3.8) La gestion publique : l’exemple de la Direction de l’Eau.

La Direction de l’Eau est l’institution publique de Lyon qui a un personnel permanent assigné au contrôle des bassins à périodicité donnée, mais elle partage cette responsabilité avec des entreprises privées. Le personnel de la Direction de l’Eau surveille l’état de la clôture et l’état du bassin, qui est rempli après une pluie et vide autrement.

On fait le tour des possibilités de sites pour l’étude et des problèmes liés à l’infiltration sur site des eaux pluviales. Le choix est souvent une infiltration sur site avec le risque de ne pas pouvoir suivre ce qui se passe au niveau de la pollution, et le raccordement à un réseau trop grand pour qu’on puisse faire autre chose que les envoyer directement au Rhône. ’ ‘ En fait, la gestion patrimoniale de la nappe est une préoccupation nouvelle. La culture technique concernant la gestion de l’eau est relativement ancienne, mais elle a été construite en considérant que l’objectif principal était les inondations urbaines. La solution adoptée était traditionnellement :  lorsque ça inonde, on fait des puits d’infiltration ”. La prise en compte du risque pollution aboutira à une sorte de statu quo dans l’état des choses, on voudrait que le niveau de pollution de la nappe n’augmente pas.” 88

Le nettoyage des bassins est effectué selon la morphologie du bassin par le personnel de la Direction de l’Eau ou par les sociétés privées. Le personnel de la Direction de l’Eau vide les puisards en entrée ou au fond du bassin. Il y a des contrats avec des sociétés de vidanges pour les séparateurs d’hydrocarbures, qui interviennent une fois par écrémage et une fois par vidange du fond, et qui renvoient ensuite les déchets dans un centre de traitement.

Tout ce qui est végétaux est entretenu par des sociétés de jardiniers. Mon travail, c’est de me battre pour savoir qui fait quoi et jusqu’où, à qui va appartenir le terrain et quel sera le domaine de gestion. Tout ce qui est éclairage n’est pas moi, les arbres d’alignement c’est la voirie, les jardins la commune. La gestion courante, les réparations courantes et les gros remplacements sont des niveaux de gestion séparés et donnés à des acteurs différents pour chaque espace. ” 89

Le partage des compétences et des responsabilités entre institutions publiques en ce qui concerne l’entretien des bassins ou des espaces verts est flou Le cas de Lyon montre de fortes divergences d’opinion entre la Direction de l’Eau et la Direction de la Voirie concernant l’utilisation des technologies alternatives. La Direction de la Voirie préfère les chaussées drainantes qui absorbent bien le bruit même si elles se colmatent. Le problème est qu’il n’est prévu aucun programme de décolmatage, les chaussées verglacent vite, et les produits antigel sont beaucoup plus chers. De ce fait, la Direction de l’Eau a pris la décision d’abandonner les chaussées drainantes contre l’avis de la Direction de la Voirie. Sans prendre en compte le problème du bruit, la Direction de l’Eau a choisi les chaussées à structure réservoir qui ont une surface flexible avec une durée de vie plus grande que les chaussées traditionnelles et qui n’ont pas le problème du gel.

 Miribel-Jonage n’a pour moi qu’une fonction d’écrémage de crues du Rhône (on inonde là pour ne pas inonder Lyon). Le boulevard des Droits de l’Homme devant Eurexpo n’a pas d’assainissement seulement des tranchées drainantes mal entretenues (donc grandes flaques). La chaussée se colmate, mais ce n’est pas notre fonction de l’entretenir. Il aurait fallu remplacer les trois premiers centimètres du fond de tranchées tous les deux ou trois ans. ’ ‘ La Direction de l’Eau a presque intérêt à ce qu’il arrive des incidents pour que les problèmes soient pris en charge et que j’ai des moyens. Je me suis fâché avec la Voirie qui aime les chaussées drainantes qui absorbent bien le bruit. Mais ça se colmate et la Voirie n’a aucun programme de décolmatage. Arrivé sur cette question à cause des chaussées à structure réservoir que j’avais fait installer et que je considérais qu’ils devraient entretenir. On avait fait de l’information, on a balancé 3 m3 devant Noir et un public et en 20 minutes il n’y avait plus rien. ’ ‘ Je crois que je ne ferai plus de chaussées drainantes car on les colmate, elles verglacent plus vite, les produits antigel valent beaucoup plus cher. Donc, pour le bruit, j’abandonne le drainant contre l’avis de la voirie. Dans les chaussées réservoirs , pas de problème de gel, surface flexible avec durée de vie plus grande que le traditionnel (pour la surface). On prend à rebours les constructeurs de chaussées qui ont appris que les chaussées ne devaient pas contenir d’eau, qu’elles devaient toujours être pentues. Dans des terrains imperméables, on fait des piscines souterraines. Très difficiles de faire revenir les gens sur leur formation. Maintenant on demande de refaire des fossés, alors que depuis cinquante ans on remplaçait les fossés par des tuyaux. Le problème du fossé c’est que c’est sale et qu’on ne sait pas qui doit l’entretenir. ” 90

