CONCLUSION

Dans ce travail, nul remède ne prétend offrir de solution compensatoire aux défaillances de l’école. Ni nous n’approuvons, ni ne réfutons l’idée selon laquelle une forme diversifiée d’éducation constituerait une esquisse de solution aux difficultés rencontrées dans l’atteinte de la couverture universelle d’éducation. Les questions liées à l’équité ne pourront être traitées par des réponses simples tirées de l’élargissement de l’offre éducative aux formes diversifiées d’éducation.

Le temps des expériences pilotes a vécu, l’éducation non formelle, si elle parvient un jour à jouer cet effet compensatoire, ne pourra l’assumer qu’à la mesure de son existence clairement assumée. Cela ne résoudra dans les pays en développement, premiers concernés, que partiellement les problèmes d’équité. En tout état de cause, l’éducation non formelle ne peut dans l’état actuel de sa qualification qu’apporter un alibi éducatif face aux systèmes défaillants.

Par ailleurs, des pans connexes à l’éducation non formelle n’ont pas été explorés et nous devons nous en expliquer. Tout d’abord, nous avons abordé de manière elliptique la question de l’éducation informelle. L’émergence de la classe informelle, concomitante de celle du non-formel invitait en apparence à nous y attarder. Même si par voie de conséquence cette classe est entraînée dans la chute du non formel, il était nécessaire de limiter l’objet. En l’élargissant au secteur éducatif informel, selon la qualification d’Evans, il était alors nécessaire d’explorer le secteur non formel et le secteur informel tel que le domaine familial étroit et d’une manière plus large, environnemental. Cette classe n’est d’ailleurs pas aussi problématique que peut l’être la classe du non formel. Elle ne réfracte pas autant d’ambiguïtés et elle a déjà fait l’objet d’une exploration fournie à travers la recherche conduite par Pain. Les conclusions de ce dernier ne remettent pas en cause explicitement les classifications internationales mais apportent des réserves sur le mode de qualification dont elle fait l’objet. Son entreprise montre l’utilité de l’éducation informelle dans les processus de formation, elle tend ainsi à apporter une forme de particularisme au secteur informel et vise, de fait, à réhabiliter cette forme oubliée. Aussi intéressante et féconde que soit sa démarche, l’optique de Pain ne masque pas les difficultés relatives à la description des systèmes. Il ne s’agit pas de s’accommoder de ces classes mais d’en discuter l’autorité du reste lézardée, car nul ne sait ce qu’est l’éducation informelle et nul n’affirme clairement, y compris ceux qui les ont élaborées, ce que sont ces catégories. S’il nous faut considérer la mollesse des objets éducatifs, leur perméabilité aux axiologies, aux cultures et à l’histoire, nous le ferons volontiers mais la prudence ne doit pas être ennemie de l’imagination. Ce serait au contraire être imprudent que de laisser entendre les vertus compensatoires de l’éducation non formelle vis-à-vis de modèles scolaires défaillants : il faudra bien tôt ou tard cesser cet attentisme et voir de quoi il retourne. Le Mozambique nous enseigne que l’Etat est des plus magnanimes dans les textes mais l’absence de gestes concrets de sa part pèse lourdement dans les faits. Qu’en sera-t-il quand la nation demandera à l’Etat des comptes sur son engagement vis-à-vis du non formel ? L’enjeu est de taille. Dès l’instant où les associations, les clubs et les entreprises privées sont reconnues pour leur contribution à l’effort d’éducation que l’Etat prétend assurer, elles sont en droit de demander à celui-ci sa juste contrepartie. Or, d’une manière générale, l’éducation non formelle n’a aucune réalité juridique, elle n’a aucun statut, elle n’est qu’une idée et au fond, rassemble tous les attributs du prétexte au désengagement de l’Etat.

