5.3.3. Validation des modèles métaphoriques

Si nous reconnaissons la valeur des métaphores dans le cadre d’un processus de construction scientifique et de communication de résultats scientifiques, nous tenons cependant à souligner, qu’en aucun cas, leur utilisation n’est exclusive de la phase empirique qui doit permettre de tester le modèle proposé. Trop souvent, l'utilisation de notions et concepts empruntés aux sciences dites dures confère un semblant de validation scientifique. Notre aptitude à modéliser nos connaissances s’entache d’un déplacement de la validation scientifique. La valeur d’un modèle ne devrait pas, à notre sens, être uniquement testée sur les capacités de modélisation (comprendre ici modélisation au sens de passage à un langage littéral). Selon Jullien 233 (1996) «cette modélisation, nous sommes tentés de l'étendre à tout, elle dont le principe est la science ; car on sait bien que la science (européenne, du moins la science classique) n'est elle-même qu'une vaste entreprise de modélisation (et d'abord de mathématisation), dont la technique, comme application pratique, en transformant matériellement le monde, est venue attester l'efficacité ».

Chaque auteur partisan des métaphores admet d’ailleurs, le plus souvent implicitement, que le transfert ne peut être que partiel. L’utilisation de formules mathématiques provenant d’un transfert métaphorique a souvent pour effet d’opérer un changement dans le champ de validation. Cette dernière ne va plus porter sur le modèle en lui-même mais plutôt sur sa communication et sa présentation.

C’est pourquoi nous pensons qu’il est important de dissocier au moins trois phases :

Ces trois phases étant perméables, des itérations successives sont envisageables et même souhaitables. Les métaphores jouent un rôle particulier dans la première et la dernière phase, la deuxième devant être à notre avis plus particulièrement réservée à la validation empirique.

Selon Le Roy 234 (1999) il existe deux façons d’utiliser les métaphores. La première consiste à les poser comme hypothèses de départ, comme axiome dirigeant l’analyse, la seconde à s’en servir pour formuler des propositions qui seront testées empiriquement. C’est bien sûr dans ce second axe que nous souhaitons inscrire notre recherche. Nous entrons alors pleinement dans le dispositif de production de connaissance scientifique décrit par Wacheux 235 (1996) à savoir :

Cette notion de test empirique se retrouve dans les travaux de Shrivastava et Schneider 236 (1984) qui définissent le processus de «routinisation » comme étant la confrontation des modèles métaphoriques aux données terrains.

Nous tenons à rappeler que les recherches que nous avons menées au sein de l’ISEOR sont à vocation transformatrices et que le modèle que nous développons doit non seulement nous permettre de comprendre la réalité organisationnelle mais aussi d’aider les praticiens à mieux définir leurs stratégies. Comme le rappelle Schein 237 (1996), les sciences de gestion ne peuvent progresser que si les concepts, dérivés de l’observation des comportements réels (comprendre, les comportements tels qu’ils apparaissent dans les organisations) permettent de résoudre les problèmes concrets auxquels sont confrontés les dirigeants et les cadres.

Ce chapitre nous a permis de souligner les avantages et les inconvénients liés à l’utilisation des métaphores en sciences de gestion. Après avoir proposé une définition du terme «métaphore » selon une perspective rhétorique, nous nous sommes intéressés aux relations entre les métaphores en sciences de gestion et la définition des concepts ainsi qu’aux problèmes de validation scientifique liés à l’utilisation de tels outils.

Nous avons ensuite pointé les risques majeurs inhérents à l’emploi des métaphores et les précautions à leur réserver avant de définir la différence entre métaphores structurelles et métaphores sémantiques. Enfin, nous avons mesuré la portée des métaphores en sciences de gestion selon une approche paradigmatique, tout en insistant sur l’importance de la validation empirique des modèles métaphoriques. Après avoir posé le cadre de notre recherche, et balayé les fondements théoriques de notre parcours, nous arrivons maintenant au cœur de notre démonstration en proposant, à partir de métaphores provenant des arts martiaux japonais, et particulièrement de l’aïkido, une nouvelle définition de la proactivité.

Notes
233.

Jullien F,1996, Traité de l’efficacité, ibid.

234.

Le Roy F, 1999, Stratégie militaire et management stratégique des entreprises, ibid

235.

Wacheux, F., 1996, Méthodes qualitatives et Recherche en gestion, op cited

236.

Shrivastava, P., & Schneider, S., 1984, Organizational frames of references, Human relations, 37 : 795-809

237.

Schein, E.H., 1996, Culture, the missing concept in organization studies, Administrative science quaterly 41, 229-240