Caractéristiques de la population

Des critères d’exclusion de la population ont été retenus. Celle-ci doit avoir dépassé l’âge théorique permettant de quitter l’institution scolaire, soit 14 ans au Mozambique, en dépit de la classification internationale du Bureau International du Travail142 plaçant le début du travail légal, et donc la non scolarisation légale, à quinze ans. Cette exclusion peut paraître contestable mais la population d’âge scolaire ne fournit pas d’usagers de l’éducation non scolaire et c’eût été une difficulté supplémentaire que d’ajouter à l’échantillon des individus entrant dans plusieurs cadres, scolaire et non scolaire.

Nous avons souhaité respecter le ratio de 52% de femmes présent dans la population totale mozambicaine. Malheureusement, nous n’avons pu atteindre une telle proportion. A cela, plusieurs raisons : les femmes sont limitées dans leurs initiatives personnelles par un contexte social restrictif. Bien que plus rare dans les publics d’éducation non formelle, il aurait sans doute été possible de compter davantage d’entretiens menés auprès d’un public féminin mais ceci nous obligeait à sortir de notre zone.

Par ailleurs, nous n’avons pas constitué de strate dans la population enquêtée et avons considéré que le statut d’informateur était par principe équivalent. En revanche, nous avons réalisé une série d’entretiens avec des macro-acteurs, une dizaine environ : directrice provinciale, responsables du département de l’éducation des adultes, directeurs districtaux de l’éducation... Ces personnes peuvent constituer une catégorie à part, leur niveau d’informateur étant tout à fait distinct. Mais si nous n’avons pas mentionné ces différents entretiens, c’est qu’ils ne rendaient pas compte du point de vue de l’usager, mais de celui du planificateur, point de vue maintes fois rapporté dans la littérature. Toutefois, ces entretiens, par leur fonction d’information indirecte, ont permis de saisir la réalité mozambicaine de manière plus profonde. La taille de notre échantillon n’est pas déterminée par sa représentativité de la population mais par le nombre de situations différentes qu’il était possible de rencontrer. Gotman et Blanchet précisent que les ‘« informations issues des entretiens sont validées par le contexte et n’ont pas besoin de l’être par leur probabilité d’occurrence. Une seule information donnée par l’entretien peut avoir un poids équivalent à une information répétée de nombreuses fois dans des questionnaires’ »143. Prudence cependant : cette remarque ne vaut que parce ce travail n’a pas l’ambition de refléter l’ensemble de la situation de l’éducation non formelle au Mozambique mais ambitionne de définir les contours d’une forme particulière de l’E.N.F. pour notre échantillon. Nous travaillons en effet dans une optique de mise à jour du possible davantage qu’à une mise à jour du probable, qui réclamerait un autre type de protocole. Précisons que la taille de l’échantillon dépend davantage du nombre différent de situations d’éducation non formelle que du nombre d’individus concernés. Plus le spectre de situations d’éducation non formelle est large, plus nous couvrons la diversité des cas possibles. Nous avons retenu 14 situations différentes d’apprentissage entrant dans le cadre d’une éducation non formelle. Nous avons cessé d’interviewer de nouvelles personnes lorsque nous avons rencontré le problème de saturation de l’information, aucune nouvelle donnée ne nous provenait dans la zone que nous avions choisie. Ce phénomène de saturation de l’information a été décidé par nous au terme de 78 entretiens, après avoir éliminé tous les entretiens tests.

Concernant le mode d’échantillonnage, il s’agit d’un échantillonnage diversifié, reposant sur la sélection de composantes du spectre des activités d’éducation non formelle. Même si les attributs de la population enquêtée (population rurale, niveau faible de scolarisation par exemple) reflètent les caractéristiques de la population mozambicaine, cet échantillon n’est pas représentatif stricto sensu de la population. La diversification de l’échantillon est liée aux variables concernant le thème. En effet, il était inutile de prévoir l’échantillonnage en fonction de variables descriptives générales de la population (âge, sexe, conditions de vie...) puisque nous avions préalablement connaissance de l’univers de référence d’où tirer l’échantillon.

