Dans la gestion du réseau d’assainissement se pose le problème de la précision de la réglementation quant au partage des compétences et des responsabilités entre les différents acteurs. Ainsi, des institutions comme la Direction de l’Eau se plaignent de ne pas posséder les moyens réglementaires qui leur permettaient de suivre l’application des directives qu’elles donnent aux gestionnaires de sites.
L’analyse d’une institution comme la Police de l’Eau permet de comprendre le processus de construction de règles dans la gestion des technologies alternatives d’assainissement. La Police de l’Eau est constituée de fonctionnaires du Ministère de l’Environnement placés dans un service détaché de la Direction Départementale de l’Agriculture et des Forêts (DDAF). Ils ont compétence, pour le département, sur les eaux de surface et souterraines, excepté les cours du Rhône et de la Saône et de leurs nappes d’accompagnement. Elle ne s’occupe pas davantage des installations classées et remplit parfois des missions pour le compte du Ministère de l’Environnement qui ne possède pas de relais au niveau départemental. Employant des fonctionnaires plus habitués à traiter des forêts et des eaux superficielles et reprenant des compétences d’autrefois de la Direction Départementale de l’Équipement, la nouvelle Police des Eaux apprend son métier et manque de références sur la manière de l’exercer. Cette police comprend 2,5 postes équivalents plein temps.
La police administrative des eaux est assurée par le biais de son service “ Forêts et Environnement ”. Dans le département du Rhône, la mission de police est répartie de la façon suivante :
les fleuves Rhône et Saône et leur nappe alluviale sont gérés par le service de navigation ;
les autres cours d’eau superficiels et les nappes souterraines sont gérés par la D.D.A.F ;
Avant 1994, seuls les cours d’eau superficiels étaient du ressort de la D.D.A.F., ce qui explique le caractère récent de la culture de cet organisme sur les nappes souterraines. La géologie et l’hydrologie ne font donc pas vraiment partie de cette culture.
La Direction de la Police ne connaît pas encore bien la nature de ses compétences. Il existe une loi qui affirme que tout aménagement compris entre 1 et 20 ha doit faire l’objet d’un avis à la police des eaux, et tout aménagement supérieur à 20 ha doit faire l’objet d’une autorisation, laquelle est demandée à travers un document d’étude d’incidences. Mais le texte de loi est vague et ne définit pas bien les éléments qui doivent se trouver dans l’étude. La plupart du temps, le document ne comporte que la description des dispositifs de traitement des eaux.
Le travail du service consiste en :
L’instruction des dossiers d’ouvrages pouvant présenter un impact du fait des rejets dans le milieu extérieur. Cette instruction se base sur le décret qui fixe des seuils par rapport à la surface totale desservie. Pour des terrains de plus de 20 ha., le régime est celui d’un régime d’autorisation ; entre 20 et 1 ha, il s’agit d’un régime de déclaration ; et pour les surfaces de moins de1 ha., aucune procédure n’est nécessaire.
Prendre acte de la déclaration et notifier les prescriptions à respecter immédiatement ou à venir ;
Prendre une décision (refus ou autorisation) sur la base de la démonstration du maître d’ouvrage tendant à prouver que l’impact est nul ou qu’il fait l’objet de mesures de compensation ;
En termes de procédure, on passe par les étapes suivantes :
Dépôt du dossier par le maître d’ouvrages.
Enquête publique sur la (ou les) commune(s) concernée(s).
Avis des conseils municipaux concernés.
Avis du Conseil départemental d’hygiène.
Décision de Préfet.
La DDAF souhaite avoir connaissance du projet sur lequel elle doit se prononcer le plus tôt possible afin de développer des relations et éviter de régler les conflits dans une situation de crise. L’autorisation délivrée précise selon les impacts :
les prescriptions liées aux ouvrages.
les prescriptions liées au suivi.
La Police des Eaux hésite à refuser des autorisations car elle craint que les projets ne soient alors fractionnés en sous-projets inférieurs à 20 ha. de façon à n’être pas obligé de demander l’autorisation. Dans la mesure où les surfaces de moins de 1 ha. n’ont pas besoin d’autorisation, il y a le risque d’inciter le découpage des projets. La DDAF se demande aussi si l’addition des risques diffus est supérieure, égale ou inférieure à celle d’une installation s’étendant sur la totalité des superficies connues par l’administration et suivie comme telle par les organismes compétents.
