4.9) La perception du risque dans un milieu de travail non qualifié : le cas du secteur Hygiène et Nettoyage.

Le second secteur que nous avons analysé est celui de l’hygiène et du nettoyage. Ce secteur joue un rôle important dans la gestion du risque organisationnel, dans la mesure où il doit s’assurer des niveaux d’hygiène et de nettoyage compatibles avec l’activité d’attention à la santé qui se déroule dans un hôpital.

La Direction d’Hygiène Ambiante de l’“Hospital de Clínicas ” s’occupe des tâches d’hygiène et de nettoyage pendant les 365 jours de l’année et 24 heures sur 24. Depuis 1988, la directrice de ce service est une infirmière professionnelle. A l’origine, ce département était chargé aussi du contrôle des ascenseurs, surveillance, entretien, fumigation et prévention des incendies. A partir de 1990 il y a eu une division de fonctions et la Direction a conservé le fonctionnement de l’hygiène, nettoyage, contrôle des rongeurs, fumigation et prévention des incendies.

L’échelle hiérarchique comprend les contremaîtres généraux, responsables de la distribution des tâches, les contremaîtres contrôleurs de secteur et responsables du contrôle direct des ressources humaines et les travailleurs qui font partie des services généraux. La plupart des personnels sont affectés au secteur nettoyage tandis que l’enlèvement des déchets est effectué par un petit groupe de travailleurs. Le secteur qui s’occupe des déchets fait deux services : le matin et l’après-midi ; le nettoyage, par contre, est divisé en 4 services. Il y a des espaces fermés ayant leur propre personnel de ménage, comme le Centre chirurgical et le Centre de Matériels. Il y a encore des espaces qui dépendent de la Faculté de Médecine, et ne sont pas non plus dans l’orbite de la Direction d’Hygiène Ambiante. Le personnel des différents secteurs fait ses premiers pas dans le secteur nettoyage et, après, il est promu pour faire le ménage de certaines salles spéciales.

L’une des plus grandes difficultés du service d’Hygiène Ambiante est le manque de personnel pour remplir les tâches assignées. D’après les estimations des responsables hiérarchiques 188, il faudrait 20 % plus de personnel pour remplir correctement les fonctions assignées au service. Le manque de personnel a des conséquences sérieuses sur l’organisation du travail, comme nous verrons plus loin.

L’ancienneté des travailleurs de ce secteur est variable, mais elle se situe autour de 5 ans. La plupart d’entre eux ne travaillent qu’à l’hôpital. Le pourcentage du personnel féminin est sensiblement supérieur à celui du personnel masculin. La charge horaire est variable aussi. La plupart font 5 heures par jour pendant 6 jours et un jour de repos. Il y a aussi des gardes pour compenser le manque de personnel. Les travailleurs de ce secteur ne jouissent pas des mêmes avantages que ceux d’autres secteurs (médecine nucléaire, néphrologie) qui ont des congés spéciaux du fait du caractère insalubre de leur travail. Il faut signaler aussi que si le personnel du secteur nettoyage est transféré à l’un de ces secteurs spéciaux, il n’a pas les mêmes droits que les autres travailleurs du secteur.

Le nettoyage a trois modalités : nettoyage des salles communes, nettoyage des salles individuelles et nettoyage des escaliers. La Direction du service a assigné à chaque fonctionnaire deux salles qu’il doit faire en 5 heures de travail. Dans chaque salle, il y a 12 lits disposés en rang : 6 d’un côté, 6 de l’autre. Successivement le travailleur effectue un jour le nettoyage de toute la salle y compris sous les lits et, le lendemain, seulement le sol, sans toucher aux lits. Le nettoyage sous les lits est une tâche ennuyeuse. La plupart des patients sont des gens modestes, qui viennent de la province accompagnés de leurs parents. Autour de chaque lit, les parents organisent un vrai campement avec des sacs, sacs de couchage et couvertures. Le nettoyage oblige à déplacer tout cela, déranger les patients et leurs parents. Malgré tout, en général, les parents des malades collaborent avec le personnel ; les conflits de ce côté-là sont rares.

En ce qui concerne les méthodes de travail, les responsables du nettoyage font une distinction entre deux types de salles : la salle à cloisons et la salle sans cloisons. La première offre des difficultés supplémentaires dans la mesure où il y a plus de problèmes de mobilité pour passer le torchon. La distribution des travailleurs et des tâches tient compte de ce facteur comme élément organisateur.

