Chapitre 2
La question de la contingence comme motivation à apprendre

Il y a lieu de s’interroger sur les raisons de l’engagement des personnes dans leur processus d’apprentissage. Ces raisons rendent-elles compte d’une réelle impéritie ?

D’abord, un contexte de pays en reconstruction semble ruiner le questionnement, tout le monde ou presque étant logé à la même enseigne, rares sont les secteurs que la pauvreté n’affecte pas. Supporter des conditions d’existence précaires ne constitue pas un fait anormal et il n’y aurait aucune raison de mentionner une situation qui ne serait en rien particulière. Si cela est vrai du point de vue statistique : en naissant au Mozambique, les individus étaient exposés à un risque plus grand d’être pauvres, malades et de mourir plus jeunes qu’en Europe, cette justification n’est pas acceptable pour les enquêtés. Outre le fait qu’ils savent généralement assez bien estimer la richesse du riche, ils savent aussi la comparer à leur propre pauvreté. Celle-là n’aurait peut-être pas pu ne pas être, mais elle n’aurait sûrement pas dû être. Il y a ainsi un double moment de justification des situations de pauvreté. On comprend les mécanismes de la situation de pauvreté actuelle, mais on en rejette l’injustice. Le discours se décale de la relation de cause à effet de type mécaniste à un discours des «grandeurs».228 Le terme abracado désigne cette dévalorisation, ce ravalement à la grandeur des petits et des inutiles.229 Deuxièmement, en admettant que les situations précaires soient vécues comme des situations modales et presque normales, tout le monde ne participe pas volontairement à des actions éducatives dont on sait qu’elles peuvent être éprouvantes du point de vue psychologique, coûteuses en temps et en argent230. La participation à ces actions éducatives est une réponse à certaines difficultés initiales231 constituant des obstacles à l’accomplissement personnel des enquêtés et à l’amélioration des conditions d’existence matérielle de leur entourage. Envisageons maintenant cette notion d’obstacle.

Notes
228.

BOLTANSKI (L.), THEVENOT (L.),  De la justification, Paris, Gallimard, 1991

229.

On retrouve la même expression dans le vocabulaire créole haïtien  fatras bâton : rompu et bon à jeter

230.

Pour une femme en apprentissage d’alphabétisation, l’effort consenti à l’apprentissage est aussi un effort consenti sur le temps de production.

231.

Je n’arrivais pas à nourrir ma famille, divorce, difficultés du pays...