Avons-nous montré suffisamment la place de ces enjeux? Ils ne se situent pas uniquement dans la précision conceptuelle de telle ou telle classe, mais dans les conséquences pour l’accès à l’éducation qui en découlent, et sur les effets possibles sur l’équité de la distribution des biens culturels. Sans doute, l’établissement de telles catégories témoignait-il dans les années 1970 d’un réel progrès dans la prise en compte globale du fait éducatif. Loin de vouloir nier cet aspect, nous ne pouvons plus nous en satisfaire. C’est une inquiétude en effet qui traverse l’ensemble de l’étude: comment justifier l’usage de crédits internationaux ou nationaux sur la base de systèmes aussi confus ? Les classifications internationales en éducation apparaissent parfois de piètre utilité aux systèmes nationaux. Faut-il les abandonner? Il faut au contraire les renforcer. On leur reproche leur ambition titanesque? Il faut en réduire la portée. Réduction et durcissement constituent la nécessaire réforme d’une classification devenue un objet à la fois surinvesti et sous qualifié pour les systèmes éducatifs non scolaires. Quels sont les principaux éléments d’une pareille réforme? Concernant les systèmes formels, nous avons vu qu’il n’entrait pas dans notre propos d’opérer une quelconque modification des descriptifs. Cependant, il faut bien admettre que l’élargissement à toutes les formes d’éducation est problématique. C’est sur ce point que devrait porter l’attention des planificateurs et des comparatistes. Les sciences de l’éducation ont bien contribué à investir toutes les formes éducatives possibles, mais elles ne les ont pas organisées, faute d’une théorie de référence qui permette de stabiliser les facteurs d’inclusion et d’exclusion propres à toute catégorisation. Leur propos modélise le fait éducatif plus qu’il ne le catégorise. Aussi, loin de voir en cette tradition des Sciences de l’Education un échec ou une faillite, il est nécessaire que dans le registre des classifications notamment, elles adoptent la posture adéquate. Les discussions entre éducation et politique sont au fondement de multiples analyses, plus rares cependant sont les études qui concernent le droit et l’éducation. S’il est un levier sur lequel les Sciences de l’éducation et avec elles le comparatisme, doivent agir, c’est bien sur celui du droit. Nous avons mentionné les avancées du droit international public, souvent en avance sur les pratiques tandis que le droit national public entérine plutôt des usages pré-existants. Les textes internationaux relatifs à l’éducation manifestent également cette ambition à la fois prescriptive et anticipatrice. Pour autant, les pratiques ne suivent pas toujours. Dès lors, le principe de réalité devrait dicter la réforme nécessaire de la description des systèmes non scolaires d’éducation. Ainsi, le surinvestissement peut-il être contenu dans les limites du droit, seul capable d’indiquer clairement les facteurs d’inclusion et d’exclusion des catégories. La sous qualification de la classification en sera renforcée. Par l’outillage conceptuel qu’ils proposent, le droit international, le droit national comme le droit comparé apporteront l’aide nécessaire à la comparaison. Novoa442 rappelle que la nation et l’Etat en tant qu’objets observables sont susceptibles de conforter la comparaison, mais il a raison d’insister sur les nouvelles grilles de lecture nécessaires aux espaces d’appartenance, qui ne sont pas seulement territorialisés au sein des frontières nationales, mais imaginés. Nous ajoutons qu’ils s’incarnent dans les filiations au sein des différentes familles de droit sur la planète. Dans cette ligne, le droit comparé autorise l’identification d’espaces d’appartenance diversifiés. Aussi, les classifications internationales en éducation ont-elles tout intérêt à s’adosser à la théorie du droit pour distinguer les classes éducatives majeures. Elles le font déjà néanmoins par la prise en compte de la certification des systèmes formels. Mais elles n’exploitent pas suffisamment les ressources du droit comparé dans leurs analyses.

