3.7) Les transformations de l’acteur public.

Le problème de l’entretien et du contrôle des technologies alternatives est crucial pour analyser les risques de pollution et d’inondation. Un entretien mal effectué a pour conséquence l’infiltration de produits non désirables dans la nappe phréatique. En même temps, les dysfonctionnements dans l’utilisation de ces technologies peuvent provoquer des inondations urbaines importantes. L’analyse se propose de comparer l’entretien fait par les institutions publiques avec l’entretien réalisé par les institutions privées. Dans ce but, nous devons exposer préalablement quelles ont été les récentes transformations du rôle de L’Etat et de son articulation avec la société civile, pour comprendre les changements produits dans la gestion publique.

On a assisté, dans les dernières années, à une profonde reformulation du rôle de l’État ; privatisation des services publics, application de programmes de rationalisation administrative, transformation des méthodes et des formes d’organisation du travail en divers domaines et création de nouveaux services. Les nouvelles orientations proposent la réduction de l’intervention de l’État dans l’économie et l’élimination des politiques protectionnistes, au moment où le marché passe pour jouer un rôle central dans la distribution de ressources. Au même moment, les politiques d’emploi se préoccupent de la réduction de l’offre de travail et d’une meilleure adaptation des qualifications aux nouveaux emplois. 86

L’étude de LORRAIN et STOKER 87 permet de suivre le processus de privatisation des services publics urbains en Europe. Selon eux, les pays européens peuvent être classifiés selon deux grandes variables : la force du projet politique au sujet des services publics locaux et l’importance de la gestion des acteurs privés. On peut repérer quatre situations : trois formes stabilisées mais différentes, la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne, et une quatrième qui correspond à des pays en quête de solutions après le bouleversement des anciens cadres d’action (l’Europe de l’Est et dans une moindre mesure l’Europe du Sud).

Suivant l’analyse de LORRAIN et STOKER, la Grande-Bretagne représente la forme la plus avancée d’un changement politique volontaire, impulsé directement par le pouvoir central. Les réformes ont touché les mécanismes fiscaux, le système de prêts et le cadre institutionnel. Les services publics ont été au centre du changement avec les ventes de logements, la privatisation de quelques services comme les télécommunications, l’électricité, le gaz, l’assainissement et l’eau, et l’introduction de mécanismes d’appel d’offres compétitifs avec les services municipaux. La France illustre la situation opposée de changement sans projet, structurée autour de la dynamique des entreprises, plutôt que le produit d’un projet politique conscient. Dans les deux cas, il y a eu une forte recomposition du pouvoir local, une délégation de compétences aux entreprises privées et l’entrée des valeurs de marché dans les entreprises publiques.

L’Allemagne, par contre, représente l’adaptation graduelle du pôle public aux exigences d’une efficacité de gestion et le processus de modernisation des services et des entreprises publiques. Cependant, ce modèle “ public-local ” montre plusieurs signes de changement : introduction de méthodes de gestion privée dans l’administration publique ; opérations d’aménagement urbain qui accordent un espace important aux entreprises privées et privatisation de différents réseaux urbains au bénéfice de grandes entreprises.

La quatrième catégorie correspond aux pays qui détenaient un modèle public organisé uniquement autour des grandes entreprises d’État ou municipales. Ces pays souffrent une situation d’indétermination et de tension sur les budgets publics qui conduit à une mise en cause du modèle dominant et à la recherche d’un nouvel arrangement. Ils doivent inventer un nouveau cadre d’action et moderniser impérativement les réseaux publics.

Ces exemples servent à démontrer la gradation de solutions que l’on peut trouver en relation à la privatisation des services publics. Le travail de LORRAIN et STOKER distingue quatre grandes modalités de privatisation :

Ces nouvelles situations obligent les collectivités locales et les pouvoirs publics à expliciter leurs objectifs et à réformer le cadre de l’action collective. La responsabilité de la gestion, les formes d’exploitation, les fonctions de contrôle, de direction et de supervision doivent être régulées et réglées. Le service public doit redéfinir ces catégories, ce qui pose une série de problèmes nouveaux, comme la perte de compétence dans les services publics, la perte de légitimité et la dualité de principes entre les acteurs, allant de l’efficacité dans le privé à la justice sociale dans le public.

