9.2.1. Notion de potentiel de situation

Nous pensons que la proactivité ne peut intervenir qu'après une analyse profonde de la situation de départ (potentiel de situation) et de ses éléments constitutifs.

Le Roy 302 (1999) rappelle que, dans la stratégie militaire, l'avantage stratégique réside dans la surprise et la rapidité : seules la nécessité ou l'occasion favorable justifient la bataille. D’une manière générale, il est nécessaire de connaître l'ennemi, ses habitudes, la façon de procéder de ses généraux, ses effectifs et ses positions. Dans le contexte qui nous intéresse, nous dirions même que le génie stratégique est celui d’accorder, de développer et d’utiliser ses ressources non seulement en fonction de cet environnement mais aussi pour le modifier.

Nous rejoignons ici Jullien 303 (1996) qui souligne que deux notions se retrouvent ainsi au cœur de l'ancienne stratégie chinoise et forment couple :

  • d'une part, celle de situation ou de configuration (xing), telle qu'elle s'actualise et prend forme sous nos yeux (en tant que rapport de force) ;
  • de l'autre et y répondant, celle de potentiel (shi ; prononcer she), tel qu'il se trouve impliqué dans cette situation et que l'on peut modeler en sa faveur.

Nous sommes alors placés dans un environnement externe à la fois déterminant sur l’environnement interne mais aussi déterminé par ce dernier.

Les interactions entre l’externe et l’interne créent alors l’occasion, phase qui va permettre d’utiliser au mieux, en fonction des possibilités internes, le potentiel externe.

Toujours d’après cet auteur, il en découle que si une opération doit effectivementintervenir préalablement à l'engagement du conflit, celle-ci doit être, non de planification, mais bien d'évaluation (notion de «xiao »), ou plus précisément, de supputation (au sens d’évaluer à l'avance et par un calcul : notion de « ji »). L’évaluation va donc déterminer le champ des possibles, et à ce titre, permettre d’éviter une stratégie trop idéalisée, non réalisable.

L’essentiel est alors d’être capable, au cours de la phase d’évaluation ou de supputation, de bien saisir l’ensemble du potentiel de situation, c’est-à-dire d’identifier précisément les possibilités offertes. C’est à cette faculté de détection que l’on reconnaît le génie du stratège chinois.

Nous rejoignons en ce point la vision de Lavalette et Niculescu 304 (1999) qui plaident pour une démarche intuitive, intégrant de façon certaine la connaissance des potentialités globales de l’entreprise, sans être contrainte par les résultats actuels tirés de l'analyse du passé.

Selon nous, la proactivité dérive d'une analyse du potentiel de la situation, car ce dernier permet d’atteindre une stratégie à la fois efficace 305 et structurante :

  • efficace, car elle accorde les potentiels internes aux potentiels externes et favorise l’émergence de synergies qui n’auraient pas pu naître sinon,
  • structurante, car elle adapte le potentiel interne tout en agissant sur l’environnement pour limiter les frottements et les pertes d’énergie.

Notes
302.

Le Roy F, 1999, Stratégie militaire et management stratégique des entreprises, ibid.

303.

Jullien F, 1996, Traité de l’efficacité , ibid.

304.

Lavalette G et Niculescu M (1999), Les stratégies de croissances, ibid.

305.

Nous nous attarderons sur la définition de l’efficacité au sens chinois du terme plus loin dans la section 9.2.3 de notre thèse