Cas des écoles dans les pays pauvres

La question pédagogique se pose crûment dans le cadre des pays en développement. Dans le cadre des organismes internationaux, le regard posé sur les écoles et les pratiques pédagogiques concerne essentiellement les problèmes redoutables de l’efficience des systèmes. Les travaux d’Orivel54 concernant l’Ecole sub-saharienne soulignent que la mesure des compétences cognitives des élèves n’a jamais été systématiquement organisée, ce qui aurait été le premier pas vers une pré- identification de méthodes pédagogiques ad hoc. Il est frappant de constater que la littérature consacrée aux systèmes éducatifs africains s’intéresse peu au fond à la vie de la classe, à quelque niveau du système que ce soit, comme si le niveau d’analyse ne pouvait en tirer quelque substance propre à améliorer les systèmes. Lange55, consacrant son étude au fait scolaire togolais ignore le fonctionnement interne de la salle de classe, déniant par là-même à la pédagogie toute influence sur la scolarisation. On pourrait adresser la même remarque à l’égard du subtil travail de Gérard56, analysant les stratégies de scolarisation des familles maliennes. Celui-ci, en dépit d’une description de l’appropriation de l’école par ses usagers mettant en lumière l’organisation interne de classes composées d’élèves au niveau hétérogène, ne donne que peu d’indications sur la marche de la classe. En réalité, les analystes ne refusent pas par principe de s’intéresser à l’élément pédagogique mais ceux-ci se trouvent face à une difficulté importante. Mingat et Suchaut57, tentant d’identifier les facteurs agissant éventuellement sur la qualité des systèmes éducatifs africains, ont isolé huit variables. Parmi celles-ci, les méthodes et techniques pédagogiques mobilisées par les enseignants pour transmettre le contenu des programmes sont liées aux autres points : formation des enseignants, nature des bâtiments, supports didactiques, temps scolaire, encadrement pédagogique, groupement des élèves... La question des effectifs pléthoriques, générant de fait un certain type de relation pédagogique, ne semble pas jouer un rôle décisif dans la qualité du système58. Le mode de groupement des élèves en cours multiples ou en doubles vacations ne semble pas non plus être un élément déterminant au maintien ou à l’amélioration de la qualité du système. Alors que les auteurs rappellent le caractère parfois surinvesti au niveau des attentes, des bâtiments scolaires en « dur », ils attirent l’attention sur le rôle central et incontournable du matériel didactique. «‘Lorsqu’il y a peu de manuels, le maître conserve une pédagogie relationnelle fondée sur le tableau et la craie’ 59 », diagnostic radical qu’amplifie le rôle clé de la mémoire.  La mise en oeuvre des pratiques pédagogiques a un coût mais certaines mesures, supposées améliorer l’efficacité de la relation pédagogique, n’ont que des effets limités par rapport au coût de leur mise en oeuvre. La récurrence des études conduites sur des terrains limités par un cadre budgétaire restrictif portant sur le lien entre développement et éducation exige d’en rendre compte60 : d’une part la contribution de l’éducation à la croissance tient au fait que les actifs éduqués obtiennent en moyenne des revenus supérieurs à ceux des actifs non éduqués, tendant ainsi à augmenter le revenu national donc la croissance. D’autre part, l’éducation contribue à l’essor des progrès technologiques qui, avec une même quantité de travail et de capital, favorise également la croissance. A la lumière du discours économique déterminant grandement les politiques éducatives de dizaines de pays, quelles méthodes pédagogiques apparaissent le plus souvent adoptées ? La pauvreté des analyses pédagogiques nous renvoie à deux questionnements : ou bien la situation de ces pays exsangues ne pose pour l’instant pas ce type de problème, les discussions des pédagogues et des didacticiens risquent bien d’être pour l‘heure des discussions inopportunes compte-tenu de l’urgence des situations. Ou bien, deuxième hypothèse, les économistes n’entendent rien à la pédagogie. Procès qui leur fut maintes fois intenté par certains pédagogues et auquel nous ne souscrivons pas61. Nous penchons davantage pour la première hypothèse, la qualité pédagogique d’un système éducatif ne se mesure pour l’heure qu’au niveau macro, les analyses micro significatives étant aujourd’hui assez rares. Aussi, la qualité de l’enseignement est évaluée en prenant en compte les taux de redoublement, les ratios d’abandon scolaire et les inputs par élève : matériels, équipement, formation des maîtres. La mesure de la qualité des compétences cognitives des élèves reste problématique dans le monde. En Afrique, peu d’Etats participent aux tests pratiqués par l’International Association for the Evaluation of Educational Achievement et les travaux de la CONFEMEN dans ce domaine restent encore partiels . Bien que la Conférence des ministres de l’Education62 organise des tests de rendement cognitif étalonnés pour ses Etats membres, particulièrement l’Afrique francophone, la lourdeur du dispositif et sa nouveauté dans les systèmes éducatifs africains n’a pas encore permis de percer la ou les méthodes pédagogiques les plus cognitivement rentables. On sait peu ou prou comment l’enseignement se déroule en classe, mais les observations demeurent encore empiriques. Les économistes de l’éducation indiquent qu’actuellement aucune étude ne permet d’appréhender l’évolution dans le temps de ce niveau de qualité dans un pays donné et aucune n’embrasse un échantillon représentatif de pays. Ainsi, l’évaluation des systèmes éducatifs en est aujourd’hui à ses balbutiements. La qualité externe d’un bon enseignement est jugée aussi difficile à mesurer que la qualité interne. La qualité externe correspond dans la pensée économique à la liaison formation-emploi63.

