3.12) Action commune et traduction : le Projet Champ du Pont

Parler d’action commune 103 permet de prendre en compte le fait que l’action puisse se développer dans un cadre qui dépasse les frontières d’une organisation et fasse intervenir des acteurs et des groupes d’acteurs qui agissent et interagissent, ceci même s’ils se réfèrent à des valeurs et à des systèmes de représentation différents à cause de leur position institutionnelle mais également à cause de leur histoire spécifique. Ainsi, la gestion des technologies alternatives et la perception des risques d’inondation et de pollution dépassent l’enjeu d’un apprentissage technique et correspondent également à un apprentissage culturel. Le premier de ces apprentissages consiste notamment à prendre conscience des limites des systèmes techniques et de la nécessité de gérer les risques.

L’analyse du projet Champ du Pont nous montre les difficultés posées aux acteurs pour construire une action commune. Ce projet est développé dans le domaine public, auquel participent de nombreux acteurs dans le schéma directeur “ Lyon 2010 ”. Pour la COURLY 104, il s’agit d’un site stratégique à développer, puisqu’il s’agit d’un des plus grand espaces disponibles pour implanter un nouveau site industriel. Cet espace a été laissé de côté jusqu’à présent car sa forme de cuvette et son sol argileux rendent problématique et coûteux l’assainissement. Actuellement, les préoccupations de la COURLY semblent de deux ordres : d’une part augmenter à terme les taxes locales notamment industrielles ; d’autre part créer une zone verte dans l’est lyonnais pour améliorer l’intérêt et l’image de la zone.

Ce site représente l’un des derniers fonciers vierges de la Communauté Urbaine. L’activité du site était jusqu’à aujourd’hui essentiellement agricole et son assainissement était particulièrement délicat pour des raisons pédologiques. La surface importante du site représentera également une offre foncière de grands lots dans l’agglomération. La COURLY a donc concentré son effort sur la qualité des espaces publics et impose aux entreprises et aux particuliers désirant s’implanter sur le site de conserver un minimum de 30 % de leur superficie en sols perméables. A terme, la proportion de sols perméables sera de 60 %.

Le système d’assainissement pluvial sera original car il sera composé d’un système gravitaire, raccordant les espaces réservés aux entreprises et la voirie à trois lacs de rétention en eau permanente capables de supporter une crue centennale, et des noues et fossés paysagers. La décision de réaliser un système de lacs de rétention en eaux permanentes suscitera des complications de conception, d’aménagement et d’entretien et aussi un surcoût.

Une des difficultés techniques sera d’assurer une étanchéité spécifique pour une superficie totale de 3,5 ha. L’aménagement du site devra intégrer un soucis d’épuration écologique tout en demeurant un espace ouvert au public agréable au niveau visuel. Cette vocation pluridisciplinaire sera une source de problèmes dans la gestion du site, notamment au niveau de la sécurité, de l’exploitation, du nettoyage et de l’entretien des ouvrages techniques.

 Un appel d’offres d’aménagement a été lancé et une équipe londonienne réputée l’a gagné. Dans ce projet apparaît une coulée verte, longue et étroite zone boisée qui part du parc de Parilly pour s’enfoncer dans l’est et en bordure de la zone à aménager. Celle-ci propose de profiter de la création d’un boulevard passant par le centre des ZAC 105 pour en faire une digue sur laquelle s’adosseront des lacs de rétention. Ces lacs auront une fonction paysagère et de rétention. Y aboutiront une partie des eaux de ruissellement, partie qui fera l’objet d’un filtrage, le lac étant régulièrement nettoyé en surface. ” 106

Suite à l’acceptation du projet, une étude de faisabilité a été lancée qui précise les contraintes à prendre en compte. De niveau variable, le lac ne pourra ni servir à la baignade, ni à la pêche (celle-ci fait venir des oiseaux qui mettent en danger l’aérodrome voisin).

 L’infiltration se fera au travers de vastes bassins situés à l’extérieur et au sud de la zone, des tuyaux et autres voies de ruissellement seront aménagés en ce but, notamment au départ des lacs. Ces bassins ont vocation à servir de terrains de sports, terrains occasionnellement inondés. Les eaux usées feront l’objet d’un collectage séparé, qui lui sera connecté au réseau d’assainissement COURLY. ” 107  

Pour Lyon, ce traitement localisé en équipements collectifs sera une nouveauté. Le problème vient du financement du fonctionnement d’installations à plusieurs usages. Ainsi il est prévu que la Direction de l’Eau de la COURLY s’occupe du nettoyage du lac jusqu’à un niveau de remplissage défini comme correspondant à la crue décennale. Lorsque le niveau montera plus haut, c’est la municipalité qui aura charge du nettoyage. Le problème de la police du lac est encore à définir car la COURLY n’a pas l’habitude de gérer ce type de problèmes.