L’échantillonnage s’est opéré suivant la technique du « tracking » d’Huberman et Miles144. Il n’y a donc pas eu de tirage aléatoire de la population enquêtée. Celle-ci a été pré-identifiée car la technique de l’entretien auprès de populations non rompues à ce type d’activité exigeait non seulement un accord de leur part, mais presque une préparation. Il était important qu’elles puissent accorder cet entretien à une personne en qui elles avaient toute confiance. Le protocole a donc été établi en fonction des paramètres de l’environnement matériel et social, d’un cadre contractuel de communication et des interventions de l’interviewer. De ce point de vue, nous appuyant sur Gotman et Blanchet, précisons certains points relatifs au protocole.

Premièrement, chaque entretien a été défini par deux contacts. Une première rencontre a été établie lors d’un séjour en août 1999. Une fois annoncée aux autorités locales de l’éducation notre intention de réaliser une étude, nous nous sommes appuyés sur les informations obtenues localement par nos différents informateurs afin d’identifier des sites. Accompagné d’un traducteur en langue locale, le Shonga, nous avons alors visité pendant plusieurs journées une quinzaine de sites potentiels et avons rencontré la personne responsable des activités pour chacun d’eux. Une première sélection des sites a ainsi été établie, retenant les zones de Cumbana, Jangamo et Inhambane. Lors d’une nouvelle visite, nous avons pu pratiquer des entretiens test avec des usagers de l’éducation non formelle. Deux personnes nous accompagnaient dans ces visites : la chef de projet éducation, travaillant dans la zone depuis 1995 et Olympio, notre traducteur, véritable sésame auprès des populations avec qui nous avons procédé aux entretiens tests. Il a été convenu que les entretiens principaux ne se réaliseraient que quelques mois plus tard, nous laissant ainsi le temps de stabiliser la grille d’entretien. Ce travail d’élaboration achevé, une deuxième visite (au mois d’avril 2000) a permis de tester et d’accepter la nouvelle grille simplifiée en fonction des arguments d’Olympio et de procéder aux premiers entretiens principaux. Notre traducteur, associé depuis le début du protocole, a su nous communiquer ses réserves et ses interrogations à propos d’une trame peut-être acceptable du point de vue conceptuel, mais inapplicable du point de vue instrumental.

D’autre part, nous nous sommes trouvés dans le cas décrit par Huguet145: il s’agissait de trouver un espace temporel de maximisation de la verbalisation. S’il demeure difficile en effet pour un apprenti ferblantier de parler librement devant un patron, il est peut être plus aisé pour une femme de parler au sein de son groupe d’alphabétisation, l’effet écho des témoins favorisant la réponse et sa densité. Aussi, le traducteur enquêteur s’est-il montré capable de maximiser cette verbalisation en établissant un calendrier (lequel nous échappait souvent, tant les finesses des contingences locales nous étaient étrangères). Une dernière série d’entretiens principaux concernant l’ensemble de notre échantillon a été réalisée en juin 2000. Nous avons pu assister à la majorité d’entre eux, mais la plupart des entretiens ont été menés par Olympio. Notre présence ne sembla pas le gêner, bien qu’il préférât parler seul, quitte à nous demander des précisions, une fois l’entretien terminé. Précisons qu’il ne faut pas compter moins de dix à quinze minutes avant de lancer véritablement l’entretien, temps courant pour les présentations d’usage. Le deuxième élément lié à l’environnement tient à la définition des lieux d’entretien : domiciles, églises, écoles, ateliers ou chantiers mais aussi à l’ombre d’un arbre. La personnalité de l’enquêteur, déjà rompu à ce type de pratique pour le compte de diverses organisations internationales a permis de limiter, bien qu’elle ait sans doute existé, la position d’interrogateur/inquisiteur souvent décrite.

Le troisième élément lié à l’environnement réside dans la distribution des acteurs: la position d’un enquêteur salarié par une organisation internationale s’expose souvent à l’envie, voire à l’ire. L’enquêteur peut être le réceptacle de revendications, voire de rancoeurs vis-à-vis de cette organisation ou, plus généralement, du pouvoir. Lapassade qualifie ces éléments «d’effets de catégorisation hâtifs »146. Il ne semble pas que ce statut ait pu altérer le matériau. Nous avions eu précédemment l’occasion de travailler à un protocole d’enquête dans le sud de la Province de Maputo147, déjà accompagné d’un tiers. Il s’agissait d’enjeux cruciaux puisque nous évoluions dans des zones fortement minées, notre travail visait la compréhension des systèmes non formels d’éducation au danger des mines et engins explosifs. Les demandes adressées à l’organisation ou à son représentant incarné par l’enquêteur étaient extrêmement rares, alors que la demande à cette occasion pouvait être légitime : quand allez-vous déminer cette zone ?

