3.6) Les acteurs concernés.

Nous présentons par la suite les acteurs et leurs logiques que notre enquête a permis de révéler. Le premier tableau résume les logiques des acteurs autour de l’assainissement des eaux pluviales ; le deuxième tableau montre les moments du fonctionnement du système d’assainissement des eaux pluviales. 82

Logiques d’acteurs de l’assainissement des eaux pluviales
Acteurs Intérêts et logiques Contraintes
Elus
Sont soucieux de la création d’emplois et de ressources financières, réduction de la pression fiscale et des responsabilités juridiques et politiques (logique de décisions)
Ont la responsabilité pour la sécurité des personnes et des biens
Les SAGES* posent problème pour l’aménagement des territoires qui sont sous leur responsabilité politique
La solution des techniques alternatives n’est toujours pas la plus facile
Aménageurs
Doivent faire des études d’assainissement d’une zone et faire l’évaluation de la surface d’occupation du sol. Font un dossier d’étude d’impact et attendent la notification de l’autorisation Les coûts des démarches et délais d’attente sont souvent incompatibles avec les contraintes de temps et de financement inhérentes à une opération d’aménagement
Cherchent à obtenir des concessions de la part des élus
Bureau d’études Possèdent une compétence technique
Les choix techniques (alternatifs) peuvent avoir influence sur les décisions politiques et d’investissement
Leurs propositions peuvent avoir impact sur l’aménagement urbain car certaines techniques alternatives permettent une intégration paysagiste
Cependant, la méconnaissance et la méfiance des décideurs sur les techniques alternatives peuvent empêcher la réalisation des solutions techniques
Gestionnaire du réseau Apporte des connaissances d’ordre technique sur l’existant
Explique et conseille les décideurs sur les choix techniques possibles et leurs conséquences
Met en oeuvre les choix du décideur politique
Il doit faire un entretien performant
Il doit respecter le cadre des décisions politiques
Entreprise
Constructeurs
Dédiés à la construction d’ouvrages, sont intéressés par des commandes supplémentaires liées à la gestion de risques, ce qui augmente leur revenu La construction de techniques alternatives leur pose un problème d’adaptation à cause de leur culture et de leur spécialisation
Le marché de techniques alternatives n’est pas suffisamment prometteur (pas d’investissement sur la formation de personnel et la restructuration des activités)
Le moindre coût des techniques alternatives pèse sur leurs activités
Institution de contrôle
(Police des eaux)
S’intéressent à faire prendre conscience au politique du manque de moyens pour contrôler un nombre d’installations croissant et avec une technicité de plus en plus complexe
S’intéressent au développement de l’autocontrôle
S’intéressent à l’intervention publique, car il est plus facile de dialoguer avec un gestionnaire public des réseaux qu’avec un promoteur privé intéressé avant tout à la commercialisation des surfaces aménagées.
Ne dispose pas toujours des moyens et des connaissances suffisantes sur l’ensemble de sites pour assurer le contrôle
La régulation implique le besoin de satisfaire plusieurs acteurs et intérêts, avec multiples critères de décision
Les usagers Pour eux, l’assainissement doit rester une compétence à la charge de la collectivité
Les techniques alternatives peuvent être perçues comme un moyen de décentraliser la gestion des eaux pluviales
La création d’ouvrages collectifs l’intéresse mais lorsqu’ils font partie du domaine privé.
L’information cohérente et transparente du fonctionnement du réseau l’intéresse aussi
La gestion globale du réseau est souhaitable, à condition que l’effort financier soit raisonnable
Ils n’ont pas la connaissance technique pour comprendre le fonctionnement d’ensemble des techniques pour en faire un choix
Les
Scientifiques
Ils cherchent à connaître les mécanismes de pollution et dépollution de la nappe pour mieux la protéger.
Ils conçoivent les techniques alternatives, étudient et mesurent l’impact de la pollution
Ils étudient l’efficience des techniques utilisées
Ils produisent des indicateurs et critères d’analyse pour aider à la décision
Ne disposent pas toujours des moyens pour diffuser cette connaissance à la société
Souvent les décisions des politiques se fondent sur des arguments économiques plutôt que sur la performance d’une technique.
* SAGE : Schémas d’Aménagement et de Gestion des Eaux

