- Les tests projectifs : un premier regard

Pénétrer l’inconscient du patient par l’utilisation de tests répétés et repérés peut certes métaphoriser la relation à l’objet addictif où le chercheur, face aux incertitudes et aux doutes qui l’envahissent adopte une position de maîtrise eu égard à l’objet de recherche qui lui échappe. Maîtrise qui cependant reste relative puisque la pertinence du matériel projectif n’est pas pensée dans le but d’épingler le sujet dans une « vitrine » structurelle (bien que ce matériel permette d’appréhender les modalités de la représentation objectale, soubassement des identifications). Leur application et leur interprétation offrent un indice mesurable et mesuré, les entretiens individuels formant, dans ce diptyque, un premier volet épistémique.

Comme support de la relation, le moment du testing peut s’inscrire dans un espace intermédiaire : les tests sont présentés d’emblée aux sujets qui en acceptant la consigne accèdent à une position active. Le matériel concret du test peut ainsi constituer un objet intermédiaire (trouvé-crée) non sans quelques analogies avec l’objet transitionnel winnicottien. Un tel objet appartient au sujet sans vraiment lui appartenir, présentant là une zone d’indécidabilité Moi/non-Moi. Cette référence conceptuelle suppose une équivalence imaginaire des rôles et des statuts des partenaires comme le souligne J. Guillaumin (1965) «  ‘(...) la connivence et l’égalisation apparente des statuts se réalisent donc par le renoncement de l’examinateur à son pouvoir exclusif de ‘vider de son contenu’ ou de ‘châtrer’ autrui puisque, désormais, il tourne son intérêt, et simultanément invite le sujet à tourner le sien, vers quelque chose qu’il tire ‘de son propre fond’ ’ » (p. 121).

Cependant si la place du test dans ce moment de la rencontre peut être envisagée dans une perspective ludique, sans pour autant ramener les tests à cette seule composante, nous ne pouvons exclure une autre valeur (diagnostique) du test qui répond aux conditions de l’expertise psychologique. Nous ne tenons pas à analyser la distinction entre ces deux pratiques du test, mais nous voulons considérer en quoi le dispositif de recherche est « infiltré » par le cadre juridique et pénitentiaire.

Certains patients m’ont donné l’impression d’être soumis, sans échappatoire, à un pouvoir recherché, se glissant dès lors dans la peau de « victimes » passives et dépossédées. Je devenais dans le décours de l’examen un agresseur potentiellement sadique. « En prison on est mal traité » m’incitait à entendre à l’unisson l’importance des exigences narcissiques impliquées dans un processus de transfert du cadre pénitentiaire sur le cadre de recherche, où la représentation anxiogène est ainsi déplacée12 puis connectée. Alors que dire de la confusion qui peut s’appliquer entre situation d’expertise et démarche de recherche ? L’expert, et je serai tentée de dire tout comme le chercheur, attend de la part du sujet une réponse interprétable, conforme aux classifications implicites et explicites dont il dispose. Ces deux espaces sont, à un niveau, conjoints en ce qu’ils objectivent d’emblée le sujet comme élément d’un spectacle, et le possèdent fantasmatiquement, prenant part au vécu de persécution. Nous pouvons accentuer cette dernière proposition en considérant la teneur effractive de tout élément externe qui vient perturber l’homéostasie interne et du sujet et du système carcéral13. De l’extérieur, la prison est envisagée comme un gigantesque réservoir pulsionnel. Mais de l’intérieur, le système pare-excitations paraît s’incurver le Ça venant se projeter sur l’extérieur. Le chercheur, satellite de l’institution universitaire provoque une situation excitante. L’expert, protagoniste mandaté par le juge extirpe fantasmatiquement l’intimité du sujet pour la livrer sur la scène publique. « Ici, nous ne sommes que des numéros d’écrou » ou encore « vous travaillez pour la justice ? » autant de formulations paranoïdes qui sont issues du glissement opéré entre cadres pénitentiaire et juridique et cadre de recherche dans une teneur angoissante et confuse.

Dans la prévalence des processus archaïques, j’en viens à souligner l’apparition, non exhaustive cependant, du thème de l’oeil aux planches du Rorschach, et ce dans un mouvement de retournement perceptif : le sujet perçoit la planche (ici objet strictement du psychologue) qui le regarde. Cet exemple est non sans rappeler les analyses de J.-P. Sartre (1943) où le regard regardant est lui-même regardé.

Notes
12.

Laplanche J. et Pontalis J.-B. rappellent qu’à l’origine le transfert n’est pour Freud, sur le plan théorique, qu’un cas particulier de déplacement de l’affect d’une représentation à une autre, 1967, p. 494.

13.

Equilibre du système pénitentiaire en son ensemble puisque la présence d’intervenants extérieurs (avocats, éducateurs, experts,...) renforce la vigilance des surveillants - agents du système - envers l’ensemble du personnel et des détenus.