4.4) Histoire de l’ “ Hospital de Clínicas ”.

L’ “ Hospital de Clínicas Dr. Manuel Quintela ” est une organisation universitaire qui remplit trois fonctions : soins médicaux des plus démunis de la population uruguayenne, enseignement et recherche. L ‘ “ Hospital de Clínicas ” a été créé en octobre 1926, grâce à un chirurgien de l’époque, le Docteur Manuel Quintela. Bien que le projet de créer un centre hospitalier universitaire ait été proposé auparavant, Quintela a été le premier à concevoir l’idée d’un hôpital universitaire consacré principalement à la recherche et à l’enseignement. En 1910 le Docteur Quintela, avec d’autres professionnels renommés de l’époque, présentait à la Faculté de Médecine un rapport où il sollicitait la création d’un hôpital universitaire de 500 lits. A ce moment, le développement de la médecine en Uruguay était à son état initial, couvé dans la primitive et modeste Faculté de Médecine d’alors.

La construction d’un hôpital universitaire impliquait un investissement important pour le gouvernement de cette époque-là. Le projet lancé à la demande d’un groupe de professionnels a été bien accueilli par le secteur politique. A ce moment l’Uruguay se trouvait en plein processus de modernisation, favorisé par un placement favorable des exportations de bétail sur les marchés internationaux et par une politique de redistribution, stimulée par l’Etat grâce à un groupe politique à la tête duquel se trouvait José Battle y Ordóñez.

Bien que du côté politique et professionnel on ait accepté l’idée que l’hôpital devait avoir une orientation autonome, il n’y avait pas d’accord sur sa structure de fonctionnement. Un groupe considérait que l’hôpital devait dépendre du Ministère de la Santé Publique, tandis que le groupe de Quintela considérait qu’il devait dépendre de la Faculté de Médecine et de l’Université de la République. En fin de compte, c’est cette dernière solution qui a gagné. C’est pourquoi l’hôpital fait partie de l’Université.

En 1958, à la suite d’un processus de réforme universitaire commencé à Córdoba (Argentine) quelques années auparavant, et, comme résultat des mobilisations d’étudiants en Uruguay, on approuve la “ Ley Orgánica de la Universidad ”. Celle-ci établit l’autonomie de l’Université par rapport aux pouvoirs publics et le co-gouvernement de l’Université avec des représentants des trois ordres : étudiants, enseignants et diplômés. La “ Ley Orgánica de 1958 ” établit la création de Conseils pour la direction de chaque Faculté, formés par les trois ordres ; on crée en même temps les Assemblées au niveau de chaque Faculté comme organes de discussion, d’élaboration de propositions et de contrôle des plans d’études. Ce sont ces Assemblées (constituées par 15 représentants de l’ordre des enseignants,10 de l’ordre des étudiants et 10 de l’ordre des diplômés) qui doivent élire les Doyens de chaque Faculté. Au sommet, l’organisme principal est le “ Consejo Directivo Central ” auquel participent les Doyens des différentes Facultés et les représentants des trois ordres. Finalement la “ Ley Orgánica ” crée une “ Asamblea General del Claustro ” à laquelle participent les représentants des trois ordres des différentes Facultés.

L‘ “ Hospital de Clínicas ” en tant qu’organisme universitaire aura, au niveau de la Direction, une composition similaire ; plus tard on y ajoutera des représentants des fonctionnaires de l’hôpital. De cette manière, on consolide une structure démocratique mais complexe, caractérisée par la lenteur et la difficulté à prendre des décisions.