Paul et Vernières 64 ont traité la question de l’insertion socio-professionnelle en Afrique et conviennent de l’impréparation à la vie professionnelle qui caractérise les systèmes éducatifs sub-sahariens. On a observé par ailleurs que la formation pédagogique des enfants du primaire en Afrique ne supporte plus les dérives utilitaristes qui eurent cours dans les années 60-70. Il semble que la fonction d’instituteur s’opposait structurellement et épistémologiquement à former de futurs agriculteurs, du reste peu productifs. A défaut d’une vue professionnalisante de l’enseignement primaire, les virages pédagogiques actuels balancent davantage vers une contextualisation des curricula et des manuels scolaires existants comme à la formalisation d’une pédagogie des grands groupes. L’environnement socio-économique est ainsi pris en compte, suivant les urgences locales relatives à l’hygiène, au développement rural ou, dans une mesure moindre, à l’équilibre écologique. La qualité externe de l’enseignement secondaire se mesure plus aisément que celle du niveau primaire, du fait du but professionnalisant d’une partie de l’enseignement, l’autre partie conduisant à l’enseignement supérieur. Concernant les facteurs déterminant la qualité des acquisitions scolaires, l’analyse économique révèle l’importance de variables qui ne semblent pas intéresser la réflexion pédagogique générale dans les pays industrialisés, elles revêtent pourtant une importance capitale et il nous semble bon de les rappeler ici : la durée de formation initiale au-delà du niveau équivalent au Baccalauréat n’a que peu d’impact sur les acquisitions des élèves et la formation continue dans le domaine pédagogique a un effet faible. D’autre part, les activités de formation des maîtres non assorties de promotion constituent même une source de démotivation et donc de rapport coût-efficacité négatif. Orivel, déplorant qu’aucune analyse robuste ne montre la pertinence de méthodes pédagogiques, souligne néanmoins qu’une politique de réduction de la taille des classes est 400 fois moins coût-efficace qu’une politique d’approvisionnement en manuels65. Les modifications à faible implication budgétaire sur le système scolaire relèveraient de décisions concernant l’augmentation de la durée de l’année scolaire, en assurant le leadership de la direction de l’école, l’implication de la communauté et des parents d’élèves.

