5.3.2. Analyse multicritère

L’utilisation de plusieurs métaphores issues de domaines sources variés pour analyser un domaine cible unique trouve sa justification dans le fait que cette méthode permet une analyse plus fine, car multicritère, de l'organisation ou des concepts à définir. C’est la position d’un certain nombre d’auteurs, parmi lesquels se trouvent Sackmann 224 (1989), Aaltio-Marjosola 225 (1994) et Morgan 226 (1986). La faible formalisation des métaphores ainsi que leur variété engendre des ruptures paradigmatiques, contribuant ainsi à régénérer des disciplines qui demeureraient sinon enfermées dans leur cadre analytique. Leur argument principal est que l’utilisation d’une métaphore spécifique ne peut pas représenter toutes les facettesfigurant la complexité du monde organisationnel. L’usage de métaphores multiples aide, au contraire, à comprendre les réalités organisationnelles alternatives qui existent en parallèle, notamment au cours des périodes de changements organisationnels (Palmer et Dunford 227 (1996)).

En attirant l’attention sur la notion d’opportunisme dogmatique, Lakoff et Johnson 228 (1980), dénoncent le risque de la dominance d’un paradigme sur un autre, en insistant sur les erreurs d’interprétation potentiellement induites, mais aussi sur les implications sociales et politiques qui pourraient s’avérer faussées, car niant l’existence de réalités cognitives alternatives.

A l’inverse de l’approche positiviste (à savoir la recherche d’une seule vérité et d’une rationalité scientifique sans faille), cette position conduit à façonner une vérité construite à travers des schémas de référence variés et subjectifs (Weick 229 1989, Jackson et Carter 230 (1991)).

En s’appuyant sur cette hypothèse, l’analyse organisationnelle doit alors recourir àdes métaphores multiples pour produire un ensemble de connaissances et d’interprétations possibles de la réalité. Cependant, comme le souligne Giddens 231 (1979, 1990), cette approche n’est pas forcément synonyme d’un positionnement ontologique nominaliste. La diversité des métaphores peut être cohérente avec un positionnement ontologique de type réaliste, car leur sélection est dépendante de l’espace et du temps.

Afin de dépasser ces conflits, Desreumaux 232 (1998) propose le triptyque suivant pour bâtir une stratégie :

Dans le cadre de notre recherche, nous adopterons cette dernière solution qui nous semble la plus appropriée. Poser la suprématie d’une conception sur une autre nous paraît loin de l’objectif de validation scientifique que nous nous proposons d’atteindre. Une véritable synthèse ne peut être obtenue qu’après des années d’observations et d’études des organisations et nous ne disposons pas du temps nécessaire dans le cadre de cette recherche. Nous partirons donc du principe que dans le cadre de l’analyse stratégique des organisations, et en vue d’aboutir à une définition de la proactivité, l’utilisation de métaphores provenant des arts martiaux est de nature à favoriser une approche originale et créatrice de valeur ajoutée dans le champ des sciences de gestion.

Notes
224.

Sackmann, S., 1989, The role of metaphors in organization transformation. Human Relations, 42 : 463-485

225.

Aaltio-Marjosola, I., 1994, From a « grand story » to multiple narratives ?, Journal of Organizational Change Management, 7(5) : 56-67

226.

Morgan , G., 1986, Images of organizations, op cited

227.

Palmer, I., et Dunford, R., 1996, Conflicting uses of metaphors : reconcepualizing their use in the field of organizational changes, op cited

228.

Lakoff, G et Johnson, M, 1980, Metaphors we live by, Chicago, University of Chicago Press

229.

Weick, K.E.,1989, Theory construction as a disciplined imagination. Academy of Management Review, 14 : 516-531

230.

Jackson, N., & Carter, P., 1991, In defense of paradigm incommensurability, Organizational studies, 12 :109-127

231.

Giddens, A, 1979, Central problems in social theory : Action, structure and contradiction in social analysis, London : Macmillan

Giddens, A., 1990, The consequence of modernity. Stanford, CA : Standford University Press

232.

Desreumaux A ; 1998, Théories des organisations, op cited