8.3.1. Définition de la notion de mode de management

Le mode de management recouvre un ensemble d’éléments qui impriment une orientation à la gestion des ressources humaines, à savoir :

  • le système de communication,
  • la gestion des ressources humaines,
  • la capacité à entreprendre.

L’ensemble de ces éléments influence le processus de prise de décisions stratégiques. Le mode de management proactif consiste à prendre des décisions en temps réel grâce au traitement continu d’un ensemble de variables dites stratégiques. Il s’agit alors d’utiliser un potentiel de situation 282 et de le transformer par le biais d’une action stimulante, produisant un ensemble d’effets en vue d’atteindre les objectifs stratégiques. A partir de maintenant, nous ferons très souvent référence à Jullien, l’un des rares auteurs français spécialiste de la littérature classique chinoise 283 ayant rapporté l’application de ses préceptes à la stratégie. Selon cet auteur, les Chinois définissent le potentiel de situation en termes de variables, celui-ci ne pouvant être déterminé d'avance puisqu'il procède d'une adaptation continue ; les supputations dont il dérive combinent sans difficulté les facteurs spirituels et physiques ; la dimension réciproque se situe au cœur même de ce qui constitue le potentiel de situation. Le hasard n’incarne plus le nom donné par notre ignorance à cette force obscure qui dirige tout, en deçà des causes que nous repérons, mais symbolise ce qui, dans les lacunes de l'action divine, permet à l'initiative humaine de s'insinuer.

Par opposition, la vision occidentale, développée dès la Renaissance, transforme le monde humain en un monde d'instabilité, voué à la discontinuité, à l'éphémère, à la mobilité, sans aucun principe d'ordre qui lui soit intrinsèque ou transcendantal. Elle définit l’efficacité sur le mode d'une intervention risquée qui, par son audace, vient répondre à l'imprévisibilité des choses.

Nous avons pu constater, dans l’entreprise où nous sommes intervenus, que l’introduction d’un mode de management proactif se heurtait à certains éléments. Nous avons pu principalement recenser :

  • des problèmes de transmission des informations critiques
    « La communication avec nos supérieurs est un gros problème, je pensais qu'il y aurait de l'amélioration, mais ce n'est pas le cas » (Entité B - Encadrement)
  • une absence de transparence dans la gestion des hommes et des équipes
    « Beaucoup de personnes sont gênées de dire ce qu'elles reprochent ou ce qu'elles ont à dire à quelqu'un en face » (Groupe - Direction)
  • un manque de prise en charge de l’encadrement
    « Alors que les gens de la base sont prêts à bouger, il y a des freins de la part de certaines personnes de la hiérarchie qui ne veulent pas changer leurs habitudes. » (Entité A - Encadrement)
  • des lacunes techniques en management des ressources humaines
    « On ressent un manque de management des hommes à notre niveau. On n'a jamais eu de formation à la communication, à la transmission d'informations. Ce qui fait que j'ai beaucoup de problèmes d'autorité » (Groupe - Encadrement)

Nous avons pu remarquer que certains membres de l’encadrement persistaient à nier la réalité des dysfonctionnements. Nous avons interprété cette attitude comme le symptôme d’un complet désarroi sur la manière de se saisir des difficultés. Nous avons donc cherché à faire comprendre que les méthodes et outils ne seraient d’aucune utilité si l’encadrement ne resserre pas davantage ses liens et ne met pas en place un mode de management structuré et opérationnel.

D’autre part, nous avons pu noter que la présence de la direction était peu visible sur le terrain. Pourtant, il est clair que chaque apparition produit des effets symboliques et concrets importants, par exemple sur la mise en ordre de l’usine et le moral du personnel. Compte tenu du faible relais de l’encadrement, cette présence est nécessaire pour stimuler les acteurs internes.

Il est donc particulièrement important de veiller à ce que les difficultés exprimées par la base soient effectivement remontées à la Direction Générale par l’intermédiaire de l’encadrement de proximité afin :

  • de réduire le climat de suspicion du personnel à l’égard de son encadrement,
  • de stimuler la transparence comme source d’amélioration puissante des comportements professionnels.

Dans le cas qui nous intéresse, le manque de transparence dans le mode de management a conduit à des écarts entre les deux entités. En effet, comment instaurer un climat de confiance et un sentiment de solidarité entre deux entités lorsque des différences majeures de management sont pratiquées? Nous avons donc cherché à développer une unité de management unique afin d’atteindre un minimum de cohésion au sein du Groupe.

De plus, la gestion du personnel a été remise en cause à la fois par l’encadrement et par le personnel de base. Le manque de caractère stimulant et d’équité de la politique salariale, les difficultés de gestion des effectifs ont eu pour corollaire une démotivation exprimée à tous les niveaux de responsabilité.

Il a donc fallu insister fortement pour susciter des mots d’ordre stimulants et interpellants afin qu’une idée martelée, affichée et relayée par de nombreuses personnes devienne un réflexe dans l’entreprise.

Même après la mise en place du projet socio-économique 284 , les décisions prises ne font pas encore assez l’objet de discussions et de concertation entre les responsables des services concernés. L’envoi en formation des agents, sans tenir compte de l’effectif suffisant pour assurer la production est un bon exemple de cette carence. L’encadrement a toujours tendance à se positionner sur des critères personnels, ce qui ampute sa contribution positive au débat professionnel. Les relations clients-fournisseurs internes ainsi que la négociation sont quasi inexistantes. Le renforcement de la capacité de négociation serait pourtant bénéfique afin d’atteindre les objectifs fixés tout en respectant les personnes.

L’absence de mode de management proactif induit :

  • une absence de système de sanctions positives ou négatives et manque de motivation permettant une dispersion de l’énergie des acteurs (évaluée à 33 600€ pour l’entité A) ;
  • un faible interventionnisme sur les personnes (formation, évaluation, sanctions) qui se transforme en perte de potentiel (évalué à 136 400 € pour l’entité B).

Notes
282.

La notion de potentiel de situation sera développé plus amplement dans le dernier chapitre de notre thèse

283.

Principalement les textes de Sunzi, Sun Bin, Han Feizi ainsi que des textes tels que le Gui gu zi ou le Laozi

284.

Voir annexe 7 et 8