Introduction

C’est une problématique latente que celle de la définition des types d’éducation. Hamadache7, en posant implicitement les bases de ce travail, et en affirmant que tout processus d’éducation passe « ‘nécessairement par l’une et/ou l’autre des trois formes suivantes : l’éducation informelle ou accessoire, occasionnelle, diffuse, spontanée, informelle... , l’éducation non formelle8, dite encore extra-scolaire et l’éducation formelle dite scolaire’ » admet le flou des catégorisations. Observant l’imprécision de la démarcation entre les systèmes, il concède que l’accord est loin d’être unanime concernant les sous-systèmes. Hamadache escompte-t-il une définition univoque de ces notions ? Quelques pages d’un rapport de planification suffisent en effet à nourrir le doute à propos de la pertinence des classifications internationales dont on s’aperçoit qu’elles veulent réfracter tout l’acte éducatif à l’aide de catégories perméables et fragiles.

Pourtant, les classifications de l’éducation sont utiles. Pour des raisons d’ordre économique, les fins étant nombreuses et les moyens rares, le planificateur, notamment dans le registre de la coopération internationale, tient à identifier les systèmes de manière à mobiliser les moyens mis à disposition par la collectivité. L’éducation est coûteuse et comme produit non marchand, il n’est pas régulé par le jeu de la concurrence  pure et parfaite. La maîtrise des coûts a donc exigé une qualification des systèmes. Lorsque, comme c’est le cas dans les pays à faible revenu, la variable déterminant les modalités de mise en oeuvre des systèmes éducatifs est économique, on conçoit que ces derniers aient adopté ce type de classification dans leurs étroites marges de décision, après avoir opéré des choix respectant le principe de parcimonie décrit par Mingat et Suchaut9, principe exercé le plus souvent en faveur de l’éducation scolaire.

Les classifications intéressent également les comparatistes. La fortune de la classification «éducation formelle, non formelle et informelle», maintenant établie dans les nomenclatures, celle de l’U.N.E.S.C.O. en particulier, évoque la fin les décennies 1960-70, période des indépendances pour de nombreux pays supportant désormais la charge de l’organisation ou de la perpétuation des systèmes éducatifs. Coombs10 a favorisé l’utilisation de cette classification en posant un nouveau traitement du fait éducatif au niveau macroscopique mais surtout en le vulgarisant par son célèbre ouvrage. L’origine de cette classification est issue principalement du domaine de la planification des systèmes11. Ainsi, pourrait-on regretter que la pensée des pédagogues, des philosophes de l’éducation, des sociologues de l’éducation, des cogniticiens et des didacticiens a été niée et que seul, le planificateur s’arrogeait le droit d’installer une classification holistique des systèmes sans en référer à ceux qui, jusqu’alors, constituaient les références instituées du fait éducatif. L’affirmer serait inexact. Entre l’avènement des premières classifications internationales, après les premiers travaux de Jullien de Paris en éducation comparée12, et les travaux de Lê Thàn.Khoi13, s’insère historiquement l’avènement des Sciences de l’Education et les champs de recherche diversifiés qui les caractérisent. Durant la période comprise entre 1850 et 1970, une unité de langage s’est installée chez le planificateur, en à peine plus d’un siècle alors que peinait, et peine encore, le vocabulaire des Sciences de l’éducation à se stabiliser. C’est donc en prenant les dénominateurs communs des différentes analyses tant philosophiques que pédagogiques, tant psychologiques que didactiques, que le planificateur a intégré dans son canevas l’ensemble des éléments d’analyse disparates, puisque par définition imbriqués dans des logiques culturelles, historiques et scientifiques prégnantes, pour les ressaisir dans une classification globale.

L’analyse des systèmes et la planification de l’éducation ont contribué à installer au niveau mondial une classification correspondant à leurs outils d’analyse et à leurs fins14. L’absence des termes tels que meta-analyse ou conférence de consensus au sein du vocabulaire francophone de la recherche en sciences de l’éducation peut cependant faire craindre une dérive générant d’aigres polémiques.