La DDAF a pour fonction de donner un avis à propos des documents d’incidences sur les eaux souterraines et superficielles, documents qui sont établis par les aménageurs. Elle n’a donc pas la possibilité, sauf en cas de plainte, d’effectuer des contrôles. Elle ne s’occupe de l’incidence des projets sur les eaux souterraines que depuis trois ans et manque de compétences et de connaissances dans ce domaine. La DDAF regrette également le caractère général et flou des textes de loi et des critères pour prendre ses décisions par rapport aux dossiers d’incidences. Elle ne peut intervenir qu’en amont des projets en faisant se rencontrer les différents protagonistes afin de tenter de trouver une solution alternative lorsque le dossier n’est pas satisfaisant.
La DDAF souligne aussi que la réglementation précédente, avec son système de seuils et de nomenclatures, laissait plus de liberté aux instructeurs. Toutefois, la DDAF peut faire elle-même des prescriptions complémentaires. Par contre, elle considère que la réglementation actuelle est très floue et s’interroge sur la façon de déterminer l’incidence d’un projet sur le milieu au cours de son instruction. Dans le cas d’une étude de faisabilité, les points de vue du promoteur, du coordinateur ou des organismes publics ne coïncident pas nécessairement.
La réglementation est vague, mais en même temps elle établit aussi de nombreuses conditions pour l’installation de nouvelles technologies, ce qui la rend en fait inapplicable. Les intéressés en ce qui concerne le développement de nouvelles technologies présentent des projets tronqués comme stratégie pour éviter la réglementation. De son côté, la DDAF a tendance à éviter le rejet de projets, bien que ceux-ci ne présentent pas toutes les conditions techniques requises, pour éviter la division en sous projets. La conséquence de ces divisions est la fabrication d’une chaîne d’irréversibilités qui augmente les probabilités de risque pour la nappe souterraine.
Un des problèmes posé à la DDAF est que l’autorisation doit être délivrée en s’appuyant sur la connaissance de la nature de l’occupation du sol, alors qu’elle est souvent confrontée à des demandes émanant de promoteurs immobiliers qui ignorent l’activité de leurs futurs clients. Elle vient de refuser pour la première fois un projet, en proposant une solution alternative. La DDAF espère que la décision sera attaquée en justice dans le délai de deux mois afin de disposer d’une jurisprudence en la matière.
Le projet rejeté était à proximité du canal de Jonage et il a été refusé du fait de la proximité d’une zone de captage. La DDAF a proposé une alternative technique. Pour étayer ce refus, elle a fait appel à la notion de risque, car elle estime être incapable de définir une relation de cause à effet entre des rejets spécifiques et une pollution éventuelle. Dans cet exemple, il était impossible d’établir des relations entre les eaux de ruissellement de voirie et les zones de captage proches, bien que l’on soit en dehors du périmètre. Le promoteur proposait une infiltration en site propre avec les technologies alternatives les plus modernes. Mais dans d’autres opérations, on pouvait constater une mauvaise gestion de telles installations par ce même promoteur. Bien que cet argument n’ait pas été utilisé, il a pesé sur leur intime conviction. La Police de l’Eau a organisé deux réunions avec l’ensemble des parties prenantes pour éviter le conflit et faire en sorte que tous les points de vue soient entendus. Elle n’a pas pu convaincre le promoteur du bien fondé de la solution alternative plus coûteuse : l’évacuation dans une rivière par un tuyau.
Pour pouvoir se fixer des objectifs et le rôle qu’elle doit jouer dans ce domaine, la DDAF a demandé au BURGEAP d’établir un zonage de sensibilité des eaux en 4 classes :
zone de faible intérêt
zone de vigilance
zone à protéger
zone à réhabiliter
La carte est le résultat d’une étude multicritère prenant en compte la potentialité de la nappe et sa qualité ou son degré d’atteinte actuelle. De plus, le traitement de questions concernant l’eau est réalisé à l’aide d’un pôle de compétence pluridisciplinaire, qui prend en compte les conseils du document BURGEAP, les conseils indépendants de ce document et les incidences du projet.