Quant au cadre contractuel des entretiens, il s’est fondé sur les précautions suivantes : premièrement, l’information concernant les buts et méthodes de la recherche a été communiquée aux enquêtés, la présentation du thème n’a pas fait l’objet de réserve, mais a levé en revanche certaines inhibitions chez les enquêtés. Ensuite, l’entretien a été conçu de manière à pouvoir considérer le discours de l’enquêté comme celui de « l’expert », lui seul en effet est usager de l’éducation non formelle et son récit, construit par son expérience, limite sa dépendance vis-à-vis de l’interviewer. Enfin, le guidage de l’enquêteur dans le questionnement a été préparé de manière à ce qu’une question ne trouvant pas de réponse malgré une relance resterait sans valeur. Souhaitant éviter dès les premiers entretiens certaines réitérations jugées offensives, nous avons joué davantage sur l’écho et la reformulation. Un autre élément doit être mentionné dans la passation des entretiens : les enquêtés étant largement informés du thème, nombreux sont ceux qui se sont livrés à un discours narratif qui, au fil du récit, répondaient à un certain nombre d’interrogations sans que l’enquêteur ait à décliner ses questions. Alors que cet élément n’apparaît pas dans la restitution des matériaux, il est l’un des traits marquants de la passation des entretiens.

L’enquêteur est enfin resté garant du cadre et de la relation avec l’enquêté ainsi que de son anonymat.

Maintenant, sur quelle base avons-nous retenu les situations d’éducation non formelle ? Afin d’extraire un matériau des sites d’éducation non formelle, nous avons retenu comme définition, pour le temps de l’enquête, celle du thésaurus européen de 1998 : « ‘Activités ou programmes organisés en dehors du système scolaire établi mais dirigés néanmoins vers des objectifs précis d’éducation’ » . C’est en effet la définition la plus simple à manipuler. Toute situation entrant dans ce cadre était susceptible d’être retenue. Bien entendu, ce cadre extrêmement large peut accueillir toute personne ayant vécu ou vivant au moment de l’enquête une situation d’apprentissage, ce cadre est adéquat avec les définitions largement ouvertes de l’éducation non formelle.

Chaque entretien a fait l’objet d’une grille écrite, guidant l’enquêteur et permettant à ce dernier de diriger la discussion. De manière à en saisir rapidement les éléments les plus marquants, nous avons convenu de limiter l’écrit sur les fiches d’entretien et d’abandonner un codage abscons, pourtant préconisé par Huberman et Miles. Un premier jeu de fiches écrites a permis de collecter les entretiens. Ces fiches constituent une pré-catégorisation des réponses par l’enquêteur lui-même, la totalité des récits n’est donc pas consignée de manière fluide et narrative. A cela, plusieurs raisons : les langues locales ne se prêtent pas aisément à l’écrit, les réponses sont donc rapportées en portugais sur les premières fiches. L’analyse de la totalité des fiches d’entretien, réalisée par nos soins, a permis de restituer la catégorisation finale des réponses et de distinguer des invariants. Les fiches sont donc ressaisies plus loin sous forme de tableaux récapitulatifs constituant le matériau organisé sous la forme d’un corpus final. On retrouvera dans la présentation du matériau une présentation verticale (suivi des réponses par individu) et horizontale (par groupes d’individus) des items traités. Nous ne pouvions pas réaliser d’analyse fine du discours en nous appuyant sur les structures syntaxique et sémantique, compte tenu d’une part de la réduction, d’autre part et surtout de la double traduction langue(s) locale(s)/portugais et portugais/français.

