5.3.1. L'analyse paradigmatique

Un paradigme se compose de deux volets différents. Le premier est d’ordre sociologique et définit l’appartenance à un groupe ainsi qu’une vision partagée dans certaines croyances. Le second est d’ordre épistémologique et correspond à un contenu exemplaire et reconnaissable par tous les membres du groupe. Le paradigme est une «méta-théorie» à laquelle s’attache un ensemble de théories gravitant autour d’un corpus de croyances partagées.

En 1979, Burell et Morgan 211 ontidentifié quatre paradigmes majeurs :

  • l’humanisme radical,
  • le structuralisme radical,
  • la sociologie interprétative,
  • la sociologie fonctionnaliste.

Chaque paradigme est spécifique des théories qui s’y rattachent et ne peut appartenir à un autre paradigme.

Le principal obstacle à l’utilisation des métaphores est d’ordre épistémologique et renvoie à l’incommensurabilité des paradigmes ( Desreumaux 212 (1998).)

Pour Travers 213 (1996) les métaphores peuvent contenir des oppositions hiérarchisées qui classifient les phénomènes organisationnels en catégories, centrale ou marginale, suivant qu’ils appartiennent ou non à un paradigme donné. L’analyse paradigmatique prône l’utilisation soit d’une seule métaphore soit d’un ensemble de métaphores issues d’un même milieu. L’incommensurabilité des paradigmes conduirait donc au rejet de l’utilisation de métaphores variées pour analyser l’organisation. Certains auteurs contournent cependant le problème. Pour Mardsen 214 (1993), il est important de comprendre que cette notion d’incommensurabilité ne doit pas conduire à un refus de comparabilité.

Les métaphores le plus souvent utilisées en gestion proviennent des sciences dites dures. Pour Laborit 215  (1974), l’observation de certains faits biologiques révèle des lois structurales qui semblent valables dans tout le domaine du vivant. Cependant nous devons aussi noter que les sciences humaines ont parfois servi de domaine source. Ce fut par exemple le cas pour la théorie des gaz de Boltzmann, fondée sur des lois statistiques de comportement de populations humaines.

Ceci d’autant plus que les paradigmes évolueraient dans le temps et privilégieraient une analyse donnée à un moment donné. Selon Choi 216 (1993), la stabilité des paradigmes ne veut en aucun cas dire, qu’après avoir été optimaux à une époque, ils ne deviendront pas sub-optimaux à une autre période.

L'analyse paradigmatique, en créant des zones délimitées non perméables, n’autorise les métaphores que dans un cadre strictement défini et cohérent. (Garud et Kotha 217 (1994). Pour un ensemble d’auteurs, tels que Ghostal et Mintzberg 218 (1994), Plant 219 (1987) ou Duck 220 (1993), et bien qu’appliquée à des domaines organisationnels différents, seule une métaphore spécifique permet d’analyser l’objet de l’étude. Même s’ils reconnaissent que des métaphores différentes apportent un éclairage particulier, ces auteurs stipulent qu’un seul domaine source doit être utilisé notamment pour stimuler la consistance interne de l’analyse et donner une image cohérente de l’organisation étudiée (Sinclair 221 (1994)). Ils estiment que l’usage de métaphores multiples, dérivant de domaines sources divers, peut entraîner deserreurs de perceptions, d’analyse et de compréhension qui empêchent de cerner la nature de l’objet de l’étude, c’est à dire du domaine cible (Reed 222 (1990)).

L’apparition de métaphores variées appliquée à un domaine cible impliquerait même l’éclatement du champ de la théorie des organisations (Desreumaux 223 (1998)). Cette explication ne remet pas forcément en cause la notion d’incommensurabilité des paradigmes, mais suggère plutôt le passage d’un paradigme à un autre. Afin de progresser dans notre démarche, nous témoignerons dans le paragraphe suivant de la diversité des métaphores utilisées pour analyser les organisations.

Notes
211.

Burell, G., & Morgan, G., 1979, Sociological paradigms and organizational analysis.

212.

Desreumaux A ; 1998, Théories des organisations, op cited

213.

Travers, M ; 1996 ; Theories of metaphors, www.media.mit.edu/people/mt/diss/index.html

214.

Mardsen, R, 1993, The politics of organizational analysis, Organizational studies, 14 : 93-124

215.

Laborit, H., 1974, La nouvelle grille, Paris, Folio Essais

216.

Choi, Y.B., 1993, Paradigms and conventions : uncertainty, decisionmaking, and entrepreneurship. Ann Arbor, University of Michigan Press

217.

Garud, R., & Kotha, S., 1994, Using the brain as a metaphor to model flexible production system, Academy of Management review, 19 :671-698

218.

Ghostal, S., & Mintzberg, H., 1994, Diversification and diversifact, California Management review, 37(1) :8-27

219.

Plant, R., 1987, Managing change and making it stick. England, Gower

220.

Duck, J.D., 1993, Managing change : the art of balancing, Harvard Business Review, 71(6) :109-118

221.

Sinclair, J., 1994, React to what ? Journal of Organizational Change Management 7(5) : 32-40

222.

Reed, M., 1990, From paradigms to images : the paradigm warrior turns post-modernist guru, Personnel review, 19(3)35-40

223.

Desreumaux A ; 1998, Théories des organisations, op cited