Lorsqu’il s’agit d’un site géré par le privé, l’enquête a montré que parfois les responsables de l’entretien méconnaissent les compétences et actions nécessaires pour l’entretien des bassins. La Direction de l’Eau n’a pas le moyen de faire un suivi des installations existantes dans le domaine privé : souvent ces installations ne correspondent pas à ce qui a été déposé comme projet à l’origine. Un autre cas de figure est celui des résidents ou industriels qui se trompent de réseau et rejettent leurs eaux usées dans le réseau pluvial au lieu du réseau d’assainissement.
‘ “ Le manque de suivi et de contrôle pose le problème de la mutation ou de l’évolution de l’usage des dispositifs localisés d’assainissement (les riverains ne savent pas ou plus à quoi servent les dispositifs techniques et les prennent pour des terrains vagues). Le risque est donc de la destruction inconsciente de ces artefacts. Des places de parking supplémentaires sont construites sans prise en compte du problème et sans concertation avec la direction de l’eau. D’autre part la frontière des compétences concernant la responsabilité de l’entretien est floue. ” 97 ’Un autre exemple qui rend compte du manque d’information et des difficultés à propos de la connaissance du fonctionnement des eaux souterraines, est le fait que dans certains quartiers des résidents ou des passants déchargent des objets dans les bassins notamment lorsque ceux-ci sont peu protégés et ne comportent pas un panneau indiquant leur fonction.
‘ “ L’infiltration sur site semble donc un pis-aller, mais la situation est loin d’être satisfaisante notamment en ce qui concerne la pollution de la nappe de l’est lyonnais. Cette nappe se divise en différents “ couloirs ” dont celui qui va de Saint-Priest à Vénissieux est déjà tellement pollué qu’on ne peut plus l’utiliser à quoi que ce soit, les couloirs qui vont vers les points de captage sont plus surveillés. ’ ‘ Cela dit on sait peu de choses sur cette nappe. On imagine que si on arrête les infiltrations naturelles d’eau de pluie alors les polluants (nitrates, etc. ) vont dépasser fortement les concentrations légalement admissibles, mais on n’a pas une idée du stock de polluants qu’elle renferme ni on ne sait si ce stock augmente ou diminue. ’ ‘ Dans l’ouest lyonnais, on oblige parfois les riverains à infiltrer sur site leurs eaux pluviales alors qu’on sait que c’est matériellement impossible. La Direction de l’Eau ne sait les conséquences de cette injonction inapplicable. ” 98 ’L’analyse du Projet Continent permet de voir le fonctionnement des technologies alternatives dans le domaine privé et de les comparer avec la gestion publique. Le projet a été réalisé en 1989.
‘ “ Il y a trois bassins à Continent pour un espace deux à trois fois plus petit que celui d’Auchan-Ikéa. Deux bassins sont doubles (rétention/infiltration), l’un ne fait que de l’infiltration sans système de traitement. Il y a trois déshuileurs et probablement trois dessableurs puisqu’il faut prendre en compte celui de la station essence. ” 99 ’Désirant obtenir l’autorisation d’ouvrir une grande surface, Continent était par définition prêt à accepter des contraintes concernant la conception du système d’assainissement. Il a donc été possible de lui demander de construire un bassin d’infiltration. Dans ce cas, il y a un seul acteur concerné, ce qui donne aux institutions de contrôle la sécurité de ne pas voir se dissoudre les responsabilités de la gestion.
Un exemple inverse est le cas de l’usine Dinamo, dans lequel on trouve un seul acteur mais qui se prolonge dans le temps. De ce fait, actuellement la Direction de l’Eau est incapable de dire qui gère les installations. Quand il s’agit d’une pluralité d’acteurs, le pouvoir d’action de la Direction de l’Eau est réduit. Aujourd’hui, elle sait que le bassin a été construit et n’a pas connaissance de problèmes d’inondation ou de pollution dans le secteur.
Il y a cependant des problèmes. L’un des plus importants est l’absence de connaissances et d’informations qu’ont les responsables de l’entretien par rapport au fonctionnement des technologies alternatives. Les responsables de l’entretien à l’époque de la conception et de la construction du bassin ont été remplacés et l’héritage de l’information et des connaissances a été perdu. Le nettoyage est fait par des entreprises privées avec une régularité annuelle, mais il s’agit plutôt d’une attitude de type ritualiste, sans tenir compte des problèmes de pollution. La grille de protection du bassin, qui est installée à côté de la rue et en face d’un arrêt de bus, a été coupée et n’importe qui peut jeter des objets à l’intérieur. Les problèmes des responsables de l’entretien concernent plutôt l’apparence et l’image de l’entreprise que des possibles risques de pollution. Le bassin donne l’impression d’avoir un entretien et un nettoyage généraux plus mauvais que les bassins publics.
