Rôle et place de l’église

L’église est mentionnée assez rarement comme lieu d’apprentissage. Cinq personnes seulement dans notre échantillon bénéficient de cours d’alphabétisation au sein de l’église catholique. Ce nombre restreint doit être interrogé compte tenu du rôle capital que tint l’institution religieuse dans l’histoire mozambicaine. En effet, la loi n°238 du 15 mai 1930 puis le concordat du sept mai 1940 entre le Portugal et le Vatican ont scellé l’alliance entre le pouvoir colonial et l’église catholique. Cette dernière a pu développer en lieu et place de l’Etat portugais les curricula de l’enseignement primaire et secondaire jusqu’après les années soixante. L’archevêque de Lourenço Marques173 est alors de facto le ministre de l’éducation, contrôlant et limitant du même coup la percée de l’église protestante sur le territoire colonial. Mondlane174 évoque le fameux « Acte colonial » visant à préciser les rôles et fonctions de la mission catholique outre-mer: «‘christianiser et éduquer, portugaliser et civiliser les populations indigènes’». Si la responsabilité de l’église catholique dans le processus de colonisation est avérée, certains de ses membres, laïques principalement, ont épousé la cause indépendantiste. Catholique et portugais, tel était en tout cas le credo entonné par l’évêque Pereira: ‘« les gens instruits sont dans l’obligation de combattre ouvertement les illusions entretenues par les moins instruits concernant l’indépendance’ 175 ». On ne trouvera que tardivement et timidement le rôle de l’église catholique dans les accords de paix, par l’envoi aux belligérants de « lettres pastorales » rédigées par les évêques mozambicains. L’église protestante a pu par ailleurs jouer un rôle modeste dans la décolonisation, profitant d’une brèche grande ouverte à son installation. Enfin, le système musulman, par le truchement des medressas a pu étendre son influence au nord, même si l’on assiste aujourd’hui à une forte politique de construction de mosquées et de medressas, mise en oeuvre par les mouvements intégristes soudanais. De la même manière, on peut considérer l’influence grandissante d’églises ou de mouvements spirituels, de sectes, ou d’organisations à but caritatif qui ne sont que les postes avancés d’un prosélytisme ardent. Pourtant, on ne peut mentionner dans le domaine de l’éducation non formelle un rôle significatif de ces dernières.

Aujourd’hui, entre les déclarations de Mondlane, héros révolutionnaire et contempteur des différentes églises et les recommandations des deux Plans Stratégiques successifs rédigés par un autre héros de la révolution, en appelant aux églises pour l’éducation scolaire et non scolaire, un fossé abyssal semble s’être creusé. Seule concernée par notre étude, l’église catholique joue aujourd’hui un rôle discret. Bien qu’éloignée des incantations freiriennes et plus proche de la curie romaine, celle-ci met pourtant en oeuvre des projets locaux de développement  : vulgarisation agricole, éducation à la santé, alphabétisation des adultes. L’enseignement de l’alphabétisation est organisé dans l’église ou dans les locaux du presbytère. La participation y est généralement faible, comme d’ailleurs dans tout le pays.

On peut affirmer que l’Eglise demeure une institution totale, tant elle a réfracté l’égalité portugais/catholique, influençant dans l’imaginaire collectif l’idée d’appartenance à une nation rêvée par les assimilados 176, eux-mêmes détestés par une part importante de la population. De l’école ou de l’église, l’utilisation de ces deux lieux collectifs apparaît relativement anecdotique. Cette désaffection de lieux pourtant symboliquement attachés à la distribution du savoir cache-t-il une crainte ? Parmi les craintes possibles, celle du collectivisme doit être envisagée.

Notes
173.

Maputo

174.

MONDLANE (E.), Mozambique, de la colonisation portugaise à la libération nationale,  Paris, l’Harmattan, 1979, p.64

175.

in MONDLANE (E.) Op. Cité, p 69

176.

Membres de la population mozambicaine assimilés au quasi-rang de citoyens portugais