La discussion entre la Direction de l’Eau et la Direction de la Voirie montre le manque d’une “ culture du risque  ” fortement structurée et élaborée dans les institutions publiques chargées de la gestion du réseau d’assainissement. Les raisons qui sont le fondement des options entre les différentes technologies d’assainissement (chaussées drainantes, chaussées réservoirs, fossés) indiquent une perception confuse et imprécise du risque lié à l’application de chaque technologie. Chaque institution privilégie des composantes dissemblables et contradictoires, où le risque est un élément de plus dans le bilan global qui s’établit au sujet de la situation. L’inexistence d’une “ culture du risque  ” en commun empêche que les intérêts institutionnels convergent vers une action conjointe. Au contraire, la fragmentation et la dispersion des décisions alimentent la construction d’irréversibilités.

La “ culture du risque ” des institutions publiques comme la Direction de l’Eau ou la Direction de la Voirie, s’est construite autour des risques d’inondations urbaines ; les risques de pollution de la nappe sont relativement récents à l’intérieur de cette culture. Comme l’affirment ANSIDEI 91 , la perception des risques n’a pas de relation avec la réalité de ceux-ci. Un risque tangible et immédiat est plus perceptible qu’un risque probable. Le risque d’inondation est un risque immédiat, avec des responsables directs et que les usagers vont vivre de manière pratique. Le risque de pollution est médiat, sans responsables clairs et sur lequel on dispose de peu de connaissances. Par ailleurs, les dommages dérivés de la pollution de la nappe peuvent avoir des conséquences beaucoup plus graves et irréversibles que les dommages produits par les inondations. Cette différence dans la perception et dans l’estimation du risque s’exprime dans les “ cultures du risque  ” des institutions publiques chargées de leur contrôle ainsi que des différents acteurs qui sont impliqués.

La “ culture du risque ” se voit également dans les processus de formation professionnelle:  les constructeurs de chaussées ont appris à éviter les risques d’inondation, en construisant des chaussées pentues, sans prendre en compte les risques de pollution produits par l’infiltration de l’eau qui se déplace vers la nappe. Cet exemple remet en question les limites liées à la notion de sécurité. Le modèle de sécurité incorporé dans la “ culture du risque ” des institutions publiques et des acteurs qui participent à la gestion du réseau d’assainissement est mécanique : il part du principe que l’addition de mesures de sécurité partielles augmente la sécurité de tout le système, sans prendre en considération que, ce qui dans un registre est considéré comme un facteur de protection puisse être un facteur de risque dans un autre. L’addition de mesures de sécurité partielles dans le domaine du risque d’inondation augmente les possibilités de risque dans le domaine de la pollution.

L’incorporation d’un modèle probabiliste, 92 qui reconnaît l’irréductibilité des risques et qui établit des équilibres et des évaluations en fonction des différents risques potentiels présents dans une situation, forme partie du processus de construction d’une “ culture du risque ” moderne. La dimension probabiliste n’est présente que dans certains secteurs liés à la gestion de l’assainissement : en ne faisant pas partie d’une “ culture du risque ” qui inclut la totalité des acteurs, elle engendre des actions qui produisent des effets pervers et qui construisent des irréversibilités qui ont pour conséquence un accroissement du risque de pollution.

Les difficultés de contrôle et le manque de définition des responsabilités de la gestion rendent le risque inacceptable. Suivant les travaux de DOUGLAS, 93 le manque de responsabilité dans la gestion du risque a pour conséquence l’impossibilité d’intervenir socialement afin de diminuer la probabilité d’accident. Dans la mesure où le risque de pollution est considéré comme un défaut du système il devient inacceptable pour la population en général. Au contraire, comme l’affirme FADIER, 94 le fait de définir un responsable de la gestion fait que le risque existe en tant que tel et qu’on le traite comme une composante permanente du fonctionnement du système d’assainissement. C’est le cas de l’utilisation des fossés, pour lesquels la Direction de l’Eau n’a pas la capacité d’établir des responsabilités en ce qui concerne leur entretien et leur nettoyage.

Le bassin type est constitué d’un bassin de rétention et d’un bassin d’infiltration. L’eau du réseau pluvial traverse un dessableur avant de se déverser dans le bassin de rétention. Le dessableur permet de retenir les grosses particules par simple décantation. L’eau du bassin de rétention passe à travers un déshuileur (dispositifs de chicanes servant à séparer et à retenir les hydrocarbures qu’on doit vider avant sa saturation) avant de s’écouler dans le bassin d’infiltration.

