Le bâtiment scolaire public, même dans les zones peuplées, n’est pas nécessairement construit aux carrefours les plus peuplés. Les raisons peuvent être techniques : la majorité des écoles étant construites sur des plans types, avec une taille réglementaire, un terrain de dimension standardisée mais surtout les écoles sont construites à une distance jugée équitable des différents groupes de population. L’habitat, éclaté le plus souvent, n’engendre pas la présence centrale de l’école au sein des villages. Le bâtiment type est constitué d’un alignement de classes, équipées de bancs, de pupitres, d’un tableau et d’une armoire où s’entassent les livres scolaires lorsqu’ils sont présents. L’outillage didactique pour les enfants y rarement abondant. La présence de l’école au sein des communautés traditionnelles a inspiré de nombreux travaux. Erny164 notamment, dans l’optique ethnologique qu’il donna à l’analyse du fait éducatif, mais aussi Lange165 et Gérard166, s’inspirant des anciens travaux de l’école anthropologique française et des analyses ethno-sociologiques parues depuis une trentaine d’années. Celles-ci mentionnent bien une incursion de l’école dans les groupes culturels traditionnels. Historiquement, l’école n’existe pas en tant qu’espace traditionnel d’apprentissage, l’espace familial, ou au sens plus large, l’espace communautaire, assurent plutôt cette fonction. Mais le terme de communauté est vague. A cet égard, Bray et Lillis167 rappellent que la communauté peut reposer sur des bases aussi diverses que l’appartenance à un même lieu ou à un même groupe culturel, sans clôture toujours clairement spécifiée. Même lorsqu’elles existent, ces communautés closes ont assisté, voire coopéré, à la massification de l’éducation scolaire. Bien qu’inégalement répartie, rares sont les groupes restreints n’ayant aucune idée de l’école. Qu’elle soit honnie, rêvée ou vécue, cette dernière n’a plus le même caractère d’étrangeté que lui conféraient les ethnologues deux ou trois décennies en arrière .
En effet, les personnes interrogées en ont été les usagers souvent éphémères ou l’ont côtoyée indirectement. Leur rapport à l’école peut, de ce fait, être inégalement distribué. Sur ce point, Gérard note une évolution du rapport au fait scolaire différente suivant le caractère rural ou urbain des populations. Alors qu’il est difficile d’échapper à une connaissance approximative de l’institution scolaire dans les zones fortement urbanisées, les zones rurales seraient moins susceptibles de favoriser une participation massive. L’attitude des parents à l’égard de l’école indique Lange est « ‘à la fois ambiguë et changeante’ »168. Son travail concernant la déscolarisation, la désertification scolaire, l’abandon et la déperdition déplore des causes différentes. Des raisons d’ordre administratif dans les Etats pratiquant une sélection des enfants trop nombreux, en les excluant au motif de leur niveau insuffisant ou leur âge avancé sont d’abord invoquées. Le cas du Mozambique est un cas à part. Bien qu’il n’en ait pas eu les moyens, l’Etat, au long des deux derniers plans stratégiques de l’éducation, n’a cessé d’en appeler à l’école comme outil de transmission du savoir à destination des enfants, mais également des adultes. On ne peut souscrire à l’idée d’une école fermée aux adultes, elle leur est au contraire largement ouverte. Des raisons d’ordre économique sont évoquées également : l’école ne constituerait plus la voie royale pour trouver un emploi, et elle apparaîtrait même comme une dépense supplémentaire par le temps consenti à l’apprentissage qui devient dès lors un temps non productif, donc coûteux dans des économies de subsistance. Cette raison de la déscolarisation des élèves peut se répercuter sur l’usage de l’école par les adultes comme lieu d’apprentissage. Là encore, le Mozambique déroge à la règle de la sur-dîplomation observée en Afrique. Ni le manque d’universités, ni le réseau d’écoles secondaires encore insuffisant, pas plus que l’existence d’un fonctionnariat davantage constitué par l’appartenance au parti F.R.E.L.I.M.O. que par l’usage des pupitres scolaires ne se prêtent à une telle analyse.