Par ailleurs, les méthodes d’investigation en sciences humaines proposent de nombreuses orientations dans le champ de l’observation et du recueil des matériaux. Il nous faut donc éviter de laisser planer quelque ambiguïté sur ce qu’elle n’est pas. Aussi, nous nous attacherons à re-préciser certains points concernant l’entretien compréhensif, l’observation participante et l’approche ethno-méthodologique. L’entretien compréhensif148 se caractérise par la position du chercheur. Celui-ci, est issu du terrain de la recherche. Or, dans notre enquête, le chercheur semble être double : l’enquêteur est à la fois natif de la zone et a été soumis aux mêmes turbulences que les enquêtés, même s’il s’en est un peu mieux tiré du point de vue de sa carrière professionnelle, mais le chercheur est surtout français et étranger à cette «grounded theory », cette théorie issue du terrain. Nous devons assumer que nous avons posé l’hypothèse, construit le protocole et même si nous l’avons aménagé, même si le rôle de l’enquêteur traducteur est essentiel, c’est bien nous qui portons ce travail. En revanche, le seul emprunt, involontaire d’ailleurs, digne d‘être mentionné, c’est l’entrée empathique de l’enquêteur qui a connu des tourments semblables à de nombreux enquêtés. Son degré de scolarisation (fin du secondaire) lui a été possible grâce aux possibilités d’étudier en cours du soir, dans les années post-indépendance, alors qu’il avait par ailleurs une activité professionnelle. C’est parce qu’il a acquis, au sens propre, cette expérience, qu’il est en situation de proximité vis-à-vis des personnes qu’il a véritablement débusquées. Mais l’utilisation de cette empathie touche aussi au monde affectif, aux constructions sociales en cours, permettant à l’enquêteur d’avoir une relation dialectique avec les enquêtés de manière quasi instantanée. Coulon149 rapporte l’existence dans les entretiens d’une clause  et caetera, indiquant que chacun sait ce que tout le monde sait. L’entrée immédiate de l’enquêteur dans le monde des enquêtés doit être imputée à cette clause. Mais en dépit du caractère relativement compréhensif du point de vue de l’enquêteur, ce phénomène d’empathie, malgré notre intérêt, n’a pas existé de notre côté. Il n’y a pas eu «d’imprégnation d’émotion ». En ce sens, on ne peut parler dans ce travail d’une méthode par entretiens compréhensifs.

L’observation participante, due à Malinowski, procède d’une immersion en profondeur150. On sait également les limites de la méthode de l’observation participante, si son « Journal d’ethnographie151 » rapporte les faits les plus ambigüs de l’observation participante, ils en indiquent aussi les difficultés. En aucun cas, notre enquête ne peut prétendre au statut d’observation participante. Postic et De Ketele en rappellent les conditions méthodologiques : « ‘le chercheur fait partie d’une équipe, il est impliqué et est amené à participer à certaines activités’ 152 ». De plus, «‘l’observation participante désigne un dispositif de travail et non une forme particulière d’observation. Ce dispositif de travail se met en place dès que commencent les négociations d’accès avant d’entamer l’observation proprement dite ’ 153 ». Il n’a pas été prévu dans notre protocole d’installer véritablement de dispositif de travail avec les populations enquêtées. Il ne saurait donc agir ici d’une observation participante.

Concernant l’ethnométhodologie, les mêmes précisions doivent être apportées. Nous nous attacherons à la définition qu’en donnent Postic et De Ketele : il s’agit de « ‘l’étude des propriétés invariantes du comportement quotidien, par exemple celui des gens prenant des décisions dans la vie de tous les jours’.154 ». Si nous essayons de comprendre une situation du point de vue emic (interne) ou etic (externe), sa compréhension dépend de la synergie méthodologique qui s’établit sur le terrain avec les partenaires de la recherche. Si nous entendons l’approche emic comme « ‘une comparaison des subjectivités et une observation systématique fondée sur l’observation ethnologique/anthropologique vis-à-vis de l’explicitation des raisonnements en situation, des catégories dérivées d’un point de vue de quelqu’un qui est à l’intérieur d’une situation’ 155 », nous pensons que notre travail se situe plutôt dans cette dernière logique. Nous ne pensons pas pour autant qu’une approche emic soit possible car notre statut et notre culture sont explicitement du registre etic. La conjugaison fine entre ces deux termes mérite de céder le pas à l’analyse de Fetterman156. Ce dernier postule que l’ethnographie doit se centrer sur « ‘des valeurs phénoménologiques, en étant guidé par le point de vue de l’intérieur du groupe’ «. Le jugement que portent les intéressés sur leur propre carrière doit être entendu ainsi.