La gestion du nettoyage des bassins et des différentes technologies alternatives est au centre de la problématique du risque. Il est évident qu’une mauvaise gestion de ces technologies augmente le risque de pollution. Le caractère décentralisé de la réglementation en relation à la gestion des technologies alternatives montre la nécessité d’établir des accords entre les différentes institutions et organisations qui participent au fonctionnement du réseau pour définir les responsabilités de gestion. Ces accords deviennent nécessairement des transactions ou des arrangements provisoires de caractère local, liés aux contingences de la situation. Si on analyse ces accords à partir des intérêts institutionnels, on pourrait penser que ceux-ci sont liés à la non prise en charge de la responsabilité du nettoyage des bassins. La division de la tâche entre deux institutions, dans ce cas la Direction de l’Eau et la municipalité, est un exemple.

Le projet est très coûteux et la décision des politiques de le réaliser est surprenante. Il aurait coûté moins cher dans certaines zones aussi proches du centre urbain mais sous une juridiction hors COURLY. Le problème qui se pose est la concurrence entre administrations ou l’impossibilité d’adapter les frontières administratives à la croissance de la zone urbaine.

 Du point de vue du fonctionnement administratif, la COURLY dirige le projet qu’elle a découpé en cinq sous projets : deux ZAC 108 , le Boulevard Urbain de l’Est, l’infiltration et un volet habitat à réaliser plus tard. La COURLY et trois communes concernées (St Priest, Bron et Chassieu) sont les maîtres d’ouvrage du projet. Les communes laissent à la COURLY la compétence en Urbanisme, Voirie et Assainissement. L’aménagement des ZAC 1 et 2 a été concédé à la SERL (Société d’Équipement du Rhône et de Lyon). La mise en place d’une équipe multipartenariale impose la nomination d’un coordinateur qui dépend de l’agence d’Urbanisme et s’occupe directement des deux ZAC. Il sert de coordinateur pour les décisions d’un groupe ad hoc, lequel est représenté par 11 des 38 vice-présidents de la COURLY. Son travail consiste à présenter les alternatives techniques existantes, à évaluer les coûts et la faisabilité des projets et à s’assurer que la réalisation correspond aux instructions du groupe. Il doit donc se référer pour son action à plusieurs directions de la COURLY. ” 109

L’équipe multipartenariale est constituée des acteurs suivants :

Au niveau COURLY:

La faisabilité financière comprend en dépenses pour la COURLY, l’achat du foncier, les réseaux et les frais financiers. Concernant les recettes, elle compte sur la vente de charges foncières et une participation des pouvoirs publics locaux qui devraient être remboursée à terme et en théorie par les taxes professionnelles.

Dans ce projet, les lacs de rétention correspondent à un surcoût en termes de construction comme en termes de gestion pour la COURLY. Le centre commercial IKEA souhaite que son bassin de rétention (lequel n’est pas accessible au public) soit détourné de sa fonction et transformé en parking. Ce cas est étudié dans le cadre de la construction des futurs bassins d’infiltration.

Le projet, du point de vue technique, doit être coordonné avec les trois autres sous-projets, ce qu’il fait qu’il y a environ une centaine de correspondants sur ce projet. Etant donné le nombre important d’acteurs et de représentations en jeu, ainsi que la complexité du problème, la construction de compromis semble être la clé de voûte de la gestion de la nappe phréatique. La constitution de compromis entre tous ces acteurs n’est possible que dans la mesure où ils réussissent à construire des principes communs alors qu’ils appartiennent à des “ mondes ” dans lesquels les valeurs diffèrent fortement. La création de compromis exige également qu’un des acteurs dispose d’une légitimité et d’un pouvoir l’autorisant à faire prévaloir une logique dominante. Si les élus ont un pouvoir de décision très important, leurs marges d’action sont limitées par les contraintes techniques, les évolutions économiques, les ressources financières et l’opinion des électeurs. Les techniciens et les scientifiques possèdent les connaissances techniques (tout au moins une grande partie) mais ils ne peuvent pas imposer une logique purement technique dans les décisions. Les conséquences économiques et politiques des choix techniques interviennent en effet de façon importante dans les décisions. On peut donc penser que les représentations de la notion de “ risque acceptable ” de ces différents acteurs sont potentiellement conflictuelles, les techniciens valorisant essentiellement des valeurs comme le fonctionnement technique, les élus composant entre cette logique technique dont ils ne comprennent pas toujours le vocabulaire et les enjeux et la logique économique et sociale (coûts, valorisation de la zone, chômage).

Enfin, la possibilité d’aboutir à des formes d’accords durables et généraux associant les registres d’action de l’ensemble des acteurs concernés se heurte au nombre d’acteurs impliqués et à la difficulté d’identification de leurs orientations et comportements. Les arrangements locaux et provisoires dans des situations précises paraissent dans ces conditions plus faciles à mettre en oeuvre et plus probables. Dans ce cas en effet, chaque arrangement exige des négociations et des traductions entre acteurs, mais il n’exige pas la constitution d’une logique prévalante qui soit en mesure de dépasser les représentations des différents acteurs.

Notes
103.

GIRAUD, C. op. cit. pg. 58

104.

Communauté Urbaine de Lyon.

105.

Zone d’Aménagement Concerté.

106.

Interview réalisé avec le Coordinateur COURLY pour les ZAC de Perches et du Feully. Juin 1996

107.

Idem.

108.

Zone d’Aménagement Concerté.

109.

Interview réalisé avec le Coordinateur COURLY pour les ZAC de Perches et du Feully. Juin 1996