3.4) La description des technologies alternatives.

Depuis le XIXe siècle on utilise, dans l’Europe en plein développement industriel, technique et scientifique, les systèmes d’assainissement et de drainage conçus selon le principe d’évacuer le plus vite et le plus loin possible les eaux de toute nature, principe énoncé dans l’expression “ tout à l’égout ”. Ce système se concrétise par l’équipement de réseaux unitaires collectant eaux pluviales et eaux usées. Ces réseaux largement sur dimensionnés vont assurer correctement leurs fonctions pendant près d’un demi-siècle. 79

A la fin de la seconde guerre mondiale, ce système commence à montrer ses faiblesses. L’accélération de l’urbanisation a comme premier effet l’engorgement du système dans les parties des villes où sont concentrées les activités les plus importantes, ce qui se traduit par des inondations de plus en plus certaines et préoccupantes. Son deuxième effet est la détérioration de la qualité des milieux récepteurs. Cette dégradation est à l’origine de l’émergence d’un nouveau concept, celui de réseau séparatif, basé sur la séparation des eaux pluviales et des eaux usées afin que ces dernières puissent être traitées par des stations d’épuration. Cependant, le coût de construction d’ouvrages traditionnels plus performants constitue un facteur limitant pour les collectivités urbaines, lesquelles commencent à envisager des stratégies alternatives.

Le défaut principal du réseau de conduites traditionnel vient du fait qu’il concentre, dans des temps relativement courts, des flux importants en termes de quantités (volumes, débits d’eau) ou en termes de pollution. L’idée alternative consiste à “ déconcentrer ” ces flux en redonnant aux surfaces, sur lesquelles se produisent le ruissellement, un rôle régulateur fondé sur la rétention et sur l’infiltration des eaux de pluie. On remplace une stratégie centralisatrice et monotechnique par une stratégie décentralisatrice et multitechnique reposant sur une diversification des solutions et des exutoires. Les technologies alternatives liées à ces principes sont de différents types : chaussées à structure réservoir, puits d’infiltration, tranchées, fossés et noues, bassins de rétention à sec ou en eau, citernes et conduites stockantes. Elles sont applicables aussi bien dans les zones d’urbanisation nouvelles qu’anciennes et elles peuvent se constituer en alliés des systèmes traditionnels, en limitant les flux du point de vue qualitatif et quantitatif.

Les technologies alternatives sont apparues avec l’utilisation de bassins pour les eaux pluviales. Elles se sont développées à travers deux modes principaux d’utilisation, quelquefois mis en oeuvre de façon conjuguée :

Les techniques alternatives reposent sur deux principes :

Les chaussées à structure réservoir ont pour objet d’écrêter les débits de pointe de ruissellement en stockant temporairement la pluie dans le corps de la chaussée. Ces techniques peuvent être considérés comme des bassins de retenue enterrés qui ont pour effet de retarder l’écoulement de l’eau et de diminuer les volumes transitant dans les réseaux par infiltration dans le sol support. Leur fonctionnement hydraulique est assuré par l’injection immédiate de l’eau de pluie dans le corps de la chaussée, le stockage temporaire de l’eau et son évacuation lente.

Les avantages par rapport à une chaussée classique sont que l’utilisation d’enrobés drainants permet d’améliorer l’environnement sonore, la sécurité et le confort. Les inconvénients les plus cités sont le coût, le gel dans quelques cas et le colmatage. Les mesures réalisées pour réduire la pollution concernent surtout la pollution chronique, rarement la pollution saisonnière et jamais la pollution accidentelle. La pollution chronique comprend les hydrocarbures et les métaux lourds apportés par l’usure de la chaussée, la corrosion des éléments métalliques, l’usure des pneumatiques et les émissions des gaz d’échappement. La pollution saisonnière est liée au déverglaçage utilisé en hiver, tandis que la pollution accidentelle peut être la conséquence du renversement d’une citerne transportant des matières dangereuses. De nombreuses études ont montré le pouvoir épurateur des chaussées à structure réservoir, dans le sens où elles allégent les écoulements d’eau dans le réseau, elles limitent les rejets par les déversoirs d’orages et diminuent les volumes d’eau à traiter par la station d’épuration. Par contre, le risque de pollution est à craindre dans le cas d’une chaussée à structure réservoir d’infiltration, à cause des eaux de ruissellement qui sont polluées et qui risquent de migrer en profondeur.