Par ailleurs, l’ethnométhodologie porte un point de procédure qu’il convient d’élucider ici. Coulon157 rapporte «‘l’abandon des fameuses hypothèses avant d’aller sur le terrain ’». Il aurait donc été possible que notre hypothèse soit modifiée du simple fait de l’entrée dans le contexte d’étude et a fortiori lors du processus d’enquête. Or, si notre hypothèse, bâtie sur la revue des différentes définitions de l’E.N.F.avait été révisée par la simple confrontation à un échantillon réduit de population, deux éléments devaient alors être reconsidérés : premièrement, l’hypothèse était mal posée et deuxièmement, les définitions étaient inutiles. Nous n’avons pas eu à traiter ce point. En revanche, les apports de l’ethnométhodologie résident dans les ajustements progressifs du protocole, concernant les conditions de passation notamment. Mais nous n’avons pas, chemin faisant, formulé de nouvelle hypothèse.

Si, pour finir, nous devons qualifier le type d’entretien, nous nous appuierons sur les analyses de Postic et De Ketele en définissant notre protocole comme une enquête construite sur la base d’entretiens périphériques déclarés externes. Nous avons centré les entretiens sur des usagers et non pas sur des macro-acteurs, les entretiens sont donc périphériques, nos intentions sont avouées donc déclarées (à la différence d’un René Caillé ou d’un Malinowski, toute comparaison gardée) et l’agent enquêteur est externe au processus d’éducation non formelle.

Une question reste posée cependant, elle concerne le statut de l’étude au sein du paysage de l’enquête. La technique même de l’entretien trahit une vision de la vérité scientifique marquée culturellement et puisant ses attributs de scientificité dans les débats précédents. Cet ethnocentrisme est patent, structurel, personnel. Nous ne nous demandons pas malicieusement comme Montesquieu “Comment peut-on être Persan?” mais gardons à l’esprit que « ‘l’ethnocentrisme est inhérent à toute affiliation à un groupe socio-culturel, ethnique ou national. Il est corrélatif du mécanisme de distinction qui sépare le tien du mien, les proches et les étrangers’ 158 ». Il s’agit d’un allant de soi ethnocentriste à propos duquel Ladmiral précise « ‘qu’il est à la fois un trait culturel universellement répandu et un phénomène psychologique de nature projective et discriminative qui fait que toute perception se fait à travers une grille de lecture élaborée inconsciemment à partir de ce qui nous est familier et de nos valeurs propres’ ». Gardou159 a montré que dans toute communication interculturelle subsiste l’obstacle épistémologique de l’ethnocentrisme et du préjugé que compensent mal des positions relativistes équivoques. Or, pourrons-nous aller plus avant si nous nous contentons de mentionner l’existence de ce trait sans en donner des illustrations, sachant qu’en dernier lieu, ce sont les illustrations manquantes les plus fortement inscrites ? La question des théories du développement illustre adéquatement cette empreinte culturelle, notamment par l’attirance qu’exercent certaines formules séduisantes à propos des sociétés africaines. La formule de Poirier160, élégante et efficace, soulignant qu’au sein des sociétés traditionnelles, « ‘l’inévitable novation va être intégrée à l’indépassable tradition’ »161 est exemplaire de notre manière de penser cette altérité culturelle. De même, l’expression tiers-monde que nous ne rejetons pas, néologisme forgé par le démographe Sauvy en 1951 en référence à la question de l’abbé Sieyès à propos du tiers état témoigne de notre réification de la réalité. L’autre trait qui marque l’ensemble de l’étude, et qui dépasse les seuls entretiens, consiste à souscrire à l’idée selon laquelle « ‘il n’y a pas d’enjeu du développement qui ne soit en même temps un enjeu de pouvoir et d’intérêt’ 162 ». Hugon et Choquet163 ont montré que la critique de l’économie du développement résulte d’un courant privilégiant les enjeux pluriculturels, le jeu des représentations et de l’imaginaire, le rôle du local et du particulier, de l’informel et du non-institutionnel. Au coeur des questions générales relatives à l’altérité, cet ensemble de conceptions touchant à l’objet d’étude constitue une orientation nécessairement ethnocentrée.