Il y a aussi des problèmes de conception de l’ouvrage. Le système fonctionne sur la base de trois bassins, deux grands et un plus petit. Ce dernier n’a pas de décanteur pour filtrer les hydrocarbures, alors qu’il se trouve à côté d’une station de service. Par temps d’orage, les eaux pluviales de parking, qui sont polluées par les activités de surface, s’infiltrent directement dans la nappe. Ce problème de conception a échappé aux institutions de contrôle, ce qui prouve les incohérences du système dues à la décentralisation des solutions proposées et au manque d’informations des institutions qui ont la responsabilité de la gestion des technologies alternatives. Ce problème se pose aussi dans le cas des bassins d’infiltration des grandes surfaces comme IKEA et AUCHAN.
‘ “ Il y a une inondabilité d’une zone dans les champs. Le bassin de récupération des eaux d’IKEA et AUCHAN est régulièrement inondé. Les anciens pavillons infiltrent leurs eaux à travers des puits. La Direction de l’Eau donne l’obligation d’infiltrer, ne sait pas comment les vieux pavillons infiltrent tout en refusant d’en donner la méthode. En cas d’orages, les bouches d’égouts se soulèvent. ” 100 ’Dans ce cas, la Direction de l’Eau pense que les bassins ont été construits. Un entretien avec les responsables de ces deux grands centres commerciaux et l’observation directe nous a prouvé qu’il n’y avait pas des bassins en place et que les responsables ignoraient même totalement l’existence de ces technologies. Il y a donc une difficulté de mise en commun des informations et des connaissances sur ce qui peut permettre de réduire les activités polluantes, sur l’attribution des responsabilités de ces pollutions et parfois sur les sources de pollution.
Les exemples montrent la différence entre la gestion privée et la gestion publique de ces techniques et la diversité de performances dans la gestion des techniques alternatives. En effet, une même technique peut s’avérer plus ou moins performante et l’on peut supposer que ceci est dû au fait que les organismes publics ou privés chargés de faire l’entretien des sites ne disposent pas des mêmes moyens pour le faire. Dans certains sites gérés par le privé, nous avons constaté le manque d’information concernant la fréquence, les moyens et même l’utilité de l’entretien des décanteurs ou des déshuileurs. Ce constat témoigne par ailleurs d’une méconnaissance de l’utilité des techniques d’infiltration et de leur importance vis-à-vis de l’environnement, ainsi que du non-respect des dispositions légales dans ce domaine, tant de la part des organismes privés que des institutions qui doivent veiller à la qualité de la nappe phréatique. Dans certains cas, la personne responsable de cet entretien n’a pas été informée de la fréquence nominale de surveillance des dispositifs des appareils (déshuileur ou dessableur) et la performance de l’appareil est douteuse. Il s’agit notamment des techniques installées dans des sites privés dont les responsables de l’entretien se plaignent de n’avoir guère reçu d’informations lorsque l’ouvrage a été construit.
Nous avons donc pu observer que les technologies de traitement de la pollution ne faisaient pas tout à fait ce qu’ils devaient faire. Leur performance dépend surtout du contexte socio-institutionnel dans lequel les techniques alternatives sont insérées (gestion publique ou gestion privée), et notamment des compétences que ce contexte fait émerger. Nous nous référons à la capacité que chaque organisation, responsable de la gestion d’un appareil, a pour respecter les procédures d’entretien des techniques d’infiltration, étant donné la connaissance et les moyens qu’elle possède pour le faire.
Les cas analysés sont des exemples pour lesquels l’état délègue au secteur privé la gestion et l’entretien des technologies. Cette modalité de relation entre le secteur public et le secteur privé ne constitue pas une solution positive quant à réduire le risque d’inondation ou de pollution. La “ culture du risque ”, même si elle n’est pas pleinement développée comme nous l’avons remarqué précédemment, est fondamentalement présente dans le secteur public. Dans le secteur privé, la perception des risques est pratiquement inexistante. Cette délégation, à son tour, augmente la complexité du système, ceci étant dû à la multiplication des acteurs et des situations qui font partie de la gestion du réseau d’assainissement, ce qui se traduit par une difficulté croissante pour que le secteur public établisse des contrôles et des suivis efficaces de la gestion privée. Le modèle d’articulation entre le secteur public et le secteur privé augmente les possibilités pour que le système engendre des effets émergents liés à la multiplicité des décisions qui sont prises lors de son fonctionnement. Ce modèle augmente également les probabilités pour les acteurs de construire des irréversibilités dues au manque de coordination des actions et au manque de connaissances des gens impliqués.
Interview réalisé avec le Directeur du Bureau d’Etudes de la Direction de l’Eau. Mai 1996
Idem.
Interview réalisé avec le responsable du bassin Continent. Juin 1996
Interview réalisé avec l’ingénieure de la Mairie de St. Priest. Avril 1996