Quant aux salles individuelles, le nettoyage se fait une fois par jour. Il consiste à balayer et laver le sol. Quand un patient meurt, est transféré ou reçoit son bulletin de santé, on fait un nettoyage à fond. Quand il s’agit d’un patient contaminé, le nettoyage est total et le travailleur utilise des gants, couvre-bouches et blouses de protection.

L’un des risques des salles individuelles est que le travailleur ne sait pas s’il s’agit d’un patient qui a une maladie contagieuse ou s’il est contaminé. Les travailleurs ont demandé à être informés quand un patient est contaminé, pour pouvoir prendre les précautions nécessaires. Ils demandent à l’hôpital la colocation des écriteaux avec des barres en couleurs dans les chambres pour marquer les zones dangereuses ; cette demande n’a pas obtenu de réponse de la part de la Direction du secteur. Le risque n’est pas seulement pour le travailleur mais aussi pour l’environnement dans la mesure où le nettoyage véhicule des microbes ou du matériel contaminé.

En ce qui concerne les escaliers, un travailleur s’occupe de les nettoyer du rez-de-chaussée au 11e étage, un autre du 12e au 20e. Le balayage est quotidien et le lavage se fait un jour sur deux. Etant donné le manque de personnel et le fréquent absentéisme, cette tâche ne se fait pas avec la régularité souhaitée ; c’est pourquoi, bien souvent, la saleté s’accumule et produit, dans les zones très fréquentées comme les escaliers, une image qui n’est pas en accord avec celle d’un service médical.

Le nettoyeur a des tâches concrètes et un secteur qui peut être un étage de l’hôpital. Les travailleurs disposent de chariots spécialement conçus, munis de deux seaux : l’un pour l’eau sale, l’autre pour le rinçage, qui sont placés à la hauteur de la hanche. Ils ont aussi une brosse à long manche qui leur permet de ne pas se baisser pour faire leur travail et ils ont aussi, bien entendu, les produits d’entretien nécessaires.

Bien qu’ils disposent de tout ce matériel, les travailleurs de ce secteur ont une lourde tâche. Les outils sont vieux et en mauvaises conditions. Les chariots, par exemple, sont presque tous vieux ou abîmés, ce qui fait que la plupart du temps ils ne sont pas utilisés. Ils sont lourds, hauts et difficiles à transporter. Beaucoup de fois, au lieu de porter deux seaux, comme il faut, ils en portent un seulement. Ajoutons que le chariot n’est pas toujours l’instrument le plus approprié pour le transport du matériel.

Les travailleurs ont une période d’entraînement, dans l’hôpital, où ils apprennent à se servir de la brosse et à laver suivant une méthode précise. Chaque travailleur doit nettoyer 500 mètres carrés chaque jour suivant des procédés définis par le Département : ils doivent manier la brosse de manière à éviter de se baisser ou de plier le dos.

Pour être admis à travailler dans ce secteur, il n’est pas nécessaire d’avoir de l’expérience. Il y a quelque temps, il y avait des cours d’orientation pour les travailleurs ; on leur apprenait les techniques de nettoyage, on leur donnait des informations sur les différentes maladies transmissibles et, surtout, on mettait en valeur leur travail. De cette manière, on obtenait une série de bénéfices : une plus grande valorisation du travail de la part de tous les travailleurs et du reste de l’hôpital, la hiérarchisation de la tâche fournie par le travailleur vis-à-vis de lui-même et des autres travailleurs, l’amélioration de la technique et, de là, une diminution de la charge physique du travail. Cette préparation n’existant plus, on aboutit à l’appauvrissement de la technique et la dévalorisation institutionnelle de cette besogne. 189

Le nettoyeur, conseillé et guidé par les contremaîtres, apprend, d’une manière pratique, les méthodes logiques qu’il doit suivre. Cependant, malgré l’apprentissage pratique qu’ils suivent et l’existence de normes techniques précises, il n’y a pas de rapport entre les normes prescrites pour la tâche et le comportement réel. Beaucoup de travailleurs n’appliquent pas correctement les techniques de nettoyage, par exemple dans l’utilisation de la brosse. Ils ne suivent pas non plus les normes relatives à la position du corps qu’il faut adopter pendant le travail ; beaucoup de travailleurs ont des maladies de colonne après les 30 ans. Cette situation est présente surtout chez les femmes qui ont tendance à prolonger les habitudes ménagères dans le nettoyage de l’hôpital.

