4) Méthodologie de la recherche.

Pour vérifier ces hypothèses, cette étude se propose de réaliser une recherche comparée de la problématique du risque, dans deux cas sélectionnés dans deux pays différents. Le premier cas est une analyse des risques produits par l’introduction de technologies dites alternatives dans le réseau d’assainissement de la ville de Lyon. Le deuxième se propose d’analyser les situations de risque dans un hôpital universitaire de la ville de Montevideo.

GLASER et STRAUSS10 soulignent l’idée que la portée d’une théorie peut être soigneusement augmentée et contrôlée par l’élection consciente des cas à comparer. Dans ce sens, la sélection des cas très différents entre eux, contribue plus au développement de la théorie que la sélection de cas semblables. Cette deuxième option se justifie si la logique de la recherche est orientée vers l’obtention de preuves exactes par la description et la vérification. Par contre, quand la logique de la recherche est orientée vers la construction théorique, la comparaison de cas très différents contribue positivement au développement de la théorie.

La comparaison des cas donne la possibilité de maximiser ou minimiser certaines différences et similitudes. Ce contrôle est très utile pour découvrir des catégories et pour développer des propriétés théoriques nouvelles. Quand on maximise les différences tout en changeant le regard de la recherche, (par exemple, quand on compare différentes organisations, régions ou pays) on découvre, logiquement, des différences importantes entre les cas. L’analyse des conséquences de ces différences a d’importants effets dans les opérations de recherche et dans le développement de la théorie. Dans ce sens, on peut souligner les différences et les similitudes dans les cas choisis dans notre étude.

La maximisation des similitudes réside dans le fait que, dans les deux cas, nous nous trouvons en face de risques créés par des institutions de la modernité. Dans le cas du réseau d’assainissement de la ville de Lyon, nous sommes en face de risques liés à l’usage des ressources naturelles dans une zone urbaine hautement organisée. Dans le cas de l’hôpital universitaire de Montevideo, nous sommes en face de risques liés à la complexité d’une méga institution hospitalière. Dans les deux cas, on trouve l’émergence d’un “ système réflexif ” autour du risque : les acteurs, les comportements, les règles, les contradictions, les dynamiques et les logiques d’action développés dans les deux cas répondent à une conception du risque de la modernité avancée, où l’incertitude et la réflexivité forment partie inséparable des rapports sociaux.

La minimisation des éléments de similitude, entre les deux cas, réside dans la différence des conditions d’apprentissage des acteurs concernés dans les systèmes réflexifs. Dans le cas du réseau d’assainissement de Lyon, on trouve un difficile processus d’apprentissage culturel fait par des acteurs nombreux et hétérogènes (politiciens, techniciens, usagers, etc.) qui participent à un système d’action flou, avec de faibles rapports entre eux. Dans le cas de l’hôpital de Clínicas de Montevideo, nous sommes en présence d’un processus d’apprentissage organisationnel fait par des acteurs qui participent à une même structure institutionnelle, dans laquelle les problèmes de coopération et de construction de normes de fonctionnement sont les enjeux centraux.

Dans le réseau d’assainissement de la ville de Lyon, le risque concerne différentes organisations et différents acteurs sociaux ; on peut parler de situation de risque collectif. Dans l’Hôpital de Clínicas de Montevideo, nous sommes en présence de situations de risque dans une organisation restreinte. Cette différence nous oblige à utiliser, en plus du cadre théorique général pour comprendre l’émergence des systèmes réflexifs, des cadres théoriques spécifiques. Dans le cas de la ville de Lyon, il faut une approche qui permette d’analyser les difficultés devant lesquelles se trouvent des acteurs hétérogènes et peu organisés, pour construire des actions communes. Dans le cas de l’Hôpital, l’analyse est centré sur les routines organisationnelles construites par les acteurs et l’émergence de nouvelles règles pour faire face aux situations de risque.

Les différents contextes culturels et normatifs dans lesquels se situe le comportement des acteurs en relation au risque constituent un autre élément de différence entre les cas sélectionnés. L’attitude en relation au risque, qu’il soit spécifique ou diffus, collectif ou individuel, est conséquence de la culture d’une société, des différents sous-systèmes culturels et des cultures de risque élaborés par les organisations et les institutions. Dans cette perspective, l’analyse comparée doit mettre l’accent sur les aspects culturels locaux qui ont une forte incidence dans la perception et la valorisation des risques des groupes humains.

Les deux situations de risque analysées sont traversées par les cultures de risque développées dans le système social plus large. Dans ce sens, une première différence qu’on peut établir est que la conscience des risques collectifs est plus développée en France qu’en Uruguay. On peut vérifier cette hypothèse par l’absence, dans la société uruguayenne, d’acteurs sociaux ou politiques liés de façon permanente à la gestion publique du risque. De plus, la thématique du risque n’est objet ni de réglementation spécifique ni de politiques publiques ni de programmes visant à la diminution des dommages.

Une deuxième différence que l’on peut établir se réfère au niveau de développement technologique présent dans les deux cas sélectionnés. Dans le réseau d’assainissement de la ville de Lyon, nous sommes en présence d’un ensemble de techniques alternatives qui constituent un changement qualitatif par rapport aux techniques classiques utilisées jusqu’à présent. Dans le cas de l’Hôpital de Clínicas, l’introduction de techniques modernes est beaucoup moins importante. Dans quelques secteurs de l’Hôpital seulement, les situations de risque sont liées à l’introduction de nouvelles techniques (par exemple, l’apparition de risques comme le SIDA a obligé à faire des changements dans les routines de travail et a favorisé l’introduction de techniques plus modernes dans certains secteurs de l’Hôpital).

L’existence de similitudes et de différences entre les cas sélectionnés rend possible le développement de deux processus différents mais convergents. Les éléments de similitude nous donnent le cadre pour réaliser, dans deux systèmes experts différents, un contraste au sein de la thèse proposée : la discussion sur l’émergence de nouvelles logiques d’action dans des contextes de risque. Les différences, à leur tour, nous permettent de développer dans le cadre de cette comparaison, les caractéristiques spécifiques des “ cultures de risque ”, les modalités assumées par la négociation des seuils acceptables de risque, et les différences dans les processus d’apprentissage de la gestion du risque mis en place dans chacun des contextes.

Notes
10.

GLASER, B., et STRAUSS, A. 1967.