9.3.3. Unités actives

Il nous apparaît légitime de dire que la stratégie proactive se base sur un infléchissement des conditions de départ de la situation pour engendrer les effets voulus dans l'environnement (notion d'unité active) ;

Nous rappelons qu'une unité est dite active si, « par son action propre et dans son intérêt propre, elle est capable de modifier son environnement, c’est-à-dire le comportement des unités avec lesquelles elle est en relation. Elle est couplée avec son environnement plastique sous l’effet de son action » (Perroux 319 (1973)).

Nous retrouvons cette notion sous le vocable «enactment ». Comme le souligne Desreumaux 320 (1998) «le mot enactment n'est pas vraiment traduisible. On peut en approcher le sens en empruntant au langage juridique (décréter quelque chose) ou dramaturgique (monter les décors, mettre en scène.) ». Cet auteur soutient aussi que « l’organisation dépend de cet environnement (externe) à bien des égards (ne serait-ce que pour l'approvisionnement en ressources et l'écoulement de sa production) mais possède en même temps des marges de manœuvre sur les plans de la conception et de la conduite de ses projets ».

Il rejoint en ce point Child 321 (1972) qui stipule que, dans une large mesure, les décisions, quant à l'endroit où sera localisée l'organisation, la clientèle qu'elle servira, ou le type d'employés qu'elle recrutera, déterminent les limites de son environnement, c'est-à-dire l'environnement pertinent pour les fonctions qu’elle remplit.

La vision d’action collective quant à elle soutient que les organisations s'agencent en véritables réseaux leur permettant de construire ou de modifier collectivement leur environnement, leur domaine, leurs règles de fonctionnement. (Astley et Van de Ven 322 (1983)).

Dans le même cadre, pour Lavalette et Niculescu 323 (1999) à toute sollicitation de l'environnement pour tenter de façonner l'entreprise à sa convenance, celle-ci exerce une rétroaction sur la source émettrice. L'entreprise fait sa place, mais elle évolue grâce à une multitude d'interactions d'intensité croissante. Au fil du temps, l'entreprise et son environnement deviennent indissociables, empêchant toute transposition.

Dès 1985, Ohmae 324 était à la recherche d’un concept fondamental définissant ce que l'on voudrait faire et pourrait faire demain, en décidant dès aujourd'hui de préparer les conditions favorables du futur, évitant une attitude immédiate, uniquement réactive aux contraintes quotidiennes, posées par les concurrents ou le marché et révélées par des indicateurs.

Une stratégie proactive consiste bien à faire évoluer la situation, en se laissant porter par elle, de façon telle que, de son potentiel accumulé résulte naturellement l'effet, l'amorce initiale de la rencontre étant décisive par ce qu'elle engage de possibilités à actualiser et, à l'autre extrémité, le déclenchement final de l'occasion se trouvant riche de tout le potentiel accumulé. De ce fait, entre la rencontre initiale et l'occasion finale, découlant à titre de résultat, s'intercale tout le temps du procès, sur lequel on a prise et qu'on peut infléchir dans le sens souhaité.

Ce chapitre nous a permis de présenter les éléments qui nous semblent essentiels et constituent l’apanage d’une stratégie proactive. Les concepts, inspirés de la philosophie chinoise, que nous avons présentés et développés se place naturellement au cœur de la stratégie et de la proactivité.

La déclinaison des éléments de potentiels de situation, de propension, d’efficacité et d’unités actives a eu pour mission de d’éclairer de façon plus précise la quintessence de la notion de stratégie proactive, tout en traçant des pistes de recherches futures concernant son évolution.

Le tableau suivant propose une ébauche de grille d’évaluation de la proactivité se basant les différents éléments que nous venons de développer.

Eléments de la proactivité Composantes socio-économiques Exemple dans l’entreprise test
Potentiel de situation Identification d’éléments qualitatifs
Identification d’éléments quantitatifs
Identification d’éléments financiers
Dialogue poussé (pour avis et suggestion) avec le personnel sur la stratégie et la situation de l’entreprise à travers des dispositifs réguliers
Développement de la vigilance (prévention et réunions CHSCT)
Définition de la politique sociale et gestion de sa cohérence
Etude des accidents du travail
Réunion mensuelle du service commercial, pointage de l'activité et reporting hebdomadaire DCC
Propension Rémunération personnalisée pour l’ensemble du personnel sur des bases contractuelles
Système personnalisé d’évolution pour l’ensemble du personnel avec des règles du jeu explicites
Hausse de plus de 10% des investissements
Révision de tous les horaires de travail de l'atelier (poste par poste pour certains)
Formalisation d’un plan de formation pour la maintenance
Communication d'indicateurs de performance au personnel de l'atelier
Explication des cahiers des charges aux opérateurs
Efficacité Généralisation de nouvelles formes d’organisation (groupes semi-autonomes, enrichissement, élargissement)
Hausse de plus de 10% du ratio VA/MCV
Changement de technologie avec adoption d’une technologie innovante
Formalisation d’un projet d'aménagement de la zone de production (attente de financement)
Développement d’une direction commerciale par clients (délégation, responsabilisation )
Rationalisation de la gamme de produits
Unités actives Création de gammes ou de produits innovants
Attaques de marchés innovants (nouveaux segments, nouvelles cibles, nouvelle distribution)
Mise en place d'une concertation lors des appels d'offre (spécificités )
Réduction des délais de réponse aux appels d’offres
Réduction des délais pour le lancement de nouveaux produits

Notes
319.

Perroux François, 1973,Pouvoir et économie, Dunod 136p p.99

320.

Desreumaux, A., 1998, Théories des organisations, ibid.

321.

Child J., 1972, Organizational structure, environment and performance,: the role of strategic choice, Sociology, 6,

322.

Astley W.G. & Van de Ven A.H., 1983, Central perspectives and debates in organization theory, Administrative science quaterly, n°28, , 243-273

323.

Lavalette G et Niculescu M, 1999, Les stratégies de croissances, ibid.

324.

Ohmae, 1985, La triade : émergence d’une stratégie mondiale de l’entreprise, Préface F. Dalle, Flammarion, Paris