2) Du cadre pénitentiaire au cadre psychique

Très souvent, lors des entretiens, les patients viennent aborder leur statut juridique et institutionnel : remise potentielle de la peine, liberté conditionnelle, appartenance aux activités et/ou travaux proposés, distribution des repas... S’ils se montrent très enthousiastes dans un premier temps à l’idée d’une « prise en charge », très vite la magie de la rencontre tombe dans les oubliettes de la pensée opératoire qui vient colmater, tel un enduit, l’impensable de la relation. Le cadre pénitentiaire, avec ses aléas mais aussi ses repères immuables, fait alors retour dans le cadre clinique, de l’externe vers l’interne, comme pour supporter l’espace et le lieu de la rencontre. Dans ces moments précis, je juge bon de rappeler que les entretiens ne donnent pas lieu à quelconque rapport auprès des instances juridiques, pénitentiaires ou hiérarchiques. Loin d’être retenue comme une formule magique, mon intervention peut susciter de l’étonnement ou faire germer d’innombrables questions quant aux rapports qu’entretiennent les soignants et les surveillants.

C’est à partir du constat des limites du cadre clinique qu’il nous semble indispensable d’analyser la forme quasi irruptive du judiciaire et du pénitentiaire. Notre interrogation est donc double, voire triple, si l’on considère la position spéculaire du chercheur dans une dimension interrogatrice :

Notre choix est de considérer la question du regard dans ce qu’il sous-tend la relation première entre l’observateur et l’observé, mais aussi dans sa prégnance induite par le méta-cadre pénitentiaire. Nous pensons là dénouer, en partie, et non rompre, le noeud gordien du regard prenant des formes variées et entremêlées, dans un tissu fantasmatique foisonnant. Notre démarche suppose un effacement partiel et momentané de la situation d’ensemble dont la finalité pose le problème des limites de l’exploration du monde physique et psychique. A cette occasion nous rappelons que notre parcours dans la pensée et l’abstraction a pour but de faire coïncider et de maintenir ensemble représentations et perceptions. Ce que nous pourrions définir comme une condition scientifique reste sans cesse menacée, de l’extérieur, puisque les modalités de la rencontre avec l’objet addictif (et sous un autre angle, la relation thérapeutique) révèlent l’enjeu d’une recherche acharnée de perceptions au détriment des représentations. Une remise à distance est le principe même de la compréhension scientifique, comme en témoigne J. Guillaumin (1979) : ‘« La toute-puissance n’est pas le lot de l’intelligence humaine, et la myopie est notre condition même scientifique. La myopie a d’ailleurs elle aussi ses avantages : le peintre qui cligne des yeux et désaccommode pour ‘ mieux ’ voir, sort ainsi de l’évidence perceptive naïve pour se laisser atteindre par les rapports de profondeur et les correspondances des lignes et des couleurs’  » (p. 226).