Les nettoyeurs éprouvent un sentiment de dévalorisation par rapport aux autres travailleurs, aux infirmières, aux médecins et aux patients de l’hôpital. Le contact quotidien avec les infirmières semble contribuer de manière décisive à ce sentiment de dévalorisation. Cette situation peut être saisie à travers des attitudes et des phrases quotidiennes apparemment banales, mais qui expriment l’attitude de dévalorisation. Par exemple, à la cantine, on entend souvent les infirmières qui disent : “ cette cantine est à nous ”, ce qui fait que les nettoyeurs abandonnent les lieux. 190

Il n’existe pas de motifs précis pour expliquer le comportement des infirmières dont nous avons parlé plus haut. Cela peut provenir de l’exercice de l’autorité qui émane de la spécification de la charge ou du rôle historique qu’on a assigné à l’infirmière. A l’ Hospital de Clínicas ”, la tendance a toujours été de faire dépendre le service de nettoyage du secteur d’infirmerie. ’ ‘ A la suite de la création du Département d’Hygiène ces deux activités se sont détachées, mais les profils et les rôles définis historiquement demeurent. Il peut aussi être associé à l’image construite socialement de l’infirmière et du sexe féminin. L’infirmière est associée à l’image de la ménagère, la femme qui assume la responsabilité du fonctionnement de la maison, de l’ordre, du nettoyage. On conserve de mauvaises habitudes historiques de ce rapport, manifesté dans le fait qu’il s’agit d’une infirmière qui dirige le Département Hygiène, même si ce Département dépend directement de la Direction de l’Hôpital et non pas de l’Infirmerie.” 191

Les nettoyeurs se plaignent que les infirmières ne leur adressent la parole que pour leur donner des ordres et réagissent face à cette relation de dévalorisation en évitant d’obéir. Ils critiquent aussi les infirmières parce qu’elles ne leur indiquent pas le contenu des sacs-poubelle et qu’elles ne déposent pas les ordures dans les endroits indiqués.

Le manque d’information est une importante source de tension pour ces travailleurs. Le fait d’ignorer quel type de déchets ils sont en train de manipuler ou de quelles maladies souffrent les patients proches ou liés aux tâches de nettoyage provoque chez eux un sentiment d’insécurité ou de crainte. Ils ont l’impression que les infirmières, systématiquement, leur cachent information sur les différents composants de risque qui entourent leur travail, ce qui les empêche de prendre les attitudes de protection nécessaires en plus de respecter les indications prescrites. Le manque d’information en ce qui concerne les patients et l’absence de communication avec les autres secteurs est un obstacle aux possibilités de développement d’une confiance pratique de la part des nettoyeurs, confiance qui poudrait réduire les niveaux d’incertitude par rapport aux risques du travail.

 En plus, on est en train de nettoyer un couloir et l’on ne sait pas si l’endroit est contaminé ; dans notre routine, on n’a pas moyen de savoir si, dans l’endroit qu’on va nettoyer, il y a contamination ou non. L’infirmerie devrait nous dire où il y a des patients ou du matériel contaminé. Nous ne le savons qu’une fois la tâche terminée. Je suis entré dans des salles où il y avait des patients dans un état critique. Personne ne m’avait prévenu. Le nettoyeur est quelqu’un qui semble étranger à l’institution; personne ne l’informe de rien, on n’a aucun respect pour nous, personne ne fait attention à nous, ils te voient en train de nettoyer le sol et, de toute façon, ils marchent dessus. ” 192

Les problèmes de communication des travailleurs de ce secteur passent aussi par le rapport avec les étudiants en médecine qui font des stages à l’hôpital. La perception des travailleurs est que le comportement des étudiants, qu’ils définissent comme “ irresponsable ” et l’absence d’un système de contrôle et de surveillance, est une autre source de risque systémique.

Dans le service des urgences, nous avons des problèmes avec les étudiants en médecine ; personne ne leur explique rien. Quand ils font leur pratique, ils laissent des choses par terre. Moi, je me suis déjà piqué deux fois. En plus, nous devons charrier les ordures très loin, dans des sacs qui contiennent des restes de sérum. A force de traîner le sac, il s’use, s’accroche, se déchire et l’on court le risque de répandre du matériel contaminé. ” 193

Notamment les rapports avec les secteurs non-médicaux sont vus comme les plus difficiles. Il y a une relation inverse entre distance sociale, hiérarchie organisationnelle et conflit potentiel. Dans les niveaux les plus éloignés du point de vue social et hiérarchique (les médecins) les travailleurs perçoivent plus de respect et de considération que dans les niveaux immédiatement supérieurs (les infirmières) ou chez les travailleurs d’un niveau semblable (fonctionnaires non-techniciens).

