Méthode d’investigation

La technique de l’entretien dirigé a été retenue. L’interprétation constituant son heuristique privilégiée, cette méthode reste la meilleure stratégie identificatoire et discriminante qui nous soit donnée. Cependant, nous savons que la variabilité inter-observateur (différences de lecture du phénomène étudié en fonction des passations d’entretiens par exemple) et intra-observateur (variabilité des réponses d’un même sujet pour la même mesure) peut faire se disperser les valeurs observées et atténuer la précision des résultats.

Apparemment simple, cette méthode a pourtant exigé des précautions liées à un jeu de contraintes important. Chaussant tour à tour les lunettes du planificateur de projets de développement et celles de l’analyste, il a été nécessaire de composer avec des difficultés d’organisation et de cohérence tout en tâchant de préserver au matériau d’observation toute sa valeur heuristique. L’éloignement et la langue portugaise n’ont pas posé de problème insurmontable, en revanche la langue locale ne peut être apprise qu’à la condition d’une durable et profonde acculturation qui n’a pas été possible, la durée totale de nos séjours n’ayant pas excédé six mois. Cela a donc nécessité la contribution d’un traducteur-enquêteur. Cependant, et en dépit d’une trop courte « exposition » au terrain138, des contacts réguliers avec les mêmes interlocuteurs ont complété nos visites régulières aux différents moments de l’enquête et ont permis de définir ce qui, au regard des exigences de la recherche et des exigences du terrain d’observation, pouvait être le plus fécond et le plus adapté aux réalités locales. Le travail d’enquête exigeant l’existence d’une grille d’entretien stabilisée, cette dernière peut s’apparenter à une forme de questionnaire davantage qu’à un entretien. Il est donc nécessaire, pour rappeler clairement le registre de l’entretien au sein duquel nous nous trouvons, de procéder à une distinction entre entretien et questionnaire.

La différence fondamentale entre l’entretien semi-directif et le questionnaire, souligne De Singly139, réside dans le double mouvement de conservation/élimination du matériau. « ‘L’entretien a d’abord pour fonction de reconstruire le sens subjectif, le sens vécu des comportements des acteurs sociaux, le questionnaire a pour ambition première de saisir le sens objectif des conduites en les croisant avec des indicateurs des déterminants sociaux’ ». Lorsque nous entretenons une personne en formation de menuiserie, elle nous livre sa vision de l’apprentissage, de son futur, ou son idée de l’école et c’est bien elle qui va ou non conserver les données par le seul fait qu’elle délivre une reconstruction de son histoire. Nous sommes bien dans une perspective interprétative de la réalité vécue dont seule la personne interrogée a la maîtrise. Par ailleurs, Blanchet et Gotman140 distinguent différents usages possibles de la méthode par entretien : l’entretien à usage exploratoire, l’entretien à usage principal, l’entretien à usage complémentaire. Il s’agit dans ce protocole d’entretiens à usage principal, constituant le mode principal de collecte de données. En revanche, une série d’entretiens à usage exploratoire a été pratiquée avant de stabiliser une trame de questions correspondant à la constitution du modèle explicatif de l’hypothèse.

Nous livrons ci-dessous la grille d’entretien construite sur la base de notre hypothèse de recherche. A sa suite, sont présentés les points méritant éclaircissement.  La grille d’entretien a pour avantage majeur de faciliter la mise en confiance de l’enquêteur avec qui nous avons collaboré. Celui-ci était seul à pouvoir nous introduire dans le monde fermé des enquêtés. Sans un système facilement lisible, celui-ci ne se sentait pas à l’aise et risquait de nous faire perdre de précieuses informations. Il a d’ailleurs su se passer souvent de ses notes durant la majorité des entretiens pour n’y revenir qu’à la fin. La grille d’entretien est présentée ci-dessous dans la double version portugaise et française. L’ensemble des compte-rendus d’entretiens sont restitués en annexe, également en portugais et en français

Entretien n°

Nome, Nom : Idade, Age : Sexo, Sexe :
  • Estatuto civel, Etat civil :

  • Nível académico/habilitações, Niveau académique :

  • Lugar do encontro, Lieu de rencontre :

  • Observaçoes, Observations :

  • Data do inquérito, Date de l’entretien :

QUADRO/ CADRE

  1. Descrição sumario do quadro de aprendizagem, Description du cadre d’apprentissage :

  2. Como entrou neste quadro de aprendizage ? Entrée dans le cadre ?

  3. Qual e o conteúdo da aprendizagem ? Contenu d’apprentissage ?

  4. Este conteúdo ensina-se na escola ? Ce contenu s’enseigne-t-il à l’école ?
    Qual e a disciplina referida ? Quelle est la discipline de référence ?

