- Le T.A.T.18

Cette épreuve figurative est proposée lors de la troisième rencontre (après l’entretien préliminaire et la passation du Rorschach). Le T.A.T. offre un second support projectif lié à des situations relationnelles, en référence à des conflits universels dont le complexe d’OEdipe est le prototype19. Le déroulement de l’épreuve et la consigne (« Imaginez une histoire à partir de la planche ») invite à une structuration du contenu manifeste, en résonance à des sollicitations latentes, ce qui implique une réactivation «  ‘des traces mnésiques individuelles en rapport avec les fantasmes originaires’  » 20. Les mouvements qui soutiennent la narration obéissent à un compromis entre la poussée fantasmatique et les procédés de fonctionnement du Moi. L’expression de l’histoire - et dans l’histoire - entraîne une régression formelle de la pensée, le sujet étant invité à dessiner l’organisation de son monde interne. Ce jeu, interrogeant l’oscillation principe de plaisir/principe de réalité, est lié à la perception du contenu manifeste, dans un mouvement actif, répondant à l’exigence de la fidélité soit selon l’identité de perception (processus primaires), soit selon l’identité de pensée (processus secondaires).

Ce champ d’investigation suppose des implications singulières des processus psychiques selon les fluctuations de l’investissement de la représentation et des représentations entre elles. La pertinence du T.A.T. est donc de nous renseigner sur la qualité des opérations de liaison psychique. Liaison entre représentations et affects, mais aussi maniement de la libido et de l’agressivité spécifiant les modulations de l’intrication pulsionnelle. Il est entendu que le passage par le langage (passage implicite de la représentation de choses en représentation de mots) suggère une mise en forme partageable inhérente à la communication. L’expression directe de la satisfaction postulée par le processus primaire est pour ainsi dire retenue. Le processus secondaire est mobilisé et mis à l’épreuve dans ses capacités à supporter la tension et le déplaisir encouru. F. Brelet (1986) décrit parfaitement la superposition des réalisations primaires et secondaires se convoquant réciproquement : ‘« La recherche de cette identité de pensée est rendue possible grâce à l’investissement, dans le même moment de représentations de choses (le vu, l’image, etc.) liées au processus primaire et d’autres traces mnésiques, les traces acoustiques (l’entendu, les restes verbaux) que sont primitivement les représentations de mots’  » (p. 27).

Les T.A.T. dont nous disposons témoignent d’un surinvestissement du sensoriel (l’entendu, le vu, le touché) qui colore la texture de l’histoire comme pour en donner ses limites. Les vacillements identificatoires sont émouvants dans la mesure où la question sous-jacente reste celle de la nécessité à faire partager l’éprouvé subjectif. Les demandes adressées au cliniciens en sont la conséquence. L’a-conflictualisation et la mise en tableau cautionnent avant tout la nécessité de figer en l’état (parfois jusqu’au létal) le risque de la vie pulsionnelle. Cette fragilité se dessine, en négatif, à travers le blanc (Planche 16 - mais voir aussi l’épaisseur sensible de l’investissement du blanc dans les Rorschach).

Notons la place importante du regard qui est envisagé dans les protocoles soit comme un miroir dans lequel on se repère mais on ne se rencontre pas, soit comme une zone érogène réveillant la fantasmatique narcissique du donné à voir.

La richesse des mouvements perceptifs21 - projectifs qui recouvrent la situation-test (aussi bien Rorschach que T.A.T.) a pour trait la prise en compte de la figurabilité, figure ou image visible de l’invisible, marques des impressions originaires ayant subies des remaniements. J.-B. Pontalis (1987, p. 243) met en rapport les régimes de mutations internes où la forme plastique et visuelle n’est que la traduction épurée de l’empreinte de la trace mnésique et de ce que la trace mnésique a laissé perdre. La liaison entre le perçu et le représenté nous convie dans une perspective frontale à voir et à penser la multiplicité des échanges entre l’intérieur et l’extérieur. S. Freud (1925a) cerne l’intimité de la nature représentative ouverte sur l’étendue de l’horizon perceptif : ‘« Maintenant il ne s’agit plus de savoir si quelque chose de perçu (une chose) doit être admis ou non dans le moi, mais si quelque chose de présent dans le moi comme représentation peut aussi être retrouvé dans la perception (réalité). C’est comme on le voit, de nouveau une question de dehors et dedans’  » (p. 137). C’est aussi à cela que nous confronte notre clinique, bien que nous ne puissions réduire le transfert à la seule répétition des relations infantiles.

Notes
18.

Pour les modalités de la passation et le dépouillement du matériel, je me réfère au travail de Shentoub V., 1990.

19.

Shentoub V. engage la problématique oedipienne en tant que modèle structural permettant d’apprécier les positions “ d’écarts ” témoignant des aléas de la structuration psychique.

20.

Shentoub V., 1990, p. 27.

21.

S. Freud (1925a) considère la perception comme un processus actif : “ La perception n’est pas un processus purement passif, mais le Moi envoie périodiquement dans le système de perception des petites quantités d’investissement grâce auxquelles il déguste les stimulus extérieurs pour, après chacune de ces incursions tâtonnantes, se retirer à nouveau ”, p. 138.