La DDAF précise qu’il existe également un problème de communication avec les élus. Le zonage du territoire en fonction de la sensibilité de la nappe a des répercussions sur l’occupation du sol. Une zone de faible intérêt peut amener un élu à chercher à attirer n’importe quelle industrie. Au contraire, une zone à protéger sera perçue comme un frein au développement socio-économique de la commune.
L’élaboration de la “ carte multicritères ” est un autre exemple de fabrication d’irréversibilités dans la gestion du risque pluvial. Les techniciens de la DDAF font une étude pour établir différentes zones de protection pour la nappe souterraine. Cette carte, à son tour, est utilisée par les politiciens pour développer des activités industrielles dans les zones où la nappe est encore de bonne qualité, ce qui va avoir pour conséquence la dégradation de celle-ci. Les stratégies des techniciens et des politiciens conduisent, au-delà des effets recherchés par les acteurs, à augmenter les probabilités de pollution des eaux souterraines de la ville de Lyon. L’absence de communication entre les techniciens de la DDAF et les élus favorise ce processus.
L’exemple de la réglementation sur l’eau datant de 1992, qui a notamment pour objectif de développer l’utilisation des techniques alternatives, pourrait en définitive avoir des effets inverses à ceux qui sont espérés. En effet, en pratique, le dossier à établir pour adopter la solution des technologies alternatives est plus long qu’avant, le délai pour la réponse est également plus long qu’avant et les bureaux d’études ont tendance à retourner au réseau d’égouts même lorsqu’ils sont tentés par les techniques alternatives. De nombreux acteurs se plaignent en fait du caractère vague de cette loi qui ne donne pas d’outils précis d’intervention et de décision.
La mise en place de règles (normes, règlements, fiscalité incitatrice) c’est-à-dire le passage d’un système inorganisé à un système organisé 102, est une solution qui permette de contrôler la présence d’effets émergents dans la gestion du réseau d’assainissement. Mais le caractère vague et imprécis de la réglementation produit l’effet contraire. Une normative si décentralisée laisse une large marge d’action aux acteurs, qui prennent des décisions sans que le système puisse contrôler leurs effets. Chaque décision individuelle engendre des conséquences imprévues qui augmentent les possibilités de risque de pollution de la nappe.
Le caractère vague et imprécis de la réglementation est une conséquence du caractère décentralisé de la normative qui se réfère à l’utilisation de techniques alternatives. La décentralisation, au lieu de favoriser le développement d’une régulation autonome de la part des acteurs, se traduit par une crise de légitimité du système normatif dans son ensemble. La DDAF ne mentionne qu’un cas dans lequel les acteurs se sont assis pour négocier l’emplacement de technologies alternatives, et au sujet duquel ils sont arrivés à un accord.
La décentralisation de la réglementation établit de nouvelles règles du jeu, dans lesquelles la légitimité des solutions proposées se construit autour du respect aux règles de procédure. Un fait remarquable est que la DDAF soit préoccupée par l’absence d’un corps normatif plus spécifique et demande des critères techniques pour établir un zonage de sensibilité des eaux. Il y a donc un retour aux méthodes traditionnelles dans lesquelles le poids des critères techniques est décisif dans la définition normative. L’existence de points de vue différents dans le dossier est un phénomène auquel on pouvait s’attendre. Contrairement, la légitimité des normes continue liée à la connaissance technique, alors qu’elle pourrait être associée à la légitimité des procédures et des démarches effectuées pour aboutir à une solution.
Dans la gestion du risque de pollution de la nappe souterraine de la ville de Lyon, les acteurs continuent liés au modèle “ sécuritaire ”, dans lequel la sécurité s’associe à la conformité avec des normes techniques définies de manière rigide et centralisée et pour lesquelles l’application des normes requiert qu’elles se réalisent de manière segmentée et par des acteurs spécialisés. L’espace de production de règles autonomes, propres au modèle “ intégré ” avec la capacité d’établir des décisions au-delà des critères techniques et scientifiques, est encore embryonnaire. Son développement dépendra de la capacité des acteurs quant à construire de nouveaux critères de légitimité et d’établir des relations de communications plus fluides. Dans le cas contraire, la construction d’irréversibilités augmentera les probabilités de risque.
Interview réalisé avec les Directeurs de la Police de l’Eau. Juin 1996
Voir pg. 82