  5. Qual e a metodologia usada? Quelle est la méthode utilisée?
    Esta metodologia e diferente da escola ? Cette méhode est-elle différente de celle de l’école ?

  6. Qual foi a duração do curso ? Quelle a été la durée du cours ?

  7. Qual foi a frequentação do curso (diário, semanal, mensal, outro) ? Quelle a été la fréquentation du cours (quotidienne, hebdomadaire, mensuelle, autre) ?

  8. Quantas pessoas participaram pôr sessões ? Nombre de personnes participant à la session ?

  9. Ha existência dum monitor ? Qual e o stylo : stylo professor o stylo animador ? Existe-t-il un moniteur, quel est son style? Style professeur ou style animateur ?

  10. O monitor foi colocado pôr quem? Par qui a été recruté/certifié le moniteur ?

  11. Ha existência dum manual de referencia, o material didáctico estandardizado para aprendizagem ? Existe-t-il un manuel de référence, un matériel didactique standardisé pour l’apprentissage ?

  12. Ha existência de material didáctico o outro support escrito ? Fazer uma descrição sumario. Existe-t-il un matériel didactique autre qu’un support écrit ? Faire une description sommaire.

  13. Qual são os exercícios mais frequente ? Quels sont les exercices les plus fréquents ?

  14. O que caracteriza estes exercícios : memória, imitações, outras activitdades ? Qu’est-ce qui caractérise ces exercices : mémoire, imitation, autres activités ? l’animateur ?

  15. Qual são os exercícios com maior dificuldades ? Quels sont les exercices les plus difficiles ?

  16. A linguagem utilizada pelo monitor e compreensível o muito técnico ? Le langage utilisé par l’animateur est compréhensible ou très technique?

MOTIVACAO/ MOTIVATION

  1. Antes de comencar este curso como se sentia a pessoa ? Avant de commencer ce cours, comment se sentait la personne?

  2. Como surgiu a ideia de praticar esta actividade ? Comment est venue l’idée de pratiquer cette activité ?

  3. Este curso vai resolver algumas dificuldades da sua vida quotidiana ?
    Ce cours va-t-il résoudre certaines difficultés de la vie quotidienne ?

  4. Esta posivel resolver estes dificuldades duma outra forma ? como ?
    Est-il possible de résoudre ces difficultés d’une autre manière ? Comment ?

  5. Ha outra necessidades de aprender uma actividade diferente ? qual ?
    Y-a-t-il une autre nécessité d’apprendre une activité différente ? Laquelle ?

  6. Quando ha-de saber que domina a matéria do curso ? como ha-de saber que o curso foi um sucesso ? Quand la personne peut-elle affirmer que le cours est maîtrisé, comment la personne a-t-elle atteint la maîtrise ?

QUADRO RESERVADO AO INQUIRIDOR:
Cadre réservé à l’enquêteur

  • Seu projecto parece, son projet paraît :
    • Racional / Rationnel

    • Previdente / Prévoyant

    • Utópico / Utopique

    • Um sonho / Un rêve.

Explications liées aux grilles d’entretien destinées à l’enquêteur :

  • Question 1 : il s’agit du lieu où s’effectue l’apprentissage ( préau, école, sous un arbre, etc.)

  • Question 2 : conditions d’inscription, ce qu’il faut faire pour faire partie ou profiter de ce système d’apprentissage

  • Question 3 : Ce qu’on apprend, si on peut y apprendre plusieurs choses, indiquer lesquelles

  • Question 4 : Les contenus peuvent-ils être appris à l’école, dans le cadre des programmes officiels et à quelle discipline scolaire se rattachent-ils (si l’enquêté ne peut pas répondre, l’enquêteur peut donner son avis)

  • Question 5 : Peut-on décrire la méthode d’apprentissage ?

  • Question 5.1 : La méthode est-elle proche de la méthode utilisée à l’école ?

  • Question 6 : Durée globale nécessaire à la réussite de l’apprentissage, indiquer en mois.

  • Question 7 : Cette personne participe-t-elle à ces séances ou rencontres tous les mois, tous les jours, chaque semaine? Autre fréquence ?

  • Question 8 : S’il s’agit de séances ou de rencontres, combien y a t-il de personnes en moyenne dans chacune d’entre elles ?

  • Question 9 : Y-a-t-il un moniteur, un formateur, un animateur ? Tous ces termes sont équivalents.

  • Question 9.1 : Comment se passe l’enseignement, est-ce sérieux comme à l’école ou plus détendu ?

  • Question 10 : Le moniteur est-il homologué, reconnu par une autorité, a-t-il fait l’objet d’une distinction ?

  • Question 11 : Y a t’il un programme écrit, un ouvrage récapitulatif très souvent utilisé par les élèves ou l’animateur ?