Aucune classification internationale aujourd’hui ne peut prétendre rendre compte de l’ampleur de formes éducatives  en relation avec les styles de droit qui les sous-tendent. A travers les conceptions de l’Etat fondées sur le droit naturel ou le droit humain443, s’inscrivent en profondeur les conceptions de la forme éducative. Que savons des rapports entretenus par la Common Law anglo-saxonne avec l’obligation d’éducation ? Nous ignorons la relation entre l’obligation d’éducation et le droit civil, le droit coutumier ou le droit musulman. Nous ne savons rien, ou presque rien, ou plutôt, les classifications internationales de l’éducation ne nous en disent rien. Les analyses nécessairement atomisées traitant ces questions n’ont pas fait l’objet de méta-analyses remarquables. Il s’agit alors de rendre les classifications internationales plus opératoires dès lors que s’instaure la prétention à classifier les grandes familles éducatives. Loin d’une réforme au sens copernicien, voilà un progrès. Progrès largement requis : la mondialisation ne peut être synonyme d’homogénéisation des formes d’éducation, elle favorise aussi les replis identitaires et la résurgence de particularismes jusque là oubliés. On assiste aussi, dit Novoa à « ‘l’émergence de modèles de référence qui tendent à se construire grâce à des liens, des réseaux et des filiations qui dépassent les frontières traditionnelles’ »444. L’issue vers laquelle les classifications internationales sont invitées à se diriger en appelle donc à la prise en compte de cette diversification, faute de quoi, elles perdront de leur dynamisme et resteront assises sur une vision statique de l’éducation. Notre proposition touche ici uniquement à la description sensible des classes de l’éducation. Nous ne reviendrons pas sur les formes particulières d’éducation suffisamment décrites dans les pages précédentes. Elles ne peuvent être établies sur la base d’une classification digne de l‘impératif catégorique. Cela ne les disqualifie en rien. Les classifications ne digèrent en effet que ce qui est comestible. Ainsi toute forme, satisfaisante par ailleurs du point de vue de la modélisation, ne répondant pas à des critères d’exclusion tranchés doivent être exclues d’un mode classificatoire. Il s’agit bien pour renforcer la validité des classifications d’en limiter la portée.

Au terme de ce travail, il nous faut nécessairement en interroger la validité. Son protocole et sa construction interne sont au principe de ses critères de scientificité. La validité de construit dit Mainville445 peut « ‘être vérifiée en les mettant en relation avec une variable-critère qui, elle, correspond à un construit établi, ou presque’». Nous avons tenté d’obtenir une variable-critère de l’éducation non formelle tirée des définitions. Cependant, la diversité des critères établis ne permettait pas d’obtenir une variable critère susceptible de nous fournir un étalon. L’impossibilité de donner à l’éducation non formelle une définition spécifique est établie. Cependant, on nous reprochera d’avoir insisté sur le cas du Mozambique, qui ne rend compte en rien des autres formes revêtues par l’éducation non formelle dans d’autres contextes. Mais cette remarque vaut pour tous les contextes. Aucun n’autorise un quelconque élargissement sauf peut-être le modèle sportif que nous n’avons pas rencontré446. Le sport comporte en effet de nombreux attributs susceptibles de rendre compte de la miscibilité des catégories. N’en prendre aucun n’était pas recevable non plus. On ne peut s’en tenir à une exploration surplombante des grandes tendances de l’éducation non formelle dans le monde. Cependant, acceptons les limites de notre entreprise. Elles sont relatives aux théories de l’apprentissage et de la cognition. Un protocole trop lâche n’a pas permis de cerner les disjonctions entre un système d’apprentissage observable en situation scolaire et un raisonnement en situation réelle. Cette limitation a empêché de saisir finement les perspectives d’élaboration de la connaissance chez des sujets interrogés de manière superficielle.