 Un autre problème c’est le manque de considération des autres secteurs principalement par rapport aux aiguilles. Nos outils, nous les rangeons à côté des vêtements que nous allons mettre. On pourrait éviter beaucoup de risques si les rapports avec les autres services, surtout l’infirmerie, s’amélioraient. Dans certains étages, on n’emballe pas les aiguilles comme il faut ; il y a des endroits où le risque est extrêmement grand, par exemple le 14e et le 16e étage, le 8e où se trouvent l’hématologie et le service des urgences . On est plus respecté par les médecins que par les étudiants ou par nos pairs. ”   194

Les travailleurs de ce secteur perçoivent la dévalorisation de leur travail non seulement à cause des rapports de travail et personnels qui s’établissent avec les autres secteurs, mais aussi dans les différents bénéfices que reçoivent les services. Ils sentent que leur secteur a été relégué tandis que d’autres secteurs du même niveau social et hiérarchique ont obtenu les avantages dont eux ne jouissent pas.

 On reçoit des salaires de misère ; dans notre secteur il y a beaucoup de femmes qui sont chefs de famille et qui viennent travailler n’ayant pris comme petit-déjeuner qu’un  mate cocido” 195  . Ils devraient nous donner le petit-déjeuner, encourager les gens qui, après l’hôpital, vont travailler dans un autre emploi. Il y a d’autres secteurs qui reçoivent cet avantage, par exemple, ceux qui enlèvent les ordures. Nous sommes plus en contact qu’eux avec les ordures et n’avons pas ce bénéfice. ” 196

Un autre élément qui confirme ce sentiment de dévalorisation est la constatation que la “ División Salud del Hospital ” ne leur offre ni la protection ni l’appui nécessaire du point de vue suivi et contrôles médicaux.

 On n’a pas non plus de contrôles médicaux de la part du DUS. Quand on va se faire porter malade, ils vous regardent de travers pour vous donner une journée. ” 197

Les travailleurs du service de nettoyage perçoivent la dévalorisation de leur travail de la part des autres secteurs comme un facteur de risque. La relation conflictuelle entre les travailleurs du secteur nettoyage et les autres secteurs non-médicaux est un facteur négatif pour la construction, dans les routines du travail, d’un sentiment de confiance et de sécurité ontologique chez les premiers. Le manque d’information et de transparence est un facteur clé dans ce processus. Tout cela devient source d’incertitude et engendre une zone de risque permanent dans le secteur.

Un autre aspect à souligner chez les nettoyeurs est l’effet négatif produit par le manque d’autorité en ce qui concerne l’organisation du travail. Le personnel de ce secteur partage, dans plusieurs sens, plus de choses avec le personnel de l’industrie manufacturière qu’avec celui d’une institution hospitalière. Il leur faut un commandement vertical clairement structuré autour de l’image du contremaître qui leur ordonne ce qu’il faut faire et les oriente dans leur besogne. A l’“Hospital de Clínicas ”, s’il est vrai que cette structure existe dans la forme, elle ne semble pas remplir les fonctions exigées. Il y a une tendance à l’absence de contrôle et de suivi concret de la tâche, ce que constitue une source de risque systémique dans le secteur. Cette situation est vue comme un aspect négatif par les nettoyeurs eux-mêmes, qui ont réclamé aux autorités de l’hôpital un commandement plus sérieux, qui les oriente mieux et qui montre la même exigence envers tous les travailleurs.

Malgré ce contexte de dévalorisation, les travailleurs de ce secteur sentent que leur tâche est utile et nécessaire au fonctionnement de l’hôpital. Ils ont construit des mécanismes de solidarité et d’appui entre eux et ils ont développé un sentiment d’appartenance et de groupe très fort. Ce sentiment de groupe est une réaction aux mauvaises conditions de travail, tant du point de vue psychique (sentiment de dévalorisation) que du point de vue physique (que nous détaillerons ci-dessous). Il forme partie de la “ culture de détérioration ” que nous avons mentionnée plus haut. Comme l’analyse le Laboratoire PRINTEMPS 198, il existe dans toute organisation des attitudes individuelles ou de groupes qui répondent à des situations de risques. La cohésion du groupe, le développement de fortes identités sectorielles et l’élaboration de normes internes au groupe sont la réponse collective de cet ensemble de travailleurs face à des situations de risque structurel avec lequel ils cohabitent quotidiennement. Ces composantes affectives et normatives permettent réaliser la tâche, malgré les mauvaises conditions, et d’assurer la continuité et la stabilité du groupe de travailleurs. Elles constituent une adaptation collective au risque systémique qui ne peut être résolu par l’organisation.

