2.4) Le calcul du risque.

Les travaux de SAINSAULIEU 68 montrent que les acteurs sociaux n’ont pas tous la même capacité de calculer et de gérer les risques. Selon leur place dans la structure sociale et dans l’organisation, certains peuvent faire plus d’erreurs que d’autres et peuvent aussi mesurer et supporter davantage les conséquences de leurs choix. Le calcul du risque est un élément central du comportement relationnel, mais il est fortement influencé par des conditionnements sociaux qui s’exerceraient tant par le biais des ressources culturelles et de pouvoir dont les acteurs disposent, que par celui des procédés de clarification des choix. La capacité stratégique peut être profondément oblitérée par les possibilités sociales de mesure des risques ; les conduites individuelles à l’égard du risque et de l’incertitude sur les conséquences de ces choix sont différentes selon l’origine sociale et le milieu culturel des gens et peuvent être amplifiées ou diminuées par les facilités d’échanges et de discussions collectives qui précèdent la formulation des choix individuels.

Selon SAINSAULIEU, les individus animés par le souci de se protéger contre l’échec tendent, ou bien à éviter tout risque, ou bien à affronter des risques extrêmes, alors que les gens orientés vers le succès évitent les grands risques. Le problème essentiel est l’évaluation que le sujet peut faire de ses chances de succès à partir des éléments propres à la situation. Les études sur la pratique du jeu en fonction de l’origine sociale analysée par SAINSAULIEU montrent que les individus d’origine supérieure jouent beaucoup, mais avec des risques modérés tandis que les individus d’origine socio-économique inférieure s’engagent moins, mais quand ils le font, c’est en jouant tout ou rien. Cette différence est interprétée comme la conséquence des aptitudes pour apprécier les relations de type probabiliste. Les individus d’origine sociale supérieure sont capables d’agir de manière adéquate au système de notation probabiliste et leurs stratégies de risque sont plus complexes. Les personnes d’origine sociale plus modeste n’aiment pas la notation probabiliste et leur attitude psychologique est la crainte de grands risques face à une trop forte incertitude sur les résultats de leurs actes.

La co-présence et l’échange d’informations dans les activités de groupe, par contre, modèrent les jugements individuels pour les faire converger vers le compromis. Mais cette tendance à la convergence en groupe est contrebalancée par une tendance contraire à la polarisation des options en groupe lorsqu’il y a une prise de risque. Avoir la possibilité et l’habitude de participer à des groupes permet la catégorisation des problèmes et l’analyse des conséquences claires des choix. Inversement, être empêché de participer à des discussions de groupe débouche sur une occultation du processus de catégorisation des risques associés à des choix, qui provoque une forte anxiété face à toute incertitude.

La différence des moyens sociaux d’accès à la catégorisation et à la structuration du champ cognitif intervient de façon décisive pour expliquer les attitudes des usagers face à l’incertitude impliquant la prise de nombreux risques et le calcul de leurs effets pour éviter les catastrophes. L’organisation devient un champ d’apprentissage des normes de relation et d’action stratégique, dans la mesure où, au delà des processus de socialisation des individus, elle peut déclencher des relations de communication et d’échange pour faciliter l’accès à la catégorisation.

Notes
68.

SAINSAULIEU, R. 1977