D’autre part, la limitation du modèle disjonctif des classifications internationales proposé ci-dessus est évidente et elle ne manquera pas d’être soulignée par le comparatiste. Elle touche à la faisabilité de sa mise en oeuvre. On imagine mal comment des formes non scolaires pourront être comptabilisées et favoriser l’établissement de systèmes d’information cohérents nécessaires à la comparaison internationale. Là encore, la prudence obligera à considérer que le comparatisme basé sur les indicateurs observables et quantifiables tels que ceux utilisés pour les systèmes scolaires n’atteindra vraisemblablement pas les formes particulières d’éducation éventuelle. Nous resterons limités par des modélisations de type qualitatif. La faisabilité de cette proposition tient à la cohérence des modélisations entre elles: de ce point de vue, tous les descriptifs de la C.I.T.E. ou de toute autre classification peuvent être mobilisés sans qu’il soit nécessaire d’en corriger le contenu. Ainsi, les concepts d’éducation permanente, d’autodidaxie ou de compétence peuvent-ils retrouver une nouvelle vigueur au sein des descriptifs de formes particulières et non spécifiques d’éducation. Là ne réside pas le problème, ces attributs figurent bien dans une classification des termes de l’éducation. La difficulté tient au fait que les formes particulières d’éducation entreront difficilement dans une classification des Types d’éducation pour les raisons évoquées plus haut. Ce faisant, la portée d’une telle proposition réduit considérablement les prétentions d’une classification internationale. Ne s’agit-il pas là d’un processus entraînant la ruine d’un édifice qu’aucune mesure ne serait susceptible d’améliorer? Le comparatisme s’est passé des descriptifs des formes d’éducation non formelle, il s’en passera encore pendant de nombreuses années. Mais en limitant son objet, la comparaison aura gagné en précision. Il reste que si les formes d’éducation éventuelle restent inaccessibles à certains types de mesure utilisées en comparaison internationale, l’invention des protocoles adéquats à un tel projet reste à faire.

Enfin, nous nous sommes efforcé de ne pas nourrir des clivages parfois commodes. Ces derniers concernent les dichotomies entre forme scolaire et non scolaire d’une part, entre approche quantitativiste et qualitativiste d’autre part. La thèse que nous présentons entend dégager la voie à ce qu’il est possible de faire et de ne pas faire dans le domaine de la comparaison concernant les formes éducatives non scolaires. En aucun cas, il ne s’agira d’y voir un quelconque déni du travail accompli dans le registre formel. L’O.C.D.E., l’I.E.A. , la C.O.N.F.E.M.E.N., l’I.R.E.D.U. et le Groupe Banque Mondiale ont réalisé à cet égard les études comparatives avec des protocoles certes discutés, mais qui présentent sur le plan de la catégorisation une robustesse méthodologique défaillante, particulièrement dans les formes diversifiées d’éducation.

Notes
442.

NOVOA (A.),  » Etats des lieux de l’Education comparée, paradigmes, avancées et impasses » , in SIROTA R. (dir.) « Autour du comparatisme » Paris, PUF, 2001, p.41 et suiv. 

443.

Nous renvoyons bien entendu à la notion d’Etat de droit, c’est à dire encadré par le droit. Deux conceptions de l’Etat de droit sont fondamentales suivant que l’Etat est fondé sur le droit révélé ou sur le droit humain, fécondant des conceptions de l’éducation et les formes sociales. Les écoles coraniques en sont l’exemple le plus frappant.

444.

NOVOA (A.), Op. cité, p.48

445.

MAINVILLE (S.), Op. cité, p.84

446.

Notre échantillon est relativement homogène, restreint, et ne couvre pas tout le champ des contenus d’apprentissage de l’éducation non formelle. L’essor de la pratique sportive et son institutionnalisation visible dans les programmes scolaires, les strates et la doctrine de l’organisation olympique auraient pu constituer un objet d’analyse typique du domaine non formel, étendu et fréquent. Par ailleurs, la fonction agonale du sport est comparable au caractère défensif du savoir des enquêtés face à l’adversité.