On peut aussi classer les acteurs en relation au moment où ils participent 83:

Ces acteurs ont des intérêts différents. Les élus ont intérêt à la création d’emplois et de ressources financières ; la réduction de la pression fiscale et les responsabilités juridiques et politiques sont au centre de ses décisions. Dans ce sens, les schémas d’aménagement et de gestion des eaux peuvent être une source de contraintes et de problèmes pour l’aménagement des territoires qui sont sous leur responsabilité politique. Une seconde logique de fonctionnement est leur responsabilité en relation à la sécurité des personnes et des biens. Ils doivent s’assurer que les installations ou constructions ne sont pas menacées : le système de tout à l’égout semble une solution facile et pratique, ce qui peut empêcher la décision d’aller dans le sens des technologies alternatives.

Les aménageurs doivent souvent faire des études d’assainissement d’une zone et faire l’évaluation de la surface d’occupation du sol. Ils doivent nécessairement constituer un dossier complet comparable à une étude d’impact et attendre la notification de l’autorisation. Le coût de ces démarches et les délais d’attente sont souvent incompatibles avec les contraintes de temps et de financement inhérentes à une opération d’aménagement. Les mesures incitatives peuvent être le moyen pour eux d’obtenir des concessions de la part des élus.

Les bureaux d’études sont ceux qui possèdent la compétence technique. Les choix techniques ont quelquefois une forte influence dans les décisions politiques et d’investissement, mais on peut voir aussi le processus contraire : la méconnaissance et la méfiance observées à l’égard des techniques alternatives par les décideurs empêchent les bureaux d’études d’acquérir des compétences dans ce domaine et de proposer d’emblée des solutions techniques.

L’usage de certaines techniques alternatives est susceptible d’avoir des répercussions importantes dans l’aménagement urbain. L’utilisation de ces techniques permet une intégration paysagiste, qui est très intéressante pour l’urbaniste, étant donné le nombre d’entreprises qui sont à la recherche de zones paysagées pour s’installer.

Le gestionnaire du réseau est souvent représenté par les services techniques des collectivités locales. Ils ont des rôles multiples :

Les institutions de contrôle ont aussi des intérêts multiples :

L’intérêt de l’usager est plus difficile de définir. On peut comprendre comme usager la population en général, ou les organisations des quartiers, ou les riverains, etc. Sa dispersion et la manque de connaissances et d’informations rendent plus difficile la construction de ces intérêts comme acteur. L’usager a intérêt à ce que l’assainissement reste une compétence à la charge de la collectivité. Les techniques alternatives peuvent être perçues comme un moyen de décentraliser la gestion des eaux pluviales ; il a donc intérêt à la création d’ouvrages collectifs mais pouvant faire partie du domaine privé. Il a intérêt également à avoir des informations cohérentes et transparentes sur le fonctionnement du réseau, et une certaine rusticité de fonctionnement, indispensable pour l’acceptation d’ouvrages alternatifs au réseau. Il souhaite une gestion globale du réseau et il est prêt à consentir un effort financier raisonnable pour ne plus avoir ce souci.