La construction de l’infrastructure de l’hôpital a engendré aussi des discussions et des polémiques. A l’époque, les deux grandes tendances dans la construction hospitalière étaient le monobloc et les pavillons indépendants. Les pavillons séparés, à un ou deux étages, avec des chemins et des jardins au milieu, des pelouses et des arbres, étaient les modèles des centres médicaux les plus avancés en France. Les grands monoblocs à nombreux étages formant un seul centre hospitalier constituaient le modèle prédominant aux U.S.A.. 128

Les arguments pour le monobloc se basaient sur la possibilité d’établir une Administration unique, une seule Direction Générale, la centralisation des services indispensables pour l’enseignement et la recherche et la concentration dans un même édifice de la cuisine, la pharmacie, les laboratoires, le chauffage et les laveries. Un autre facteur qui faisait pencher la balance en faveur du monobloc c’était la difficulté à trouver des terrains disponibles et leur prix élevé. Cette centralisation serait accompagnée d’un vaste service extérieur qui comprendrait des polycliniques, l’hématologie, la physiothérapie et un grand département pour les urgences.

Les pavillons multiples supposeraient, à l’opposé, une inévitable répétition des services médicaux et sanitaires, avec des communications souterraines qui pourraient être remplacés, dans les cas d’un bloc unique, par des systèmes mécaniques. Le fait concret fut que l’hôpital en hauteur fut la modalité prédominante dans les années 30 dans le monde entier, y compris en France, à savoir les hôpitaux de Marseille et de Lille. De toute manière, pour un petit pays comme l’Uruguay, la construction d’un hôpital en hauteur fut considérée comme un geste d’audace et d’optimisme pour l’avenir. 129

La construction de l’hôpital, commencée en 1930, se termina en 1953. C’était la plus grande construction en Amérique, sans compter les U.S.A. Ce n’est que 30 ans après que l’on construira à Buenos Aires, à San Pablo et à Rio de Janeiro des édifices comme celui-là. L’hôpital est un édifice gigantesque qui possède 2015 pièces (y compris salles générales et individuelles). Tous les bâtiments ont doubles murs, incombustibles et isolés de la température extérieure. Les sols ont été construits avec des planches insonores, tandis que les murs et les cloisons sont isolés des structures principales avec des planches spéciales. Les baies vitrées qui s’ouvrent sur l’extérieur possèdent des cadres métalliques et des vitres double épaisseur. La circulation verticale s’effectue grâce à des ascenseurs, des monte-charge et des monte-plats, tandis que les installations électromécaniques, les tuyauteries, l’électricité et l’aération occupent des conduits spéciaux. 130

L’hôpital possède trois sources d’eau : a) l’eau courante, b) le drainage de terrains, c) des puits artésiens. La première est la seule potable et elle est pompée dans un réservoir (capacité : 40.000 litres), située sur le toit en terrasse. L’eau souterraine provenant du drainage est recueillie dans un réservoir souterrain (capacité :50.000 litres) ; elle est pompée vers un réservoir supérieur (135.000 litres) où aboutit aussi l’eau qui provient des puits artésiens. Malgré l’ínvestissement fait pour sa construction, tout au long de l’histoire de l’hôpital, certains accidents sont devenus des phénomènes courants. Par exemple, les inondations sont fréquentes dans la partie basse de l’édifice et causent beaucoup de dégâts ; aussi la rupture des vitres à cause des vents violents a fini par détériorer les fenêtres.

L’histoire de l’ “ Hospital de Clínicas ” montre sa double empreinte : il s’agit d’une organisation de santé complexe insérée dans un autre système présentant le même degré de complexité : la structure universitaire de l’Uruguay. Ces deux éléments se complètent pour rendre difficile la construction de codes d’action dominants et d’un système normatif cohérent et légitime. L’autonomie des groupes qui participent au fonctionnement de l’institution, les luttes de pouvoir et la coexistence de sources multiples et contradictoires de légitimité, est l’expression d’un contexte marqué par l’anomie et les tensions corporatives. Cette situation est encore aggravée par l’énorme infrastructure de l’hôpital, qui répond à des critères anciens et ne dispose pas des ressources nécessaires pour assurer les niveaux d’attention médicale minimaux.

Notes
128.

LOCKHART, J. 1978

129.

Idem.

130.

Idem.