Même si les nettoyeurs accomplissent leur travail dans un contexte de détérioration avec des risques physiques élevés, ils n’ont pas une perception claire de tous les risques présents dans l’organisation. Par exemple, ils n’ont pas une idée très claire du risque de contagion inhérent à l’exécution de leurs tâches. En général, ils considèrent que l’utilisation de gants pendant le travail suffit pour se protéger contre tous les risques. Contrairement à ce qui se passe dans le Centre de Matériels, la non-utilisation des matériels de protection adéquates ne constitue pas une option individuelle ; elle est la conséquence du manque de perception de certains risques.

Quant aux risques physiques, l’un des risques les plus sérieux pour les nettoyeurs est celui de se piquer avec une seringue. C’est un risque systémique lié à l’organisation du travail dans l’institution : l’hôpital ne possède pas un bon système pour se débarrasser du matériel piquant et tranchant. Ce risque a diminué depuis que les infirmières ont changé leurs routines de travail. Elles ne jettent plus directement les seringues à la poubelle, mais elles les mettent d’abord dans des récipients. Cependant le risque demeure avec les seringues à sérum qui sont plus résistants et traversent les matériels protecteurs. 199

Un autre risque est constitué par les allergies. Le principal produit employé dans le nettoyage est l’hypochlorite, beaucoup plus concentré que celui qu’on vend dans les commerces. Chaque travailleur manipule un litre par jour qu’il doit doser selon la tâche à faire. C’est un produit efficace, bon marché et stable mais, en même temps, c’est une source d’allergies pour le personnel. Un autre risque pour la santé c’est le caoutchouc des gants, uni à l’humidité permanente des mains, ce qui provoque des affections de la peau. Le chariot qui transporte l’outillage est très haut et, comme normalement les nettoyeurs transportent un abrasif, il constitue une source potentielle de risque.

Les nettoyeurs de l’“ Hospital de Clínicas ” ne sont pas en contact avec les malades et ils ne lavent pas les affaires de ces derniers, comme dans d’autres établissements hospitaliers, ce qui diminue le risque de contamination provoquée par le contact avec certains matériels quand les travailleurs n’utilisent pas de gants. Dans certains secteurs de l’hôpital, le nettoyeur doit porter couvre-bouche et blouse de protection aussi bien pour sa propre protection que pour celle du patient. Le matériel de protection est fourni par le Département d’Infirmerie.

Les travailleurs ont aussi des maladies de la colonne vertébrale à cause des poids qu’ils doivent transporter. L’humidité permanente fait partie de leur routine de travail, ce qui produit des problèmes des os et des articulations.

 L’un des principaux problèmes, c’est la colonne ; on ne devrait pas rester là plus de trois ans. Il y a aussi des problèmes respiratoires à cause de l’hypochlorite. Il y a encore des problèmes de tendons à force de tordre les torchons ; presque tous nous avons passé environ deux mois dans le plâtre à cause de ce problème. Les déchets sont mis en sacs à l’infirmerie et transportés jusqu’au bout du couloir de chaque étage où il y a les conteneurs. Ce sont des sacs pesant 40 kilos que l’on traîne et qui contiennent du matériel contaminé. Cela provoque aussi des problèmes de colonne. ” 200

Ils soulignent aussi les problèmes respiratoires qui proviennent de l’utilisation de l’hypochlorite.

 L’hypochlorite provoque des douleurs dans les os. On a aussi des champignons aux mains à cause de l’humidité permanente. Parfois c’est pire avec les gants, on a les mains pleines de gerçures. Moi, je dois distribuer le matériel aux autres travailleurs. Je distribue les chariots et prépare 20 litres d’hypochlorite chaque jour. La manipulation de l’hypochlorite est hautement contaminante quand on la fait quotidiennement pendant 3 ou 4 heure .” 201

Comme nous l’avons analysé dans le Centre de Matériels, la perception des risques de la part des nettoyeurs n’est pas homogène. Les risques tangibles et immédiats, comme une piqûre ou une douleur physique, sont clairement perçus par les travailleurs, au temps qu’ils savent aussi définir précisément leurs causes ; au contraire, les risques médiats, comme une contagion, qui peut avoir des conséquences plus graves, ne sont même pas perçus. L’exemple montre, à nouveau, qu’il y a peu de relation entre la perception des risques et leur existence réelle ; la conscience semble se porter plus sur les risques précis que sur une future probabilité de dommage. 202

L’absence d’une infrastructure appropriée de l’hôpital est un facteur qui aggrave la charge physique du travail.

