Ce n’est pas seulement la construction d’irréversibilités qui rend le risque plus probable ; l’incapacité des acteurs de contrôler les effets non désirés de leurs décisions peut avoir des résultats similaires. Comme le signale GIDDENS, l’impact des conséquences inattendues est une composante de l’environnement des risques institutionnalisés, et par conséquent de la complexité croissante des systèmes experts. En ce qui concerne BECK, l’existence de facteurs non désirés exprime les limites, dûes au développement et au triomphe de la modernisation, auxquelles sont confrontées la rationalité, la science et la technologie. LUHMANN signale aussi l’incapacité de la technique quant à éviter les effets secondaires et conserver des espaces techniquement contrôlables.
Les effets secondaires des décisions humaines peuvent s’analyser à partir du concept des effets émergents des systèmes interdépendants, développé par BOUDON 74. Les systèmes d’interdépendance sont caractérisés par le fait que les actions émises par les agents du système engendrent des phénomènes collectifs non voulus en tant que tels par ces agents. La notion d’acteur apparaît liée, dans la théorie de BOUDON, à l’idée de rôle et de système fonctionnel, alors que la notion d’agent désigne le porteur individuel de l’action dans un système d’interdépendance. Les effets qui ne sont pas explicitement recherchés par les agents d’un système et qui résultent de leur situation d’interdépendance sont appelés “ effets d’agrégation ” ou “ effets émergents ”. Ces effets émergents peuvent prendre la forme d’effets de renforcement, d’amplification, de neutralisation, de renversement, de contradiction, d’innovation ou de stabilisation des phénomènes collectifs, comme conséquence des décisions individuelles interdépendantes. Ces systèmes sont soumis à la volonté des agents qui les composent mais les conséquences de leurs actions leur échappent. Ces phénomènes s’imposent aux individus comme le produit de forces anonymes, bien qu’ils soient simplement les projections de ces structures d’interdépendance.
Le réseau d’assainissement de la ville de Lyon peut s’analyser comme un système interdépendant. Les risques liés à la gestion du réseau d’assainissement sont des effets émergents, produits par les décisions interdépendantes des agents concernés, dans la mesure où les décisions sont prises par des individus isolés. La traduction, les rapports de communication et l’action commune peuvent réduire la présence des effets émergents (risques) dans les systèmes experts, dans la mesure où ces processus conduisent au développement de règles de comportement partagées par les membres du groupe. Le passage d’un système inorganisé à un système organisé, aussi, est souvent dû à la volonté des agents de réduire ou de contrôler les effets émergents indésirables en introduisant un ensemble de normes et de contraintes qui restreignent la marge d’autonomie des individus et qui ont pour effet d’inclure certaines catégories d’action dans des rôles.
BOUDON, R. 1983