Concernant l’entretien de ce type de bassin, il convient en principe de tondre la pelouse, pour ne pas empêcher le remplissage du bassin, de ramasser dans le fond les éléments particulièrement sales (notamment sacs en plastiques), de nettoyer le déshuileur (dispositifs de chicanes servant à séparer et à retenir les hydrocarbures : il faut vider ces hydrocarbures avant saturation du dispositif), et de temps en temps il faut remplacer le gravier au fond, gravier qui joue le rôle de filtre et à la fin fait bouchon. Si le bassin est couvert, il convient de le nettoyer après chaque grosse pluie, car il devient autrement un bassin de décantation. ”  95

Une étude ergonomique96 mené sur l’entretien des bassins a montré les problèmes les plus importants pour le nettoyage :

  1. Souvent, à l’entrée du bassin, les eaux du réseau ne sont pas des eaux pluviales.

Les sources possibles sont :

Les bassins sont intimement liés aux réseaux séparatifs, unitaires ou pseudo séparatifs. L’origine d’un déchet indésirable doit être parfois cherché loin en amont ; en cas de rejet suspect, les agents font un prélèvement et l’envoient au laboratoire.

  1. Le dessableur, s’il n’est pas curé régulièrement, ne filtre plus et le bassin de rétention s’encrasse. Dans ce cas, une intervention plus importante de l’Unité de Maintenance Mécanisée (UMM) devient nécessaire. Ce service possède une panoplie d’outils performants en matière de curage et de pompage.

  2. La géomembrane du bassin de rétention est parfois déchirée et il faut la ressouder. Au fil des semaines, une couche de résidu solide peut se déposer au fond du bassin. Si elle est localisée et peu épaisse, les assainisseurs l’enlèvent à la pelle, sinon, ils appellent l’UMM.

  3. Le déshuileur a la grille d’entrée obturée par un sac ou une branche, ce qui empêche la filtration de l’eau. Si le déshuileur n’est pas vidangé régulièrement, c’est-à-dire tous les deux ou trois mois, les hydrocarbures passent dans le bassin d’infiltration et le risque de pollution de la nappe augmente. En matière de prévention de la pollution, un déshuileur bien entretenu limite fortement l’absorption d’hydrocarbures par le géotextile. Cependant, comme il existe peu d’informations sur l’incidence d’une infiltration d’hydrocarbures dans la nappe, très peu de gens sont sensibilisés à l’entretien des déshuileurs.

  4. Le bassin d’infiltration doit changer régulièrement le géotextile et le sable.

L’étude ergonomique montre que la multiplicité des acteurs qui interviennent dans la gestion du système d’assainissement et le manque de délimitation des responsabilités de la part des institutions publiques chargées du contrôle et de l’entretien des nouvelles technologies créent un processus de construction d’irréversibilités et d’effets émergents qui se traduisent par un accroissement du risque de pollution pour la nappe phréatique de la ville de Lyon.

L’entretien des technologies alternatives semble moins fatigant que l’entretien des égouts dans le système traditionnel. Mais le personnel d’entretien fait son travail sur les sites alternatifs et sur les égouts en même temps car les deux systèmes sont intimement liés. Les opérateurs sont aidés du système d’information JESSICA, qui permet de visualiser les réseaux de la COURLY. Cependant la méthode de travail est empirique et physique : elle consiste à ouvrir les bouches d’égouts et à repérer visuellement le type de conduite.

L’un des acteurs qui a développé une “culture du risque ” plus élaborée et complexe est le secteur des assainisseurs de la Direction de l’ Eau, c’est-à-dire, les travailleurs publics chargés du nettoyage et de la maintenance des nouvelles technologies de l’assainissement. Leur contact direct et permanent avec les matériaux contaminants quand ils procèdent au raclage des égouts, à l’ouverture des bouches et au nettoyage des bassins de rétention, a facilité l’incorporation dans leur culture de travail d’une meilleure perception et estimation des risques de pollution. Mais la transmission de cette “ culture du risque ” est menacée par le remplacement de cette génération. 

Du point de vue de la culture de travail, il existe le risque de la rupture de la transmission du savoir pratique aux générations suivantes d’assainisseurs. Au dépôt, la moyenne d’âge des opérateurs est très homogène et se situe environ à 40 ans. Étant donné que la retraite se situe à 50 ans, de nombreux assainisseurs (la dénomination récente est “ agents de salubrité ”) vont partir et emmener avec eux des connaissances et un savoir faire accumulés au fil du temps. La tendance à la mécanisation et le recrutement de personnel avec un niveau d’instruction formel plus élevé peut accentuer cette tendance. La décentralisation induite par les systèmes alternatifs, ainsi que la faible circulation des informations transversales entre services souvent compartimentés, remettent la transmission et l’appropriation de la culture du métier. Le personnel dernièrement recruté fait preuve d’une formation générale plus élevée, mais son peu d’expérience pratique et son manque de contact direct avec les composantes de contamination présents dans les technologies d’assainissement gêne une perception claire des risques de pollution.

Notes
88.

Interview réalisé avec le Directeur de la Direction de l’Eau. Mai 1996

89.

Idem.

90.

Interview réalisé avec le Directeur de la Direction de l’Eau. Mai 1996

91.

Voir pg. 40

92.

Voir pg. 37

93.

Voir pg.41

94.

Voir pg. 41

95.

Interview réalisé avec le Directeur de la Direction de l’Eau. Mai 1996

96.

COUIC, Th.1996