3.3 Pour une discussion des procédures de classifications internationales en éducation

Il est nécessaire de clarifier certains points concernant la théorie de référence des classifications internationales.

Si celles-ci ont une visée descriptive de la réalité, rien ne s’oppose à ce qu’elles se situent dans le sillage d’une théorie de référence et d’un méta-discours. Dans le domaine de l’éducation, les conventions internationales constituent la seule référence stable, observable, limitant le risque d’équivoque (bien que par essence toujours discutable) et pourtant évolutive. Les textes internationaux font référence à la théorie du droit. Le droit national entérine souvent les usages, à la différence du droit international qui les anticipe parfois, notamment le domaine du droit international public. Mais d’une manière générale, le droit national et international, outre leur visée prescriptive, comportent une dimension descriptive connexe importante. L’état du droit reflète toujours l’état d’une société.

Mais le droit ne peut présenter à lui seul le registre complet des activités éducatives tout au long de la vie, ni sous toutes ses formes. Il s’agit d’une théorie ad hoc pour qu’au niveau international, des catégories puissent en première intention être distinguées au moins sur le registre prescriptif439. En deuxième intention seulement, dans un registre descriptif cette fois, interviennent d’autres champs théoriques capables d’établir de nouvelles formes et de distinguer de nouveaux modèles répondant à leur tour aux cinq exigences précédentes entre objet, modèle et théorie. Notre proposition prendra alors la forme suivante ci-dessous.

message URL FIG06.jpg
Figure 4 : proposition d’une arborescence pour une nouvelle classificationdes types d’éducation

Exemples d’éléments conceptuels nécessaires pour l’établissement de modèles ou le tracé de formes