Les modes d’usage permettent leur intégration à l’aménagement urbain; elles utilisent des espaces urbains diffus déjà attribués comme les voiries, les parkings, les places, les terrains de sport et les cours d’école. D’autre part, la surveillance et l’entretien représentent une activité indispensable pour le bon fonctionnement de ces ouvrages.

Les puits d’absorption permettent d’évacuer les eaux pluviales directement dans le sol, drainant des surfaces de quelques milliers de mètres carrés. Leur avantage est de pouvoir être appliqué dans des zones où la couche de sol superficielle est peu perméable, à condition qu’il y ait des capacités importantes d’infiltration dans les couches profondes.

Comme les autres techniques alternatives, les puits permettent d’écrêter les pointes de débit de ruissellement et de diminuer les volumes d’eau dans les conduits classiques. Un de leurs principaux avantages est sa bonne intégration dans l’aménagement urbain, du fait de sa non-détection visuelle et sa faible emprise au sol. Elles économisent l’espace et peuvent donc être utilisées dans des ouvrages qui disposent de peu de place.

Le fonctionnement hydraulique de cette technique est assuré par la réception des eaux pluviales et leur introduction dans le puits à travers la surface ou par un réseau de conduites. Un autre mode de réception est le stockage temporaire des eaux recueillies, qui peut être plus ou moins important suivant les contraintes. L’évacuation des eaux stockées s’effectue par infiltration. On peut faire la distinction entre les puits d’infiltration et les puits d’injection. Les puits d’infiltration sont hors nappe et l’eau recueillie traverse une couche de sol non saturée. Les puits d’injection plongent dans la nappe et l’eau est introduite directement dans la zone saturée.

Les puits d’absorption doivent être entretenus régulièrement pour éviter des phénomènes de colmatage. Les coûts d’entretien sont de ce fait élevés, contrairement aux coûts d’équipement qui sont plus légers.

Concernant les risques de pollution, l’infiltration des eaux pluviales à partir des puits d’absorption permet l’alimentation des nappes ce qui peut favoriser le développement de la végétation urbaine mais peut par contre se traduire par un risque de pollution de la nappe important selon la nature des eaux infiltrées. Pour éviter le risque de pollution chronique de la nappe, il est primordial de connaître la composition des eaux à infiltrer. La pollution soluble est également présente dans les eaux de ruissellement et elle passe directement dans la nappe. Par contre, une grande partie de la pollution non soluble peut être retenue, soit au niveau d’un équipement simple comme un décanteur, soit au niveau des premiers centimètres des surfaces d’infiltration.

Dans le cas des puits d’injection, seules les eaux de ruissellement très peu polluées peuvent être infiltrées ; dans le cas des puits d’infiltration, les eaux de toute nature, sauf celles qui proviennent de surfaces très polluées ou ayant un risque élevé de pollution accidentelle, peuvent être recueillies éventuellement avec certaines précautions.

Les tranchées sont des ouvrages superficiels et linéaires qui recueillent généralement les eaux de ruissellement perpendiculairement à leur longueur puis les évacuent, soit par infiltration, soit par exutoire. Leur fonctionnement est assuré par la réception de l’eau par la surface ou par un réseau de conduites, par le stockage temporaire des eaux recueillies au sein de la structure ou par l’évacuation des eaux stockées par infiltration dans le sol, ou enfin, vers un exutoire avec un débit régulé. On peut distinguer, selon la nature de l’évacuation des eaux stockées, les tranchées d’infiltration ou absorbantes qui fonctionnent par infiltration dans le sol, et les tranchées de rétention qui restituent les eaux vers un exutoire avec un débit régulé.

De la même façon que les puits, les tranchées ont pour avantage une intégration harmonieuse dans le paysage urbain, offrant la possibilité de le valoriser. Un autre avantage est son faible coût et sa simplicité de mise en oeuvre. Ses inconvénients sont la nécessité d’un entretien régulier spécifique, le phénomène du colmatage et les contraintes liées aux fortes pentes et à l’encombrement du sous-sol.