En effet, si les champs de l’analyse des systèmes et de la planification ont contribué à installer les classifications, elles ont par ailleurs dilué les analyses singulières des domaines d’étude privilégiés des Sciences de l’éducation. Installation et dilution constituent ainsi le double dynamisme des classifications internationales que ce travail interroge, à travers l’une de ses composantes : l’éducation non formelle. L’éducation non formelle porte en effet une ambiguïté importante dans cet ordre classificatoire. C’est à cette notion et aux rapports qu’elle entretient avec l’éducation formelle que les pages suivantes vont s’attacher.

Un premier examen de la terminologie « formel, non formel, informel » révèle son caractère générique, recouvrant des domaines d’activités, des registres de valeurs, des contenus, des modalités pédagogiques et des didactiques divers. Cette terminologie illustre le syllogisme modus nolens. Celui-ci définit un objet par sa non-appartenance à une classe. Ce type de définition confine à une sorte d’apophatisme par le fait qu’elle ne nomme pas l’objet qui n’appartient pas aux autres classes. Bien qu’établie, cette terminologie ne contribue pas à éclaircir le domaine de l’éducation hors du champ scolaire.

Pour autant que la compréhension des phénomènes complexes se nourrisse de la simplification et de la « propreté des variables étudiées », clarifiées par le fameux rasoir d’Occam15, cette classification ne satisfait pas à ces exigences.

Nous pouvons dès lors nous interroger sur la valeur de cette classification. Le caractère prototypique mal affirmé de l’éducation non formelle est exemplaire de la difficulté de cette classification à définir un ensemble disparate, hétérogène, entretenant de surcroît des rapports de dynamique interne permanents. C’est donc en premier lieu la classe « éducation non formelle » qui heurte l’analyse. Négligeant le fond premier de l’éducation, celui du savoir, donc de l’apprentissage, cette catégorie requiert d’être questionnée avec vigueur. En effet, puisqu’il n’y a pas d’éducation sans savoir, la question du savoir et de la connaissance doit être posée a priori à propos de toute qualification, c’est à dire de toute qualité attribuée à un énoncé, concernant l’éducation.

Or, l’éducation non formelle échappe à toute qualification centrée sur la connaissance. Sa qualification n’est établie et stabilisée qu’en fonction de la planification des systèmes éducatifs. Si nous ne parvenons pas à qualifier l’éducation non formelle par les savoirs, la connaissance et l’apprentissage, cette classification restera caduque, sans avenir autre que celui que lui destinent les planificateurs, hors du champ de la recherche en éducation. Mais en perdurant, cette catégorie sera invalidée par son incapacité à fournir de manière claire la nature des savoirs qui la fondent. Notre propos consiste donc à interroger la validité de la classification de l’éducation concernant l’éducation non formelle.

Notes
7.

HAMADACHE (A.),  Articulations de l’éducation formelle et non formelle, implications pour la formation des enseignants, Paris, U.N.E.S.C.O., 1993, p.10 et 11

8.

on trouvera également l’acronyme E.N.F.

9.

MINGAT (A.), SUCHAUT (B.), Les systèmes éducatifs africains, une analyse économique comparée , Bruxelles, De Boeck, 2000

10.

COOMBS (P.-H.), La crise mondiale de l’éducation , Paris, PUF,  1968

11.

cette origine est explicite au sein de la Recommandation de 1958 de l’UNESCO, la Recommandation révisée de 1958 et la CITE 75.

12.

JULLIEN (M.-A.), Esquisse et vue préliminaire d’un ouvrage sur l’éducation comparée,   Paris, L.Colas, 1817, si l’on exclut Xénophon

13.

LE THAN KHOI , L’éducation comparée , Paris, Armand Colin, 1981

14.

Parallèlement aux directives de la Recommandation de 1958, ont été établies la Classification Internationale type de des professions (C.I.T.P.), la Classification Internationale type, par industrie, de toutes les branches d’activité économique (C.I.T.I.). La C.I.T.E. 75 a été élaborée dans le but de planifier au plus près de la C.I.T.P. les besoins en ressources humaines dans les pays en développement.

15.

DURU-BELLAT (M.), MINGAT (A.), Vérification et falsification dans la recherche en éducation , IREDU/CNRS, Colloque de Grenoble, 3-5 Juillet 1995, les auteurs insistent notamment sur le dépouillement de l’hypothèse de recherche et sur la limitation des modèles explicatifs. Utiliser le rasoir d’Occam revient donc à simplifier les arguments et à en éliminer tout ce qui n’est pas indispensable.