Ce prototype est disjonctif, il fait alterner au minimum deux modes classificatoires. Le premier est un modèle de type législatif sensible prenant en compte les droits et devoirs en matière éducative du point de vue de l’unité Etat ou du point de vue interétatique, via les textes internationaux. Le deuxième mode classificatoire renvoie à une approche particularisée mais non spécifiée des formes et modèles divers établis à la faveur des entrées théoriques mises en oeuvre et susceptibles de proposer des types d’éducation non atomisés et durables de la réalité éducative. La distinction entre prescrit et observé n’apparaît que dans la classification visant l’obligation législative. Dans ce domaine, la réalité rejoint rarement l’utopie, aussi, s’en tenir au domaine du prescrit ne pourrait en aucun cas rendre compte de la réalité. En revanche, si nous pensons avoir pu limiter les ambiguïtés du non formel, d’autres problèmes semblent bien plus difficiles. Comment obtenir un consensus international sur les modèles et sur les formes ? Les Sciences de l’éducation parviennent désormais à établir ces modèles de façon durable et selon des méthodes sinon proches des conférences de consensus, qui s’en approchent néanmoins. Si celles-ci sont encore peu répandues, elles se développent cependant et s’il est vrai qu’elles resteront toujours limitées par les axiologies et la force des substrats culturels, elles permettent à terme de dégager une stabilité des formes ou des modèles. Il nous faut passer, à propos de l’informalité, d’un mode de pensée atomisée et désormais caduque à la décision de prendre en compte l’incertain. Il nous faut donc réfuter l’idée selon laquelle la complexité est l’ennemie des classifications internationales. Si c’est une banalité aujourd’hui que de souligner l’importance des espaces d’appartenance trans-nationaux, l’erreur profonde consisterait à nier une quelconque utilité aux classifications internationales. Alors que les crédits internationaux en faveur de l’éducation vont en priorité au monde scolaire, c’est parce que c’est le plus décrit, le plus étudié et le plus coûteux aussi. Mais la connaissance en ce domaine est encore insuffisante, et les éléments stabilisés par les économistes à destination de la communauté éducative restent limités en nombre et en objet. Ce n’est en effet qu’une partie du spectre des activités éducatives qu’ils observent. On doit considérer alors que l’Ecole, toute tentaculaire qu’elle puisse être, n’est pas encore la forme éducative aboutie. Une classification équivoque sur une partie des activités éducatives laisse penser que seule l’éducation scolaire jouit d’une validité par la catégorie identifiée qu’elle représente. Vincent ayant établi les contours de la forme scolaire, puissante et étendue, pourrait-on aujourd’hui penser une seule forme? Vincent a très justement vu que la forme scolaire concernait les pays industrialisés. Il reste peut-être encore d’autres formes scolaires à explorer sous d’autres cieux comme il y a d’autres formes à tracer dans les autres champs éducatifs. Or, la négociation entre le domaine formel et le domaine non formel qui a prévalu jusqu’à aujourd’hui procède nous semble-t-il d’une gestion de l’incertitude. Rares sont les analyses comparatistes standardisées qui se préoccupent vraiment de l’éducation non scolaire. Le domaine de l’éducation hors l’école est celui de l‘incertain et, paradoxe, on ne l’explore pas. L’informel ou le non-formel sont, selon l’analyse de Mozère440 « ‘la forme absente’». Elle indique que l’ensemble de la dynamique de l’économie informelle ne peut être pensé que dans le rapport à la loi. Bourdon, Jarousse et Mingat441 ont défini eux aussi le secteur informel de l’économie comme « ‘la réunion de l’ensemble des entreprises qui n’ont aucune comptabilité légale et n’acquittent de ce fait aucun impôt sur les bénéfices’. ». On se préoccupera donc, de la même manière dans le domaine de l’éducation, du rapport à la loi. En tant que droit d’un côté et devoir de l’autre, l’éducation doit être pensée au premier chef dans cette relation au droit. Constatant que l’interrogation à propos du paradigme non formel ou informel ne s’adresse pas au seul domaine éducatif, il est nécessaire d’observer les positions des autres domaines scientifiques à l’égard d’un problème similaire. Mozère a répondu nettement à la question de la qualification du secteur informel : le secteur informel n’existe pas. Quelques exemples de sa réfutation nous éclairent. En effet, le secteur économique informel ne l’est jamais totalement; le formel a toujours des poches d’informalité (transgression, corruption), enfin, les différents secteurs de l’économie informelle n’ont rien de commun entre eux et ne forment donc pas un secteur spécifique. La difficulté de la définition est en sociologie comme en éducation soulignée. La forme absente ne se livre donc qu’à la mesure de son exploration. On prétextera que l’absence de forme témoignant en soi de l’absence de force, elle n’est susceptible de susciter qu’un intérêt limité. Le désintérêt marqué des sciences de l’éducation françaises pour le concept d’informalité et de non-formalité tient essentiellement au fait que ces vocables n’ont acquis ni reconnaissance conceptuelle, ni validité pragmatique. L’entre-deux dans lequel l’éducation non formelle est tenue, véritable auberge espagnole de l’éducation, est symptomatique de son existence sans épaisseur, voire de son inexistence. Symptomatique d’une forme de prise de conscience, la description d’une forme éducative obligatoire fait l’objet de Colloques en éducation comparée. Ainsi, le VIIIe Congrès National espagnol d’Education Comparée qui se tiendra à Salamanque (Espagne) du 20 au 23 novembre 2002 montre clairement cet intérêt pour une qualification basée sur le droit. ‘« L’éducation obligatoire en Europe et en Amérique Latine ’» en constitue en effet le thème central. Nous avons ainsi tenté de montrer les possibilités de traiter la question des formes éducatives diversifiées dans les classifications internationales. Nous procédons à une rapide synthèse de la troisième partie avant de conclure ce travail.

Notes
439.

Le rapport annuel sur le développement humain du PNUD prend dorénavant en compte la liste des Etats membres signataires des traités et conventions relatives à l’éducation, ratifiées ou non.

440.

MOZERE (L.) Op. cité, p.88

441.

BOURDON (J.), JAROUSSE (J.-P.), MINGAT (A.), Formation et revenus dans le secteur informel : l’exemple de l’artisanat et du petit commerce à Niamey. IREDU/CNRS, Dijon, juillet 1989, p.2