L’ensemble du dispositif est mis en perspective d’une conception de la vérité scientifique. La difficulté de toute recherche scientifique réside dans le risque de falsification. On serait en droit d’attendre la preuve des affirmations. Or, nous n’apporterons ici aucune preuve immédiate. Il ne pourra pas d’ailleurs être mis en place et d’aucune manière quelque test que ce soit, validant ou invalidant l’hypothèse. Non pas que l’hypothèse soit irréfutable, ce qui ruinerait l’ensemble de l’édifice, mais parce que nous sommes dans un registre de recherche herméneutique, interprétatif, symbolique. Ainsi, le lecteur attribuera à l’ensemble du travail un degré de cohérence en fonction d’une certaine conception de la vérité scientifique. Nous admettons en effet que la technique de l’entretien, et de toute méthode d’observation non expérimentale, porte une part d’empirisme irréductible. Et si nous gagnons en créativité, du moins l’espérons-nous, nous perdons en présentation de la validité des résultats sur les seuls éléments d’enquête. La validation ne peut être tirée des éléments de l’enquête de manière immédiate, mais de manière différée, au fur et à mesure que s’élaborent les modèles explicatifs et au fur et à mesure que leur fiabilité s’impose. Ce risque est pris avec prudence, il est vrai, tant les questions de méthode importent au plus haut point dans tout travail à prétention scientifique..

Ces réserves étant faites, procédons à la lecture des résultats de l’enquête.

Notes
142.

B.I.T.

143.

BLANCHET (A.), GOTMAN (A.), Op. cité, p.54

144.

HUBERMAN (M.), MILES (M.), Analyse des données qualitatives, Bruxelles, De Boeck, 1991

145.

HUGUET (M.), Réflexions sur l’approche clinique en psychosociologie , Bulletin de psychologie, Paris, 1976, n°322

146.

LAPASSADE (G.), L’ethnométhodologie , Paris, Méridiens, 1991, p.24

147.

POIZAT (D.), Prévention des accidents par mines anti-personnel et éducation non formelle, DEA de Sciences de l’éducation, Université Lyon II, 1997

148.

on se reportera aux analyses de KAUFMANN (J.-C.),  L’entretien compréhensif, Paris, Nathan, 1996

149.

COULON (A.),  Ethnométhodologie et éducation , Paris, PUF, 1993

150.

MALINOWSKI (B.),  Les Argonautes du Pacifique occidental,  Paris, Gallimard, 1993

151.

MALINOWSKI (B.), Journal d’ethnographie, Paris, Le Seuil , 1985

152.

POSTIC (M.), DE KETELE (J.-M.),  Observer les situations éducatives, Paris, PUF, 1994, p.171

153.

Ibid., p.144

154.

Ibid. , p.144

155.

Ibid. , p.144

156.

FETTERMAN (D.-M.), « Ethnography in educational research: the dynamics of diffusion. » , Educational researcher , 1982 t.11, n°3, p.17-23, cité in POSTIC M./ DE KETELE J.M. , Op. cité. p.145,146

157.

COULON (A.),  Ethnométhodologie et éducation, Paris, PUF, 1993, p.124

158.

LEVI-STRAUSS (C.), cité in LADMIRAL (J.R.) et LIPIANSKI (L.M.),  La communication interculturelle , Paris, Armand Colin, 1989, p.137.

159.

GARDOU (C. ),  Société interculturelle et éducative , Lyon, Bulletin Binet-Simon, 1990, n° 622, p.126

160.

POIRIER (J.), GOSSELIN (G.)dir.,  Les nouveaux enjeux de l’anthropologie , Paris, L’harmattan, 1993, p.71

161.

POIRIER (J.), GOSSELIN (G.), Op. cité p.138

162.

DESCENDRE (D.) ,  L’autodétermination paysanne en Afrique, solidarité ou tutelles des ONG partenaires, Paris, l’Harmattan,  1991, p.17

163.

HUGON (P.), CHOQUET (D.), dir.,  Etat des savoirs sur le développement, trois décennies de sciences sociales en langue française , Paris , Karthala, 1993, p56