 Dans le service des urgences il y a six toilettes qui n’ont pas de chasse d’eau, alors, à chaque moment on fait un tour et l’on jette un seau d’eau ; si tu fais le travail d’une chasse d’eau ton corps le remarque. ” 203

L’analyse constate aussi d’autres risques qui proviennent de l’infrastructure physique. Les inondations et les problèmes de l’installation électrique semblent être ceux qui produisent le plus d’incertitude et d’insécurité chez les travailleurs.

 Il y a beaucoup de choses qu’on ne voit pas : des zones qui s’inondent, des problèmes d’insécurité avec l’installation électrique ; dans beaucoup d’endroits, il n’y a pas de portes ; en réalité il n’y a aucun contrôle ; quand il pleut, il y a de graves problèmes; il y a aussi des problèmes pour conserver les vêtements en bon état et, pour finir, l’édifice, ça n’aide à rien. ” 204

L’infrastructure non seulement alourdit la charge physique et engendre des risques, mais elle ne remplit pas les moindres conditions de confort et d’hygiène. Les nettoyeurs n’ont pas, non plus, l’équipement nécessaire à leur tâche.

 Après avoir fait le nettoyage nous n’avons pas la possibilité de prendre un bain. Nous laissons nos vêtements dans notre casier et, le lendemain, nous les remettons. Un autre risque c’est même l’utilisation des matériels et le manque d’hygiène de nos vêtements. Il y a aussi les matériels dans les sacs –poubelle ; nous savons que nous ne devons pas écraser les sacs .” 205

Il y a aussi des risques qui proviennent de facteurs externes, difficiles à contrôler. Par exemple, quand on doit soigner un prisonnier ou un gardé à vue. C’est un fait relativement peu fréquent, mais il est perçu comme un risque de la part des nettoyeurs du service des urgences.

 Un autre problème : celui des prisonniers qu’on amène au service des urgences, c’est très grave ; il y a six ou sept policiers autour d’eux et un climat de tension très grand. Une fois, ils ont pris un fonctionnaire comme otage. Ici, il y a des salles communes, il n’y a pas de salles spéciales pour détenus.” 206

Le contact permanent avec une structure d’attention médicale détériorée, avec de multiples problèmes d’infrastructure et de fonctionnement a, sans aucun doute, des répercussions du point de vue psychique. Cet aspect est souligné aussi par les nettoyeurs, lesquels, bien qu’ils ne participent pas directement du travail médical, subissent les conséquences de cette situation.

 Un autre risque qui ne se voit pas est le risque psychique. A l’hôpital, il se passe des choses inadmissibles, par exemple, des patients sont malmenés. Il faut y ajouter le côté animique : celui qui voit les choses qui se passent à l’hôpital subit une usure permanente du point de vue animique.”  207

La conscience des risques psychiques, présents dans les conditions de travail montre, chez les nettoyeurs, un niveau de perception des risques relativement élaboré, dans la mesure où ils perçoivent des risques non liés à l’expérience immédiate et tangible. Même si ils n’ont pas une claire perception des risques futurs et probables, leur perception n’est pas limitée aux risques évidents. De toutes façons, la terrible réalité des conditions de détérioration de l’infrastructure physique et matérielle de l’“ Hospital de Clínicas ” rend logique le fait que les travailleurs considèrent comme prioritaires les risques immédiats et tangibles qui proviennent de cette situation.

La perception et l’évaluation des risques est déterminée par l’expérience des travailleurs et par la comparaison avec des situations antérieures. Dans ce sens, la représentation du risque est toujours relative ; elle dépend du contexte dans lequel se déroule la situation, de l’expérience accumulée par rapport à celle-ci et des valeurs d’adhésion qui sont mises en jeu. 208 Quand les nettoyeurs comparent le travail actuel à celui des époques précédentes, certains remarquent des améliorations à travers le temps, par exemple le système des sacs de différentes couleurs, ou l’utilisation de matériels de meilleure qualité. 

