Chapitre 1 
Localisation de la connaissance : de la niche éducative à l’élargissement de la territorialité éducative ?

La dimension spatio-temporelle constitue les deux axes premiers de toute situation, nous limiterons ici l’analyse à la notion d’espace physique qui nous conduira vers celle d’espace social.

Le cadre de recherche apporte peu de nouveautés concernant les lieux d’apprentissage. L’espace éclaté est assez rapidement détecté. Aucune autre construction que les ateliers (du reste édifiés à d’autres fins que celle d’apprentissage), nul emplacement particulier ne signale la présence d’un groupe d’apprentissage. Non spécificité des lieux et impermanence des occupations de leurs utilisateurs forment la première caractéristique de ces espaces. Deux raisons principales peuvent être invoquées pour expliquer cette absence de construction spécifique à l’éducation non formelle : le coût élevé d‘un bâtiment et son utilité réduite. Concernant le deuxième point, on a vu que les groupes se réunissaient pour quelques mois, peu nombreux et que d’autres utilisaient les ateliers ou chantiers mobiles, ou encore que l’arbre, l’école ou l’église tenaient lieu d’abri. En revanche, concernant le premier point, le coût d’un bâtiment en matériaux locaux n’est pas prohibitif. Les cotations que nous avons réalisées pour construire des petites maisons en cannisse, ou en pau a pique (matériaux locaux) , de 40 m2 environ, faisaient apparaître des devis de l’ordre de 300 dollars américains, équivalant au prix de trois machines à coudre. On comprend que pour qui ne possède pas l’équivalent d’une machine à coudre, la somme paraît élevée, mais n’y voyons pas là la raison unique. Le problème réside bien plus dans l’opportunité de construction, liée à la possession d’un terrain. On prétend trop rapidement que la terre africaine n’appartient à personne, qu’elle est terre des ancêtres. Ceci est très inégalement vérifié. Au nord du Mozambique, les grandes compagnies sud-africaines ont bien tenté d’exproprier les populations rurales dépourvues de titres de propriété des terres que ces grands cultivateurs avaient achetées à l’Etat, mais au sud, les titres de propriété existent souvent et il n’est qu’à voir dans les zones minées les querelles des paysans au sujet de la délimitation de la machamba (parcelle) qui doit être déminée. Ceux-ci circonscrivent soigneusement chaque périmètre. Aussi, construire un bâtiment sur une zone illégitime n’est pas simple. On pourrait s’en tenir à cette explication, mais d’autres éléments viennent s’ajouter. En effet, quel voyageur n’a vu des bandes d’enfants taper dans un ballon au milieu de ce qui s’apparente à un stade de football aménagé dans un vaste espace, plat, et qui plus est facilement constructible. Qui n’a vu, dans les périphéries des grandes villes du sud, bordant les bidonvilles, voire même au coeur de ceux-ci, dans des zones non loties, des terrains organisés spontanément pour le sport, alors que l’espace habitable manque cruellement ? Si des raisons essentiellement techniques sont au principe de l’absence de construction, ces espaces le plus souvent appropriés illégalement sont des respirations sociales. Les travaux de Mozère188 à propos du travail au noir et de l’informalité économique proposent des éléments intéressants. Concernant les localisations de l’informalité, elle note que « ‘la spécificité des situations auxquelles les travailleurs du noir doivent s’adapter, doit être chaque fois métabolisée, analysée, travaillée, modifiée, pour faire proliférer les activités informelles. Les compétences exigées sont celles d’une parfaite connaissance des lieux et des réseaux ; ce sont les compétences du guetteur, de l’explorateur et de l’inventeur. Ne faire qu’un avec son territoire, mais aussi savoir s’en déprendre, voilà le maître mot189 ».’  Elle décrit la faculté de se nicher dans le territoire et utilise le terme anglais d’embeddededness (se nicher) . Berrat et Bacqué190 rapportent l’expérience d’une maison, au milieu d’un quartier insalubre d’une grande ville, devenant espace collectif de constitution spontanée pour les adolescents. La municipalité, magnanime, accepta d’en financer les réparations et d’y employer du personnel socio-culturel, à condition toutefois qu’une structure juridique puisse être constituée. Ce fut l’échec, cette structure, par l’injonction de se constituer, était dès lors remise en cause pour ses usagers. A travers cet exemple se pose la question du rapport des institutions avec l’initiative habitante. L’espace qu’on accorde à l’individu dans la cité serait symboliquement la place qu’on lui réserve dans la société. Et par un effet miroir, l’espace dont on ne se saisirait pas dans l’espace public augurerait du rôle qu’on ne tiendrait jamais dans la même société. Si un espace peut être investi comme espace collectif ou communautaire, celui-ci ne saurait être pour autant un espace public. C’est la relation à l’institution et à l’Etat qui se joue dans cette utilisation du territoire. Vulbeau191 appelle de ses voeux dans le secteur éducatif « ‘des structures éclatées de l’éducation populaire, comme un réseau de micro-lieux de proximité, rattachés à un équipement plus lourd’ » pour les jeunes des grandes cités. Il souhaite des lieux « mobiles et multidirectionnels » comme si le lieu central, émanation du pouvoir,  tenait lieu de repoussoir. Cette relation à l’espace et au centralisme d’Etat pose une série de problèmes, dont une des sources pourrait bien résider dans la conception qu’a l’Etat de gérer les espaces. La gestion de l’espace scolaire reste au Mozambique très largement du ressort de l’Etat.

Notes
188.

MOZERE (L.),  Travail au noir, informalité, liberté ou sujétion ? , Paris, L’Harmattan, 1999

189.

MOZERE (L.) , Op.cité, p.50

190.

BERRAT(B.), BACQUE (M.), « La place de l’enfant dans la ville, une question centrale de politique de développement social » in TESSIER ( S.) dir. ,  L’enfant et son intégration dans la cité , Paris, Syros/CIE, 1994, p.148

191.

VULBEAU (A.) « Comprendre l’espace public de la jeunesse, un enjeu et un lien entre recherche et intervention » in TESSIER ( S.) dir, Op.cité, p.36.