  • Question 12 : Existe t’il par exemple des outils, des cartes ... des objets spécifiques qui permettent l’apprentissage ?

  • Question 13 : Il s’agit de décrire les tâches les plus fréquentes que réalisent les élèves ou les apprentis.

  • Question 14 : Comment les élèves ou les apprentis arrivent à apprendre, est-ce qu’il faut faire des efforts importants pour la mémoire, s’entraîner, imiter ou autre chose ?

  • Question 15 : La personne enquêtée éprouve des difficultés dans quels types d’exercices courants ?

  • Question 16 : Le langage utilisé dans les séances ou les manuels est-il compliqué pour les usagers ?

  • Question 17 : Avant de commencer ce nouvel apprentissage, la personne était-elle triste, se sentait-elle complexée ? Quel était son état d’esprit ?

  • Question 17.1 : Peut-elle en faire le récit, on peut écrire au dos de la feuille, ne pas hésiter à faire des phrases, à raconter dans le détail.

  • Question 18 : D’où lui vient cette envie d’apprendre ce nouveau contenu ?

  • Question 19 : Pense-t-elle que ce nouvel apprentissage va lui permettre de résoudre complètement ou partiellement ses difficultés ?

  • Question 20 : A-t-elle pensé résoudre son problème autrement ?

  • Question 21 : Descriptif des autres solutions possibles.

  • Question 22 : La personne est-elle capable de décrire les indicateurs qui feront qu’elle a fini d’apprendre, qu’elle sait , que son apprentissage est réussi?

  • Dernière question réservée à l’enquêteur : celui-ci peut donner son avis, expliciter son point de vue, donner des arguments, peut faire des phrases complètes. Les indications portent sur le type de projet de l’enquêté et utilisent les catégories suivantes.
    Rationnel : l’enquêté a des objectifs précis pour son action
    Un rêve : l’enquêté lie son projet à une intervention d’un dieu ou d’un pouvoir surnaturel
    Prévoyant : l’enquêté a une attitude présente qui sait anticiper un futur vraisemblable et s’en prémunir.
    Utopique : le projet est logique, rationnel, mais disproportionné par rapport aux moyens dont dispose l’enquêté.

On observe que les questions sont accessibles, mais sans doute faut-il préciser le dernier point. Nous demandons en effet son jugement à l’enquêteur à propos des éléments « rationnel, un rêve, prévoyant, utopique ». Nous empruntons ces éléments à Boutinet141 et notamment aux modes caractéristiques de l’anticipation. Demander aux enquêtés de quelle manière ils jugeaient leur propre projet risquait d’être d’une faible valeur heuristique. Les compagnons des personnes interrogées ne pouvaient pas davantage répondre, ce qui revenait à porter un jugement sur un de leur pair. En revanche, obtenir l’avis de l’enquêteur, seul capable de nous indiquer la pertinence du projet évoqué dans l’entretien, était l’unique moyen d’avoir des informations sur le projet. Boutinet retient donc quatre familles d’anticipation. Le mode opératoire au sein duquel l’auteur distingue deux sous-notions. La première évoque le caractère rationnel de l’anticipation, mettant en oeuvre un plan et des objectifs. Nous retenons cette qualification et nous abandonnons l’autre sous-notion du projet, de type flou. La deuxième classe d’anticipation concerne le type cognitif, embrassant la divination et la prophétie et dans le domaine scientifique, la prospective. Nous retenons sous l’appellation la plus simple, bien que contestable, celle de « rêve », le sens de divination. Une troisième catégorie d’anticipation, la catégorie imaginaire, précise le caractère utopique de certaines anticipations. Les anticipations utopiques sont de type imaginaire, mais également de type rationnel, à la différence des anticipations imaginaires de type onirique qui relèvent, précise Boutinet, de la science-fiction. Nous retenons le caractère utopique de certaines anticipations. Le mode adaptatif, avec deux sous-groupes, une version de type empirique correspondant à la prévoyance, terme que nous retenons, et une version de type scientifique correspondant à la prévision, que nous excluons du fait de son caractère scientifique, impropre à la planification des projets individuels des enquêtés.

Notes
138.

Que nous connaissions cependant depuis 1995, pour y avoir séjourné à plusieurs reprises pendant plusieurs mois

139.

De SINGLY (F.), L’enquête et ses méthodes, le questionnaire , Paris, Nathan, 1992, p.27

140.

BLANCHET (A.), GOTMAN (A.) ,  L’enquête et ses méthodes : l’entretien ,  Paris, Nathan, 1992, p.42

141.

BOUTINET (J.-P.), Anthropologie du projet , Paris, PUF, 1990, p. 68011