Enfin, il n’est apparemment pas évident d’inclure les industriels dans une seule catégorie. Certains d’entre eux sont en relation étroite avec les services de lutte contre la pollution, d’autres essaient d’être le plus déconnecté possible afin de gérer un minimum de contraintes. L’enquête a bien montré qu’il existe une activité de pollution plus ou moins clandestine de la part de nombreux industriels. La clandestinité d’ailleurs n’implique pas l’illégalité. Elle se comprend dans un système où les pouvoirs publics tendent à fixer de nouvelles règles contraignantes pour faire face à une pression croissante des pouvoirs supranationaux et du grand public. Dans une telle situation, toute pollution perçue est susceptible de déclencher l’imposition d’une nouvelle règle et de se traduire par de nouveaux coûts. De ce fait, les industriels n’apparaissent que rarement comme des alliés des scientifiques qui cherchent à connaître la réalité de la pollution. Du moins est-ce bien ce que nous observons dans le cas de la zone de l’est lyonnais.

En ce qui concerne les entreprises d’installation d’ouvrages, les techniques alternatives posent des problèmes d’adaptation à cause de leur culture et de leur spécialisation. Le marché des techniques alternatives n’est pas suffisamment prometteur, ce qui se traduit par une absence de pression de la part des commanditaires sur les entreprises qui ne font pas d’investissement dans la formation du personnel et la restructuration des activités. Le moindre coût de ces techniques est loin de constituer un intérêt pour les entreprises ; par contre, la prise en compte du risque peut conduire à la réalisation d’ouvrages annexes qui rendent plus coûteux l’ensemble.

Du point de vue du risque de pollution, les acteurs dont les activités sont susceptibles de polluer la nappe peuvent être distingués entre 84:

Les informations obtenues des entretiens ont permis de constater la difficulté de construire des indicateurs sociaux pour rendre compte du comportement des institutions, des représentations sociales du risque de pollution de la nappe, ou encore des actions concrètes effectuées à présent pour la protéger.

Par ailleurs, la vie de la nappe évolue avec les changements des usages de l’eau. Les échelles temporelles de pollution ne sont pas les mêmes que les échelles temporelles des institutions sociales et politiques, de sorte qu’une corrélation linéaire entre nappe et société est difficile à établir. En plus des variations et modalités des activités socio-économiques en surface, il faut prendre en compte des aspects qui varient d’un site à l’autre :

Les entretiens ont révélé la multiplicité des acteurs autour d’une part de la pollution et dégradation de la nappe, et d’autre part autour de ce qui pourrait constituer sa gestion. Ces acteurs ont cependant des échanges d’information souvent éphémères ou involontaires, et il arrive même que ces échanges ne soient pas reconnus comme tels par les uns ou les autres. 85

Il n’y a pas, par ailleurs, de représentation homogène et généralisée des dommages causés à la nappe pour l’ensemble d’acteurs repérés, encore moins d’indicateurs de mesure des impacts des décisions politiques ou économiques passées et présentes sur la nappe. Dans ce sens, on observe, dans les exemples qui suivent, que les logiques peuvent être contradictoires, que les contraintes subies peuvent importer sur les intérêts des acteurs, ou encore que les domaines d’intervention sont flous au point que les actions entreprises n’ont que des effets limités et à court terme. Les communications entre acteurs ne sont pas d’emblée existantes ; les frontières des compétences concernant la responsabilité de l’entretien des techniques alternatives d’infiltration sont floues ; les critères d’évaluation des institutions ne sont pas les mêmes et les moyens utilisés pour contrôler ou éviter la pollution ne sont pas toujours performants.

Ainsi sommes-nous confrontés à la difficulté de cerner les frontières d’un système ou d’un ensemble institutionnel organisé autour de la gestion des technologies alternatives, qui puisse proposer des critères cohérents pour la définition d’objectifs d’une gestion performante. La question posée est : comment parvenir à la construction d’un système de décisions sur les normes de gestion du risque alors qu’il est difficile d’identifier les acteurs concernés ?

Notes
82.

RUFFIER, J.; TANGUY, C.; VILLAVICENCIO, D. 1999.

83.

CAPELLI, S., MONNIER, M.., MOSSIERE, G. 1996

84.

PUCCI, F.; RUFFIER, J. ; TANGUY, C. 1999.

85.

Op. cit. pg. 115