L’infiltration des eaux de ruissellement par l’intermédiaire des tranchées permet d’alimenter en eau la végétation avoisinante. De toute façon, le risque de pollution de la nappe est présent dans ce type de technologie. Les eaux à infiltrer doivent être le moins possible chargées en matière en suspension pour éviter des problèmes de colmatage et de pollution. Pour les tranchées d’infiltration, l’infiltration des eaux de toiture, considérées comme peu polluées, ne pose pas de problème sauf dans la première zone de captage d’eau potable et dans le cas d’une atmosphère très chargée en polluants.

Les fossés permettent de réguler les eaux de ruissellement en les infiltrant dans le sol ou en ralentissant l’écoulement. L’introduction des eaux pluviales est généralement directe par ruissellement sur les surfaces adjacentes, sauf dans certains cas où la récupération peut être effectuée via une conduite. Le stockage des eaux recueillies s’effectue à l’air libre à l’intérieur du fossé. L’évacuation des eaux stockées se fait le plus souvent par infiltration dans le sol ; il est aussi possible de les vidanger à débit régulé vers un exutoire.

La technique des fossés est courante sur les bords des routes de campagne et dans les zones non encore totalement urbanisées. Dans ce sens, les fossés servent d’exutoire naturel à l’eau ruisselant sur les voiries et s’écoulant naturellement vers les bas-côtés.

Les noues sont des fossés larges et peu profonds qui assurent les mêmes fonctions mais qui ont en plus un avantage paysager certain. Elles introduisent de la verdure et de la végétation et ces dépressions apportent des éléments esthétiques là où elles sont implantées. En contrepartie, ces espaces peuvent geler des surfaces foncières importantes qui auraient pu servir à aménager des parcelles supplémentaires. Le coût est tributaire de la valeur des surfaces utilisées et leur entretien demande une attention particulière. L’entretien préventif doit se réaliser avec régularité car, s’il est insuffisant, ceci peut mener rapidement au dysfonctionnement de ces techniques qui vont se transformer en de véritables égouts à ciel ouvert.

Les fossés et les noues sont le plus souvent situés le long des voiries et dans les parkings. Les noues se trouvent aussi à l’intérieur de lotissements, compte tenu de leur influence paysagère et de leur emprise au sol.

Leurs avantages contrebalancent leurs dysfonctionnements car le problème de colmatage est moins critique sauf au niveau des orifices de régulation. Le risque de pollution de la nappe se pose dans les mêmes termes que pour les autres technologies alternatives. L’emplacement privilégié des noues et des fossés dans des lotissements diminue le risque de pollution accidentelle.

Les toits stockants sont conçus pour essayer de compenser les effets de l’urbanisation et en particulier l’imperméabilisation des sols qui a des conséquences importantes dans le cycle de l’eau. Pour réduire les effets de l’imperméabilisation sur le ruissellement, ces techniques permettent de stocker provisoirement l’eau de pluie en toiture et de la restituer à débit limité au réseau d’eau pluvial ou à un autre exutoire grâce à un dispositif de régulation spécifique.

Les toits stockants possèdent l’avantage de bien s’intégrer au paysage. Leur mise en oeuvre ne demande pas de technicité autre qu’une réalisation soignée relevant d’entreprises qualifiées. Les inconvénients proviennent des difficultés à les mettre en place dans des toitures en pente, de la nécessité d’un entretien régulier et d’un léger surcoût dans certains cas. Par rapport au risque d’inondation, ils ont des effets positifs en réduisant les volumes et les flux.

Pour terminer, les autres techniques adaptées à la parcelle sont caractérisées par le fait qu’elles s’appliquent à des surfaces drainées de faible extension. Ces techniques peuvent prendre des formes très variées (citernes, structures réservoirs poreuses) et sont intéressantes dans le cadre d’opérations immobilières de type lotissement où la multiplication des ouvrages permet, en traitant individuellement chaque parcelle, d’assainir globalement une zone d’aménagement.

Elles reposent sur le même principe associant la rétention des eaux pluviales et leur évacuation à faible débit. L’évacuation se fait plutôt par infiltration dans le sol ou à débit régulé vers un exutoire.

Les avantages sont l’allégement du fonctionnement du réseau d’assainissement ou sa suppression, la diminution du risque d’inondation et l’alimentation de la nappe. Les inconvénients sont les risques de colmatage et de pollution de la nappe. Ces techniques peuvent aussi introduire des désordres d’un point de vue hydraulique au début de leur mise en fonctionnement.

