5.1.2. Métaphores et définition de concepts

Nous pensons que les métaphores constituent un outil possible de définition de concepts. Selon Lakoff et Johnson 171 (1995) la métaphore n'est pas conçue comme un simple discours figuratif mais comme l'un des plus importants modes de compréhension du monde, c'est-à-dire un processus par lequel est compris et structuré un domaine. Ces auteurs spécifient que derrière toute métaphore linguistique, se dessine une métaphore conceptuelle, qui va guider la structuration d’un domaine, d’une idée ou d’un concept. Ils postulent même que les concepts métaphoriques qui guident la majorité de nos activités (processus de prise de décision, allocation du temps, e.t.c.) structurent notre réalité. Ils sont en cela rejoints par des auteurs tel que Travers 172 (1996).

Pour Wacheux 173 (1996), le raisonnement analogique, et donc métaphorique, est une méthodologie innovante de rupture et permet, à ce titre, des avancées en sciences de gestion. Pour Desreumaux 174 (1998) cette méthode peut s’appliquer tantôt à la saisie de l'organisation en elle-même, tantôt à l’examen plus circonscrit de l'une de ses pratiques ou de l'un de ses processus vitaux.

Les métaphores sont traditionnellement utilisées pour permettre une grande variété d’analyses (Palmer et Dunford 175 (1995)) et on les retrouve dans différents modèles (voir en particulier le Macroscope de De Rosnay 176 (1975)), modèles qui privilégient une approche transdisciplinaire, filtrant les détails, amplifiant ce qui relie différentes méthodes, faisant ressortir ce qui les rapproche. Certains auteurs insistent sur le fait que l’utilisation des métaphores permet de dépasser l’analyse paradigmatique et fusionne des domaines qui semblent, à priori, mutuellement exclusifs :

  • C’est ainsi que Barley et Kunda 177 (1992) avancent l’idée d’une synthèse des courants idéaliste et matérialiste : les idéalistes privilégiant une analyse de la métaphore en elle-même alors que les matérialistes s‘attacheraient plus au contexte.
  • Pour Palmer et Dunford 178 (1996), l’utilisation de métaphores permet une approche à la fois etic et emic (nuance entre la science de la substance et celle de la forme),. C’est d’ailleurs la méthode retenue par Morgan, comme le soulignent Boje et Summers 179 (1994).

Pour Tsoukas 180 (1993) les métaphores et les analogies libèrent l’imagination, attirent l’attention sur des conceptions alternatives de la réalité, en mettant l’accent sur certaines propriétés de cette dernière, et en guidant les actions en conséquence.

En fait, les métaphores transfèrent à un domaine cible un ensemble de propriétés explicatives provenant d'un domaine source. Pour un grand nombre d’auteurs (Le Roy 181 (1999), Granger 182 (1987), Travers 183 (1996)), le rôle d'une métaphore est de créer une représentation d'un domaine en fonction des modèles formalisés dans un autre domaine. La confirmation en est donnée par Tsoukas 184 (1991) lorsqu’il dit queson rôle (la métaphore) consiste en un transfert global d'information d'un domaine relativement bien connu (domaine source) dans un nouveau domaine peu étudié (domaine cible). Le transfert métaphorique est, par nature, une relation non conventionnelle : il revient à conceptualiser un élément de l'environnement cible en référence à un concept issu d'un modèle source. Pour Delattre 185 (1990), la métaphore met en correspondance deux éléments placés chacun de leur côté, dans un environnement défini de manière très globale. L’intérêt de la métaphore est donc de créer du sens et de rechercher des solutions grâce à la richesse du domaine auquel elle renvoie (Getz 186 (1994)). Cependant pour Black 187 (1962) il existe une interrelation entre le domaine source et le domaine cible et le sens crée dérive de cette interaction.

Travers 188 (1996) avance même que certaines métaphores structurent le domaine cible et ne se contentent pas de tisser des liens entre les concepts et le vocabulaire utilisé dans chaque domaine.

Boyd 189 (1993) adhère à cette position en spécifiant que les métaphores :

  • Créent le vocabulaire nécessaire pour décrire le domaine cible,
  • Créent des liens entre le domaine cible et le domaine source.

En nous basant sur ce qui précède, nous proposons de démontrer que les stratégies proactives peuvent être définies à partir de métaphores issues du domaine militaire et de l’univers des arts martiaux. Selon Martinet 190 (1990), il existerait un cadre fondamental commun au management stratégique des entreprises et à la stratégie militaire. De même James 191 (1984) affirme l'existence de similarités très fortes entre les contextes (militaires et monde des affaires), puis pour chacun des concepts militaires qu'il applique, il a recours à une multitude d'exemples afin d’en démontrer la pertinence. Enfin, pour Le Roy (1999), les déterminants stratégiques entre les deux domaines sont communs. Mais avant de nous lancer plus avant dans la définition de la proactivité en utilisant des métaphores, il nous semble judicieux de nous interroger sur la validation scientifique d’un tel procédé.

Notes
171.

Lakoff, G et Johnson, M, 1980,1995, Metaphors we live by, Chicago, University of Chicago Press

172.

Travers, M ; 1996 ; Theories of metaphors, www.media.mit.edu/people/mt/diss/index.html

173.

Wacheux, F., 1996, Méthodes qualitatives et Recherche en gestion, Paris , economica

174.

Desreumaux, A., 1998, Théories des organisations, Paris , Editions Management Sociétés

175.

Palmer, I., et Dunford, R., (1996), Conflicting uses of metaphors : reconcepualizing their use in the field of organizational changes, op cited

176.

De Rosnay, J., 1975, Le macrocosme - vers une vision globale ,Paris, Editions du Seuil

177.

Barley, S.R.et Kunda, G., 1992, Design and devotion : Surges of rational and normative ideologies of control in managerial discourse. Administrative Science Quaterly, 37 : 363-399

178.

Palmer, I., et Dunford, R., 1996, Conflicting uses of metaphors : reconcepualizing their use in the field of organizational changes, op cited

179.

Boje, D.M., & Summers, D.J., 1994, Review of the book Imaginization : the art of creative management, Administrative Science Quaterly, 39 : 688-690

180.

Tsoukas, H., 1993, Analogical Reasoning and knowledge generation in organization theory, Organization studies 14(3) :323-346

181.

Le Roy F , 1999, Stratégie militaire et management stratégique d’entreprise ; op cited

182.

Granger, G, 1987, Leçon inaugurale, Chaire d’épistémologie comparative, Collège de France, Paris

183.

Travers, M ; 1996 ; Theories of metaphors, www.media.mit.edu/people/mt/diss/index.html

184.

Tsoukas, H.,1991, The missing link : a transformational view of metaphors in organizational science, Academy of management Review, 16, n°3, 566-585

185.

Delattre, .P ,2000, Analogie, Encyclopaedia Universialis, Paris, 258-263

186.

Getz, I.,1994, Système d’information : l’apport de la psychologie cognitive, Revue Française de Gestion, Juin 92-107

187.

Black, M., 1962, Models and metaphors, op cited

188.

Travers, M ; 1996 ; Theories of metaphors, www.media.mit.edu/people/mt/diss/index.html

189.

Boyd, R., 1993, Metaphor and theory of change : what is « metaphor » a metaphor for ?, Metaphor and Thoughts, A Ortony. Cambridge, Cambridge University Press

190.

Martinet A.C., 1990, Epistémologie de la stratégie, Epistémologie et gestion, Economica Paris

191.

James B.G. 1984, Business Wargames, Abacus Press, Trundbridge Well