5.1.3. Métaphores et validation scientifique

La première constatation à laquelle nous parvenons est que l'utilisation de métaphores venant des sciences sociales a été largement pratiquée en management, même si elle reste sujette à caution (Desreumaux 192 (1998)).

Les principales oppositions aux métaphores s’inscrivent dans une tradition occidentale, qui de Platon à Heidegger, considère la phase de verbalisation comme une malheureuse nécessité. Les écrits de March et Simon 193 (1958), dévaluant le rôle de la métaphore, reflètent bien cet état d’esprit.

A contrario, pour certains auteurs épistémologiques, les métaphores représentent un outil qui peut permettre à la fois de créer un nouveau vocabulaire mais aussi d’avoir accès à des schémas mentaux plus vastes. Pour Nonaka et Ymanouchi 194 (1989) par exemple, les métaphores sont des schèmes qui aident à réduire l’équivocabilité et qui permettent, à l’intérieur même d’une organisation, d’articuler et de solidifier l’infrastructure. Pour Weick 195 (1989) la vie organisationnelle serait davantage orientée vers l’interprétation, l’intellect, les métaphores et la recherche de sens que vers la prise de décisions ou l’adaptation à l’environnement.

Rogers 196 retient ce point de vue lorsqu’il invoque les raisons d’établir un parallèle entre la stratégie militaire et la stratégie d’entreprise. Pour cet auteur, cinq motifs sont susceptibles de favoriser ce rapprochement :

Ceci nous incline à penser que les métaphores sont porteuses de sens si elles sont utilisées de façon non prescriptive mais uniquement explicative.

Comme le rappellent Pinder et Bourgeois 197 (1982), l’utilisation des métaphores permet :

Si la recherche d'explication passe par une phase métaphorique obligatoire, ces métaphores doivent être considérées comme un outil de définition et non comme la définition même. Selon Getz 198 (1984) la métaphore fait partie de la démarche scientifique (qui a pour objectif une description littérale de la réalité), et selon certains auteurs (Lakoff et Johnson 199 (1980)) elle en constitue même l'essence, car toute description scientifique est métaphorique. L’utilisation de métaphores est nécessaire au processus de production de sens comme le note Weick 200 (1989) car elles permettent de filtrer, structurer et rendre tangibles les problèmes.

Les développements actuels, en renforçant le chaos et l’instabilité de l’environnement, favorisent même ce type d’analyse pour certains auteurs (Gleick 201 (1988)). Cependant, nous pensons que les métaphores ne sont qu’un outil et que comme tout bon outil, il se doit d’être maîtrisé. Nous allons maintenant mettre en avant certaines limites à l’utilisation des métaphores et essayer de comprendre comment elles doivent être utilisées en sciences de gestion pour produire un modèle théorique cohérent et fondé sur des bases épistémologiques solides.

Notes
192.

Desreumaux A ; 1998, Théories des organisations, op cited

193.

March, J. G., & Simon, H.A., 1958, Organizations, New York, Wiley

194.

Nonaka, I., et Ymanouchi, I ; 1989, Managing innovation as a self-renewing process, Journal of business venturing 4,5 : 299-315

195.

Weick K.E, 1989, Theory construction as disciplined Imagination, Academy of Management Review, 14, 4, pp.516-531

196.

Rogers D, 1988, Les stratégies militaires appliquées aux affaires First Paris

197.

Pinder, C.C., et Bourgeois, V.W., 1982, Controlling tropes in Administrative Science, Administrative Science Quaterly, 27, n°4, 641-652

198.

Getz, I.,1994, Système d’information : l’apport de la psychologie cognitive,

199.

Lakoff, G et Johnson, M, 1980, Metaphors we live by, Chicago, University of Chicago Press

200.

Weick K.E., 1989, Theory construction as disciplined Imagination, op.cited.

201.

Gleick, J., 1988, Chaos, London, Sphere