Toutes ces techniques constituent une réponse à la saturation des réseaux existants et à la vulnérabilité du milieu récepteur. Elles permettent de viabiliser des zones pour lesquelles l’évacuation des eaux pluviales serait difficile par les moyens traditionnels. Elles s’adaptent aussi au phasage de l’urbanisation, en construisant plusieurs ouvrages à fur et à mesure que les villes se développent et présentent souvent des opportunités supplémentaires (alimentation de la nappe, espace vert) tout en étant le support d’autres fonctions (circulation, p.ex. ), ce qui conduit à une optimisation des aménagements et des équipements.

Les avantages des technologies alternatives sont nombreux. Elles sont souvent moins onéreuses que les solutions traditionnelles, elles offrent une protection supérieure contre les différents risques et elles sont intimement liées à l’aménagement qu’elles peuvent contribuer à valoriser. Cependant, elles présentent des caractéristiques qui empêchent leur utilisation généralisée.

Comme elles sont nouvelles, il y a beaucoup d’incertitudes liées à leur utilisation. La méconnaissance et le manque de maîtrise et de précision dans leur utilisation contribuent à une accentuation de la probabilité des risques de pollution ou d’inondation. Les technologies alternatives sont complexes, ce qui se traduit par des problèmes de gestion, de réalisation et d’utilisation pour les techniciens, les ouvriers et les usagers. Elles sont aussi multifonctionnelles, ce qui augmente la dispersion des décisions, les problèmes de responsabilité, de surveillance et de gestion dans le temps. Enfin, elles sont dépendantes de l’environnement et rendent nécessaire la participation des différents acteurs liés à l’aménagement urbain et à l’usage quotidien. Il faut prendre en compte le problème des eaux pluviales et la conception des ouvrages en même temps que le projet d’aménagement urbain.

Les technologies alternatives facilitent la gestion des risques d’inondation et de pollution, mais elles n’offrent pas une protection absolue. Les risques d’inondation dépendent des quantités d’eau pluviale précipitées, dont le caractère exceptionnel s’apprécie par sa fréquence de dépassement ou par sa période de retour, et de la configuration et de l’état du bassin versant récepteur. Suivant la morphologie du terrain et les caractéristiques des activités humaines, les conséquences d’un dysfonctionnement peuvent être minimes ou catastrophiques.

Le dysfonctionnement consécutif à la méconnaissance des nouvelles technologies et au manque d’informations de la part des décideurs, techniciens, entreprises de construction, gestionnaires et usagers est souvent souligné. On évoque par exemple les habitudes professionnelles, le manque de savoir-faire, les détournements des modes d’usage, les déversements toxiques par ignorance ou le stockage de matériaux de construction dans les parkings constitués d’une chaussée à structure réservoir.

Mais le manque d’informations est seulement un aspect du problème. Les technologies alternatives ont des conséquences plus importantes liées au positionnement des acteurs et à leurs actions en relation à leur gestion et leur utilisation.

On comprend donc la nécessité d’analyser les freins et les motivations des communautés urbaines dans la décision d’utiliser les techniques alternatives. Une enquête menée par l’équipe de Sciences Humaines du Département de Génie Civil et Urbanisme de l’INSA en 1992, dans 40 villes de différentes tailles du Sud et du Nord de la France, a abouti aux constatations suivantes: 80

Comme le rappelle l’étude que nous venons d’exposer, la mise en oeuvre des techniques alternatives pour évacuer les eaux de ruissellement démontre que le temps où les habitants d’une ville importante pouvaient ignorer les réalités souterraines comme les égouts et les réseaux et où les techniciens avaient la responsabilité de débarrasser les citoyens de ces soucis est terminé. L’ampleur des problèmes techniques et les difficultés de gestion des villes ont dépassé les techniciens eux-mêmes. Les solutions techniques mettent en oeuvre des stratégies qui dépassent l’utilisation des collecteurs et des égouts et qui supposent des bassins constamment inondés, des puits filtrants et des chaussées drainantes. Le fonctionnement de ces équipements à l’air libre et leur entretien supposent la participation consciente et active des différents acteurs qui habitent la ville.

Notes
79.

Ce paragraphe est basé sur le livre de AZZOUT, Y. , CRES, F.N. , BARRAUD, S., ALFAKIH, E. 1994

80.

MEURET, B. 1992