CHAPITRE II
Les nouvelles formes d’action sociale.

Le risque conçu comme le produit de l’activité humaine introduit une nouvelle possibilité pour une réflexivité subjective entre les acteurs sociaux concernés par sa gestion. La négociation et les conflits autour du risque font émerger la notion de risque acceptable comme construction sociale. Ce nouvel enjeu introduit des nouvelles logiques dans l’interaction et les échanges entre les acteurs, dans le cadre de ces négociations et conflits, plus centrés sur des notions comme la confiance, la traduction et l’action commune.

Mary DOUGLAS 57 a essayé de montrer que la perception du risque dépend de la structure de l’institution dans laquelle les risques se produisent. Les comportements des acteurs sont déterminés pas les limites externes définies par les collectivités d’appartenance et par les opportunités de négociation ouvertes par les membres individuels. DOUGLAS montre quatre grands types de comportement face au risque, caractérisés par le croisement de deux dimensions : le loyalisme par rapport à l’extérieur, et la hiérarchie interne.

Le premier type est plutôt caractérisé par la recherche du risque et par l’acceptation de la perte. L’individu est laissé au hasard d’une grille hiérarchique très lâche et d’un sentiment de groupe également ténu, dans lequel la concurrence l’emporte sur les règles professionnelles. Les entrepreneurs et les savants, malgré les apparences institutionnelles, se meuvent dans des contextes sociaux assez analogues, du moins par la faiblesse des liens hiérarchiques qui régissent leurs professions.

Le deuxième type vit dans un monde compartimenté (grille forte), où il y a peu de mobilité et où les marges de liberté individuelles sont étroites. Prendre des risques est donc plutôt mal vu et l’on fuit la réprobation sociale en essayant de régulariser les événements du secteur où l’on travaille. Cette propension à fuir individuellement la prise de risque peut d’ailleurs être associée à une prise de risque collective, mais qui n’est pas ressentie comme telle par chacun des acteurs. L’administrateur est un exemple de ce type.

Le troisième type, principalement incarné par les écologistes, se compose de militants peu payés, égaux entre eux (grille faible), mais fortement motivés (fort sentiment de groupe), et apporte, à la façon d’une secte, une condamnation globale de la société en mettant l’accent sur les risques catastrophiques menaçant la planète.

Un quatrième type est représenté par les exécutants salariés, caractérisés par leur situation de subordination dans un groupe faiblement cohérent, mais à forte hiérarchie. Ce type est exclu d’un rapport actif au risque et se trouve conduit à développer une conception fataliste et passive de la destinée. On peut également situer dans ce cadre un grand nombre d’usagers et de consommateurs réduits à la passivité par rapport aux instruments d’influence sur leurs choix, et pouvant faire écho, de façon ambiguë et souvent contradictoire, de la condamnation des groupes militants.

L’analyse faite par DOUGLAS, même si elle apparaît plus appropriée pour étudier les cultures de risque dans les systèmes organisés, a l’avantage de placer la discussion des niveaux acceptables de risque dans le cadre des valeurs et des normes qui régissent la conduite des institutions et des collectivités. Dans ce chapitre, nous essaierons de compléter les propositions de DOUGLAS avec une discussion sur les nouvelles formes d’action sociale dans les contextes de risque. L’objectif de ce développement est de discuter l’incorporation des aspects partiels ou globaux de différentes approximations de la théorie de l’action, pour approfondir la définition des “ cultures de risque ” élaborée par DOUGLAS. Ceci n’implique pas d’ignorer les définitions et les apports faits par l’auteur, mais de les ajuster et de les compléter afin d’établir un concept qui puisse rendre compte de la gestion du risque dans les systèmes experts et orienter la recherche empirique. Cette démarche implique la nécessité d’incorporer des concepts tels que ceux de l’action commune, la coopération, la régulation autonome et la traduction. Pour atteindre cet objectif nous devons développer des perspectives et des apports sur ce que BECK a appelé les nouvelles formes de subjectivité fondées sur les transformations profondes de la modernité.

Notes
57.

Op. cit. pg. 7