 Malgré tout, on a fait des progrès depuis que je suis entré à l’hôpital. Maintenant on a des sacs de différentes couleurs, des plombs, des torchons de meilleure qualité. Il y a encore des problèmes avec l’entretien des chariots qui n’est pas fait comme il faut. Ce sont de vieux chariots et, souvent, ils ne marchent pas bien. ” 209

D’autres, par contre, considèrent qu’il n’y a pas eu d’amélioration importante dans le travail.

 Le nettoyage se fait comme lorsqu’on a inauguré l’hôpital. Il n’y a aucun progrès dans ce sens-là .” 210

La forte hétérogénéité dans les représentations du risque est un élément que nous avons trouvé également au Centre de Matériel ; il montre que la représentation du risque se construit par rapport à des situations dynamiques, où l’interprétation individuelle joue un rôle central. 211 L’incapacité syndicale pour améliorer les conditions de travail est en partie le résultat des difficultés rencontrées par les travailleurs pour construire une représentation homogène du risque.

Les travailleurs du secteur nettoyage ont une perception négative de leurs possibilités de défendre leurs droits et d’améliorer leur situation à travers l’action syndicale. D’un côté ils reconnaissent la capacité de mobilisation du secteur pour réclamer à l’hôpital des améliorations globales.

 Le Département d’Hygiène est l’un des Départements qui a affronté le plus les problèmes syndicaux de l’Université. Bien que ce soit un lieu de travail qui joue le rôle d’un filtre parce que les gens qui arrivent continuent vers d’autres secteurs ou s’en vont, il a toujours été au premier rang des luttes syndicales. Cela se passe surtout l’après-midi car ils sont plus solidaires. ” 212

D’un autre côté, ils ont aussi une perception négative de l’action du syndicat dans le co-gouvernement de l’hôpital. Leur avis est que les résultats des mobilisations et des revendications ont eu l’effet inverse, puisqu’ils ont abouti à des propositions de privatisation du secteur.

 Le syndicat de l’hôpital a proposé des revendications par rapport aux problèmes d’hygiène ambiante. Cependant, le résultat est que le nettoyage va passer dans les mains d’entreprises privées. Le secteur nettoyage a perdu beaucoup de terrain avec le co-gouvernement de l’Université ; c’est un espace d’une grande valeur que nous n’avons pas su utiliser. Personne ne sait faire face à la Direction de l’hôpital.” 213

Le manque d’homogénéité dans les représentations du risque est un facteur qui inhibe le déroulement d’actions collectives, telle qu’une action syndicale de défense et d’amélioration des conditions de travail. Même si une amélioration profonde des conditions de travail dépend de l’augmentation du budget de l’université, le changement concernant des conduites ou des attitudes déterminées peut réduire les probabilités de risque : par exemple, la bonne utilisation des matériels de protection ou des changements relativement simples des formes de l’organisation du travail, tel qu’un bon système pour jeter les matériels contaminateurs ou acérés. Mais ni le syndicat ni les employés, dans leurs routines de travail, ne développent d’actions collectives de ce type, qui peuvent améliorer les composantes de risque de l’organisation et qui n’impliquent pas des coûts économiques élevés.

Malgré la perception de la situation de risque permanente dans laquelle ils se trouvent, les travailleurs du secteur reconnaissent qu’il n’y a pas d’accidents de travail ou de maladies professionnelles important dans le secteur.

 En général, je n’ai connu aucun collègue qui ait eu une hépatite B, soit que Dieu nous protège, soit qu’on a eu de la chance ; les problèmes les plus courants et les plus graves ce sont des problèmes de colonne, des tendinites ; c’est bizarre, on n’a pas eu de choses plus compliquées..c’est bizarre. Il n’y a pas eu non plus beaucoup d’accidents du travail au-delà de quelque piqûre. Il y a quelque temps un collègue a glissé et a fait une fracture du coccyx ; c’est parce qu’il n’avait pas de chaussures appropriées. Le linge sale est un risque aussi : personne ne sait s’il est infecté ou non. ” 214

La perception et l’estimation des travailleurs quant aux risques dans leurs situations de travail ne correspondent pas aux dommages dont ils ont fait l’expérience ; le risque potentiel ne se traduit pas en dommages réels importants, du moins pour la majorité d’entre eux. Comme l’affirme GIDDENS 215, le risque et les dommages sont étroitement liés, sans être identiques; le risque présuppose le dommage mais pas nécessairement la conscience du dommage. Percevoir le risque c’est être conscient des menaces associées au choix d’une attitude spécifique, mais il peut s’avérer que les individus soient dans des situations à risque sans être conscients de l’importance de celui-ci. Dans ce cas, la conscience des risques est antérieure à l’apparition du dommage, ce qui implique une perception du risque relativement développée chez les travailleurs du secteur.

