4.5) La division du travail médical et les secteurs principaux étudiés.

Toute organisation fonctionne à partir d’une division du travail déterminée qui spécifie les tâches, fonctions, responsabilités et pouvoir de commandement des différents individus qui en font partie. Les organisations hospitalières n’échappent pas à ce principe qui suppose l’établissement de logiques de fonctionnement et types de rationalités spécifiques pour les différents niveaux de division du travail.

La division du travail à l’intérieur de l’hôpital permet, tout d’abord, de différencier les médecins des travailleurs qui offrent des services médicaux directs ou indirects sous les ordres ou la supervision directe des médecins : personnel médical et paramédical. 131

Le médecin est celui qui détermine le traitement à suivre ; il peut l’appliquer lui-même ou donner des instructions et superviser le travail des autres. En outre le médecin doit obtenir que ses ordres soient obéis par le reste du personnel. Sur ce plan le plus difficile n’est pas d’obtenir l’accomplissement exact des ordres, mais d’en transmettre l’esprit. Quand la philosophie du traitement proposé par le médecin contredit le sens commun des assistants ou qu’elle menace l’organisation routinière de la salle, il aura moins de possibilités d’être obéi. De toute façon, le médecin va être l’arbitre final de la pratique médicale. Etant donné l’autorité de ses connaissances, son jugement et sa responsabilité, exercés dans la division du travail médical, le médecin jouit d’une autorité et d’une hiérarchie de compétence indépendante de la hiérarchie administrative de l’hôpital.

D’un autre côté, la division du travail paramédical est un système stratifié dont les rôles son organisés à différents degrés autour du travail médical. En accord avec ces différences fonctionnelles, la formation de ceux qui sont recrutés pour des tâches paramédicales est différente à celle du personnel recruté dans le domaine de la médecine. Il y a aussi une hiérarchie du point de vue de l’autorité chez les travailleurs paramédicaux. Les infirmières, par exemple, se placent plus haut dans l’échelle que les auxiliaires et les techniciens. Les catégories paramédicales ont tendance à être hiérarchisés selon la durée et le type de formation exigés par le poste. 132

En relation à l’infirmière, ses qualités professionnelles, particulièrement à l’hôpital, dépendent de ses rapports avec le médecin. C’est l’agent du médecin ; c’est elle qui mène à bout le traitement et les soins du patient. Mais elle doit aussi s’occuper de l’administration quotidienne de la salle, équilibrant les ordres du médecin avec les demandes des patients d’une manière raisonnable. Du moment qu’elle est proche du médecin ainsi que de l’autorité administrative, elle est une source possible de conflits. A différence du personnel auxiliaire, on attribue à l’infirmière une identité professionnelle ; c’est pourquoi elle se trouve impliquée dans un système d’interaction complexe. Dans ses rapports avec le médecin l’une de ses principales ressources est sa connaissance de première main et son évaluation professionnelle du fonctionnement de la salle grâce à sa présence continue. Dans sa relation avec le patient, son principal pouvoir passe par son accès au médecin, aussi bien en ce qui concerne le contenu de l’information que par la possibilité de discuter les cas avec lui. 133

Les auxiliaires et les assistants ont des traits communs : ils proviennent des classes populaires, sont mal rémunérés et sont inexpérimentés en médecine. Même s’ils ne sont pas formés pour réaliser les techniques complexes du traitement médical, ils font preuve de connaissances pratiques très développées concernant les différentes tâches et les activités qui se déroulent au sein de l’hôpital. Plusieurs fois ils partagent les codes et les valeurs de l’institution médicale, accomplissant leur tâche en harmonie avec le personnel technique. Ils font partie des secteurs les plus mal protégés du point de vue de la gestion du risque, parce qu’ils ont peu de pouvoir dans l’organisation et des difficultés pour s’adapter aux situations incertaines.

Dans une organisation industrielle courante, les travailleurs dont les connaissances sont utilisées dans la production industrielle se subordonnent à l’administration. L’administrateur, pour obtenir et remplir correctement son rôle, ne doit pas être nécessairement un travailleur du métier. L’organigramme de l’organisation industrielle est tout à fait logique et symétrique. Chaque fonction est responsable auprès d’administrateurs équivalents, lesquels, à leur tour, sont responsables auprès du principal coordinateur ou du président. Il existe, par conséquent, une seule ligne d’autorité, déléguée et différenciée selon les tâches. Ce modèle d’organisation monocratique est inadéquat quand il s’agit d’organisations de type professionnel qui effectuent des travaux complexes, créatifs et qui exigent des connaissances et des capacités techniques. Dans les hôpitaux, il n’existe pas une ligne d’autorité mais deux. Le médecin peut intervenir dans de nombreux secteurs de l’hôpital où il n’a ni autorité ni juridiction administrative formelle. A différence du contremaître de l’industrie qui se trouve au milieu de la chaîne de commandement, entre ses supérieurs et les travailleurs, l’infirmier de l’hôpital se trouve face à deux supérieurs : l’administrateur et le médecin. Ce dernier n’est pas son supérieur bureaucratique ; l’infirmière est soumise aux ordres de son supérieur bureaucratique qui est son supérieur officiel dans la hiérarchie de l’hôpital, mais elle est aussi sous les ordres d’un médecin consacré à l’attention du patient, étant donné sa plus grande compétence et responsabilité. A son tour, le médecin justifie ses exigences faisant allusion au bien-être du patient, donnant des ordres au personnel de l’hôpital bien qu’il ne soit pas leur supérieur bureaucratique. 134

A différence des techniciens et professionnels qui travaillent dans des organisations industrielles, ce qui donne de l’immunité et des privilèges spéciaux au médecin c’est la possibilité de justifier son intervention sous prétexte d’une “ urgence médicale” , une situation où le bien-être du patient court un grave risque et dans laquelle le médecin est le seul à savoir ce qu’on peut faire. Il est courant aussi dans un hôpital que le médecin qualifie des épisodes ambigus comme des urgences pour obtenir les ressources ou l’aide nécessaires.

En général on admet que ceux qui sont responsables de l’administration d’une organisation possèdent les ressources nécessaires pour que celle-ci atteigne les objectifs approuvés officiellement de manière que la marche de l’institution coïncide avec les objectifs prévus. Mais il n’en est pas toujours ainsi. Dans un hôpital, même si l’objectif est défini de manière officielle, sa poursuite se fait dans un contexte d’interaction auquel participent des perspectives différentes et, parfois, conflictuelles.

L’ “ Hospital de Clinícas ” se caractérise, comme toute organisation de santé, par l’existence de différentes catégories de professionnels, d’assistants et de travailleurs, porteurs de cadres valorisants différents et conflictuels. Egalement, l’existence de différentes lignes d’autorité engendre des normes contradictoires et des sources de légitimité opposées. La gestion du risque qui se fait dans le cadre de ce système complexe et hétérogène voit ses composantes aggravées en raison du manque de ressources matérielles et par son appartenance au système universitaire du pays.

Notes
131.

VILLAR, H., IBARBURU, D., PORTA, L., DE MERLI, M., NOWINSKY, A. 1961.

132.

FREIDSON, E. 1978

133.

Idem.

134.

Idem.