4) : 437-455

154.

Desreumaux A ; 1998, Théories des organisations, op cited

155.

Pinder, C.C., et Bourgeois, V.W., 1982, Controlling tropes in Administrative Science, op cited

156.

Srivastva, S & Barret, F.J., 1988, The transforming nature of metaphors in ground development : a study in group theory. Human Relations, 41 : 31-64

157.

Weick, K.E.,1989, Theory construction as a disciplined imagination. Academy of Management Review, 14 p.516-531