Enfin, la troisième raison évoquée par Lange est d’ordre politique. L’école, instrument du pouvoir, réfracterait les manquements et les erreurs de ce dernier. Le refus de l’école traduirait une opposition aux institutions centrales. Il est difficile de l’affirmer pour le Mozambique. Les dernières élections présidentielles ont montré des suffrages importants pour l’actuel président Chissano, ancien héros de la révolution, bien qu’à la faveur d’élections sinon douteuses, du moins assurément gagnées à grands renforts de propagande. L’histoire récente du pays a par ailleurs démontré les capacités de la nation mozambicaine à se révolter. Aucune de ces trois raisons ne paraît suffire à expliquer le faible usage de l’institution scolaire. Plus nuancé, Gérard169 indique qu’au Mali, l’Etat n’a pas pu instituer une école, c’est à dire une culture scolaire, marquée par une scolarisation trans-générationnelle. Celle-ci eût été le meilleur gage, dit-il, que les adultes trouvent en l’école un instrument d’émancipation individuelle et collective. L’auteur parle même d’une subordination du savoir déclaratif au savoir technique, se traduisant par l’existence des petits métiers exercés par des personnes pourtant relativement éduquées au plan scolaire. Les lieux scolaires sont ainsi faiblement investis. L’explication de ce faible niveau d’utilisation de l’institution scolaire pour les adultes est sans doute à mettre au compte du contenu de l’offre d’apprentissage qu’apporte l’école. Evoquant le cas des écoles productrices qui furent à nouveau dans les années 1970 le rêve d’une nouvelle alliance entre les populations et le monde scolaire, Gakuba170 souligne des distorsions frappantes entre les attentes des familles et les niveaux élevés d’abandon en dépit d’une politique de ruralisation de l’enseignement. A sa suite, Diarra171 indique que dans la perception parentale de l’école, cette dernière doit permettre aux enfants d’échapper au milieu rural. Or, la politique de ruralisation mise en oeuvre dans de nombreux pays africains n’a jamais fait l’objet d’un enthousiasme particulier dans cette partie australe du continent, à la différence de l’Afrique de l’Ouest ou centrale. Les adultes mozambicains n’ont eu aucune raison majeure de considérer l’école comme un lieu d’investissement potentiel pour leur propre compte. Sur le plan de la gestion collective de l’établissement scolaire, nous nous trouvons également dans une sorte d’exception : la communauté villageoise participe peu à la construction ou à l’entretien du bâtiment en comparaison des populations rurales d’autres régions d’Afrique subsaharienne. Le salaire de l’enseignant, la construction du bâtiment d’enseignement et du logement des enseignants relevant au Mozambique des compétences de l’Etat, l’appropriation par les populations de l’infrastructure éducative reste anecdotique.
En revanche, il est peu vraisemblable que l’école, publique ici, soit décriée et opposée à un système privé spontané jugé davantage performant comme cela peut être le cas au Tchad172. Le système éducatif privé éventuellement opposable au système public mozambicain se trouve en ville et ne concerne pas notre étude.
On peut supposer également que l’école alimente la déception des espoirs placés en elle par les personnes enquêtées, ces dernières n’ayant bénéficié que de quelques années d’enseignement. Enfin, il est possible qu’elles assimilent l’école à l’univers enfantin.
Aucun trait majeur n’émerge vraiment pour expliquer la désaffection de l’école dans le système d’éducation non formelle. Le fait que seule l’alphabétisation y soit enseignée devrait être retenu. L’alphabétisation des adultes intéresse peu : elle a été massive au début de la guerre d’indépendance, teintée de propagande, laissant aujourd’hui peu de bons souvenirs au sein d‘une population rendue dubitative par les acrobaties libératrices d’un estado novo somme toute assez lointain.
ERNY(P.), Ethnologie de l’éducation , Paris, L’Harmattan, 1995
LANGE (M.-F.), L’école au Togo, processus de scolarisation et institution de l’école en Afrique, Paris, Karthala, 1998
GERARD (E.), La tentation du savoir en Afrique, politiques, mythes et stratégies d’éducation au Mali, Paris, Karthala-ORSTOM, 1997
in LUMUMBA (T.), Coûts, financement de l’éducation de base et participation des familles et communautés rurales dans les pays du tiers monde, Paris, IIPE , 1993 p.6
LANGE (M.-F.), Op. cité, p.286
GERARD (E.) Op. cité, ., p.225
GAKUBA (E.), Les centres d’enseignement rural et artisanal intégré au Rwanda, problèmes et perspectives , Paris, IIPE, 1991
DIARRA (I.), Le travail productif à l’école primaire, une analyse de l’expérience malienne , Paris, UNESCO , 1991.
ESQUIEU (P.), PEANO (S.), L’enseignement privé et spontané dans le système éducatif tchadien , Paris, IIPE,1994