LORRAIN et STOKER soulignent qu’en France existe un modèle ancien et formalisé qui accorde une légitimité de principe à la gestion déléguée des services urbains. La privatisation des services urbains aboutit à l’exploitation des services locaux par des entreprises privées, leur participation dans les travaux de maintenance et de conception et l’entrée de principes de gestion privée dans les entreprises publiques. Ces projets les obligent à revoir leurs méthodes de tarification, leur organisation interne et leur rôle dans l’aménagement du territoire.

On peut constater, dans ce processus, un glissement du principe de l’égalité du citoyen devant le service public par la tarification à un principe d’égalité de satisfaction qui conduit à moduler les tarifs et la qualité du produit selon les attentes du client. Dans la mesure où les entreprises privées n’assurent pas une certaine péréquation, c’est l’État ou les collectivités locales qui en sont chargés, ce qui introduit une dualité importante entre les acteurs : le secteur privé serait centré sur les activités rentables tandis que la fonction de l’État serait de prendre en charge tout le reste, ce qui est en contradiction avec une conception de modernisation de la fonction publique.

L’expansion des entreprises, à son tour, passe par plusieurs voies : contrats, acquisition de sociétés, alliances ou entrée dans d’autres entreprises. Du côté des élus locaux, l’étude de LORRAIN et STOKER montre qu’en France, il n’existe pas un projet politique fort. Les fonctionnaires communaux ont concentré leur effort sur la négociation des statuts et des indices, laissant de côté une perspective politique plus large et de long terme. L’absence de débat est renforcée par l’attitude générale du privé à l’égard du politique local qui est de se rendre invisible derrière l’élu faisant partie du paysage institutionnel local.

Plusieurs facteurs conduisent les politiques locaux à recourir au secteur privé. Concernant les facteurs généraux, on peut parler de différences structurelles entre acteurs publics et privés, de la faiblesse des collectivités locales et de la compétence des groupes de services urbains. Il y a aussi des facteurs particuliers : reprendre le contrôle des services et limiter le pouvoir syndical ; affirmer son autorité personnelle à partir du contrôle du processus et de l’influence interpersonnelle ; faire face à des programmes de modernisation sans hausse des impôts ; appliquer un programme politique ; financer d’autres projets ; faire face aux problèmes de sécurité et de couverture de risques.

Pour faire appel aux entreprises privées, les communes disposent de deux types de contrat : le marché de travaux pour la réalisation et le marché d’exploitation si l’équipement doit être géré par l’entreprise. Dans ce cadre, certaines entreprises privées ont proposé aux collectivités locales une nouvelle formule juridique, le METP, dans laquelle elles prennent en charge le coût des travaux, les réalisent et les exploitent pendant une durée de dix à quinze ans. Dans cette séquence, l’État ne prend pas l’initiative de la construction juridique gardant une attitude de repli, veillant à la compatibilité des solutions proposées avec le droit existant. La décentralisation ne se traduit pas par un renforcement du pouvoir local, mais par l’émergence des entreprises et du marché comme acteurs structurants de l’action collective.

La situation exposée par LORRAIN et STOKER se présente dans le domaine de la gestion des eaux pluviales. Dans la mesure où le fonctionnement du réseau d’assainissement se décentralise avec l’émergence de nouvelles technologies, le recours au secteur privé se multiplie. Il existe différentes modalités de ce recours. Dans plusieurs sites alternatifs publics, l’entretien est délégué à des entreprises privées à travers des contrats de sous-traitance. Dans d’autres cas, les technologies alternatives sont gérées et entretenues par des acteurs privés (grandes surfaces, entreprises). Dans tous les cas, la décentralisation de la fonction publique comme processus général et la décentralisation inhérente au fonctionnement des technologies alternatives comme contrainte technique, se renforcent réciproquement. La conséquence la plus directe est l’apparition d’une multiplicité d’acteurs dans la gestion du réseau d’assainissement. Cette multiplication pose des problèmes de compétences et des discussions autour des responsabilités dans la gestion du risque. La complexité du système demande la création de nouvelles règles d’action collective face aux responsabilités et à la prise de décision des différents acteurs concernés. Concernant l’entretien des nouvelles technologies, élément décisif pour éviter la pollution, on trouve, dans la ville de Lyon, des différences importantes selon le type de gestion : l’entretien public semble plus performant que le privé.

Notes
86.

BOYER, R. 1986

87.

LORRAIN, D et STOKER, J. 1995