9.3.1. Moyens à fin (action) ou conditions à conséquences (transformation)

Nous pensons que les stratégies proactives se définissent dans une logique non pas d'action (moyens à fin) mais de transformation (conditions à conséquence) (sens chinois des termes).

En effet, d’après Jullien 310 (1996), nous sommes face à une interprétation de l'efficacité qui, ne projetant aucun plan sur le cours des choses, n'a pas, non plus, à envisager la conduite sous cet angle moyens-fin : celle-ci, dès lors résulte non d'une application (la théorie conçue d'avance venant recouvrir le réel, de façon à pouvoir ensuite le calquer sur elle), mais plutôt d'une exploitation (en mettant à profit le potentiel impliqué dans une situation donnée).

Dans la logique de l'action, l’efficacité est directe (de moyen à fin), mais elle est coûteuse et risquée : elle consomme des ressources importantes, contient des zones de pertes d’énergie et engendre un résultat incertain.

Dans celle de la transformation, elle est indirecte (de condition à conséquence), mais elle se rend progressivement imparable.

Quittant une logique de modélisation (se fondant sur cette construction d'une forme-fin ; moyen-résultat, actions-objectifs), on s’inscrit alors dans une logique de processus (voir l'importance de ze, «il résulte que», dans l'articulation du discours des textes chinois).

Il en découle que :

  • d'un côté, le système causal est ouvert, complexe, aux combinaisons infinies,
  • de l'autre, le processus est clos et le résultat impliqué dans son déroulement.

Dans son fonctionnement politique, la Chine n'a pas privilégié d'organisation délibératrice, mais elle a fondé sa vision du monde sur la régulation ; partant, elle n'a pas conçu l'efficacité à partir de l'action, comme entité isolable, mais sur le mode de la transformation.

Aussi, pour assurer son emprise sur le monde, y prendre de l'empire, le sage n'agit-il pas, il transforme. Car, à la différence de l'action, qui est nécessairement momentanée, même quand elle se prolonge, la transformation s'étend dans la durée, et c'est de cette continuité que provient l'effet.

L’effet est donc ressenti comme étant la manifestation d’un processus de transformation, d’adaptation, de manipulation constantes. L’action, pour sa part, n’est perçue que de façon négative car elle va à l’encontre des choses. Elle se heurte à la réalité et ne parvient à changer cette dernière qu’après de nombreux efforts, consommateurs d’énergie. De plus, l’action ne permet pas un suivi régulier. L’enchaînement d’actions successives ne créera au contraire que des tensions supplémentaires puisqu’il introduira de nouvelles forces non maîtrisées.

La transformation, quant à elle, prenant appui sur un processus d’adaptation et configuration s’assure non seulement un résultat dans le temps mais introduit aussi des relations qui vont rendre l’entreprise indispensable à son environnement, l’une ayant un effet de régulation sur l’autre et vice versa. L’entreprise n’est plus perçue comme étant passive et devant s’adapter mais bien comme un élément actif impulsant des forces transformatrices.

Notes
310.

Jullien F, Traité de l’efficacité , ibid.