Les nettoyeurs signalent aussi l’absence de formation pour l’exercice des tâches. L’apprentissage se fait de manière informelle, pendant le travail, grâce au contact avec les collègues du secteur.

 Personne ne nous a préparés pour le travail. Nous savons qu’il y a des façons de s’incliner pour prévenir des problèmes de la colonne, mais on ne nous l’a pas enseigné. Ce sont les collègues qui nous apprennent.” 216

La perte de la formation spécialisée, qui était de mise à des époques plus éloignées pour les tâches de nettoyage, est considérée comme un facteur négatif, tant pour les autorités de l’hôpital que pour les travailleurs. Cette absence marque un recul dans le processus d’apprentissage organisationnel que l’hôpital avait développé et qui se traduit par une détérioration des savoirs et des capacités que l’organisation peut mettre en pratique pour réduire les possibilités de risques. Une autre conséquence de l’absence de formation spécialisée est que les travailleurs ont tendance à valoriser plus le savoir pratique que les connaissances techniques, ce qui engendre des difficultés pour intégrer des points de vue à partir de cadres cognitifs communs.

Les problèmes de communication, le sentiment de dévalorisation et le manque de confiance dans leur capacité, empêche le développement d’opérations de traduction entre les nettoyeurs et les autres acteurs que participent des routines de travail (infirmières, étudiants, syndicat). Les difficultés pour traduire la logique pratique et domestique des employés et la logique technique et scientifique des autorités de l’hôpital et des secteurs professionnels rend difficile la construction de routines de travail qui minimisent les probabilités de risque pour les travailleurs. La suppression des cours de formation spécialisée dont l’institution se chargeait réduit la possibilité de développement d’un espace de traduction de ces différentes perspectives, en aggravant les difficultés de communication.

Les relations de pouvoir implicites ou explicites qui sont présentes dans les relations entre le groupe de nettoyage et les autres groupes de l’hôpital, comme les infirmières ou les étudiants en médecine, sont aussi un obstacle à l’intégration d’une perspective unifiée par rapport au risque. Le sentiment de dévalorisation est l’expression des relations de pouvoir marquées par de sérieux déséquilibres et par l’absence de critères de légitimité partagés par tous les groupes de l’hôpital. La prédominance d’une logique de pouvoir corporative explique le manque de transparence dans l’information relative aux risques, qui existe entre infirmières et nettoyeurs. L’absence d’une autorité formelle légitime explique le manque d’obéissance aux normes institutionnelles. Dans ce contexte, la coopération dans le travail se substitue par le manque de confiance, par les conflits implicites ou explicites entre les différents groupes de travail et par l’insécurité par rapport aux risques systémiques.

Notes
188.

Interveiw réalisé avec le Chef du secteur Nettoyage. Avril 1999

189.

Interview réalisé avec la Directrice de la Direction d’Hygiène Ambiante. Avril 1999

190.

Idem.

191.

Idem.

192.

Idem.

193.

Idem.

194.

Idem.

195.

Infusion très consommée en Uruguay.

196.

Idem.

197.

Idem.

198.

Voir pgs. 46-47

199.

Interview réalisé avec la Directrice de la Direction d’Hygiène Ambiante. Avril 1999

200.

Interview collectif réalisé avec les travailleurs du secteur nettoyage. Avril 1999

201.

Idem.

202.

ANSIDEI, M. pg. 40

203.

Interview collectif réalisé avec les travailleurs du secteur nettoyage. Avril 1999

204.

Idem

205.

Idem.

206.

Idem.

207.

Idem.

208.

GIRAUD, C. Voir pgs. 58-62

209.

Interview collectif réalisé avec les travailleurs du secteur nettoyage. Avril 1999

210.

Idem.

211.

GIRAUD, C. Voir pgs. 58-62

212.

Interview collectif réalisé avec les travailleurs du secteur nettoyage. Avril 1999

213.

Idem.

214.

Idem.

215.

Voir pgs. 23-26

216.

Interview collectif réalisé avec les travailleurs du secteur nettoyage. Avril 1999