En conclusion, on constate à propos des pays à faibles revenus la difficulté à rendre compte des analyses pédagogiques. Leur objet reste différent des préoccupations d’études conduites dans les pays industrialisés. Les analyses des planificateurs des pays pauvres ont une obsession : améliorer la quantité et la qualité de l’enseignement. Or, les indicateurs de type macro, ne peuvent structurellement décrire finement des dispositifs pédagogiques mis en oeuvre dans les classes. En dépit de la carence d’une description claire et univoque d’une pratique pédagogique dans les écoles des pays à faible revenu, nous mentionnerons l’analyse de Lourié66. Celui-ci, différenciant les écoles dites performantes et les écoles non-performantes, indique que « ‘l’interaction particulière entre l’ensemble des ressources matérielles, humaines et organisationnelles qui interviennent dans le processus pédagogique’ » permet d’expliquer le caractère de performance de l’enseignement. La clé de cette interaction réside alors dans le comportement du maître, c’est à dire dans la nature des rapports qu’il entretient avec ses élèves, ses collègues et sa communauté. Bien qu’empirique, cette analyse n’est d’ailleurs pas contradictoire avec les analyses économiques. Mais si les écoles sont jugées souvent non performantes, c’est aussi parce que la pédagogie y est de type frontal, injonctif et qu’elle mobilise, insistons-y, les habiletés mnésiques davantage que les habiletés analytiques ou exploratoires. Elles favorisent l’automatisme plus que nécessaire dans une relation où le discours pédagogique reste malheureusement modalement directif, centré sur le maître davantage que sur l’élève.

Contrairement au problème des pays à faible revenu, et notamment des pays africains, on constate que les questions de nos contextes riches offrent des questionnements apparemment différents mais dont l’importance se retrouve dans le tréfonds des pratiques pédagogiques des pays à faible revenu.

Notes
54.

ORIVEL (F.) » Eléments de diagnostic », in Afrique contemporaine, Crises de l’éducation en Afrique, Paris, La Documentation française, n° 172, 1994

55.

LANGE (M.-F.) ,  L’école au Togo, processus de scolarisation et institution de l‘école en Afrique, Paris, Karthala, 1998

56.

GERARD (E.) , La tentation du savoir en Afrique, Politiques, mythes et stratégies d’éducation au Mali , Paris, Karthala/ORSTOM, 1997 , p.175

57.

MINGAT (A.), SUCHAUT (B.),  Les systèmes éducatifs africains, une analyse économique comparée , Bruxelles, De Boeck, 2000, p.103 et suiv.

58.

MINGAT (A.), SUCHAUT (B.),  Op. cité, p.128 : « l’impact négatif de la taille de la classe reste relativement modeste sur la qualité effective de l’école »

59.

MINGAT (A.), SUCHAUT (B.),  Op. cité, p.134

60.

PAUL apporte cependant des remarques, voire des réserves à une vision mécaniste du lien entre éducation et développement : « il serait par ailleurs illusoire d’imaginer que l’éducation soit en mesure à elle seule de résoudre les problèmes liés à la productivité ou au développement. » in PAUL (J.-J.), Dir., Administrer, gérer, évaluer les systèmes éducatifs, Paris, ESF , 1999, p.352.

61.

On peut en effet constater une prise en compte réciproque des deux champs, économie de l’éducation et sciences de l’apprentissage de plus en plus fréquente.

62.

CONFEMEN/ Conférence des ministres de l’éducation des pays ayant le français en partage,  Les facteurs de l’efficacité dans l’enseignement primaire : les résultats du programme PASEC sur neuf pays d’Afrique et de l’Océan indien, CONFEMEN,  Dakar, 1999

63.

Selon une conception instrumentale de l’éducation, différente d’une conception de l’éducation considérée comme un bien en soi.

64.

PAUL (J.-J)., VERNIERES (M.), « L’insertion professionnelle et la formation en cours d’emploi », in Afrique contemporaine, Crises de l’éducation en Afrique, Paris, La Documentation française, n° 172, 1994

65.

ORIVEL (F.) » Eléments de diagnostic », in Crises de l’éducation en Afrique, Paris, La Documentation française, n° 172, 1994

66.

LOURIE (S.), Ecole et tiers-monde , Paris, Flammarion, 1993, p.77