- L’impasse relationnelle et affective

Henry se marie à vingt ans. Au début de son mariage, sa femme représentait « tout » pour lui. Au cours de ces vingt-huit années de mariage, elle deviendra un repère fixe et infaillible auquel Henry s’accroche et se raccroche.

Ne vivant plus cet état passionnel, seule façon pour lui de concevoir le lien amoureux, Henry ne cesse de chercher ailleurs « l’âme soeur », l’être qui le met en extase. Très honnêtement il me confie que ce nuage de femmes dont il s’entoure lui permet de se lover dans le corps et le coeur de l’autre : « Ce n’est pas d’une femme dont je suis amoureux mais bien du sentiment amoureux qui me brûle et me transporte ». La place de ces rencontres, de ces femmes interchangeables qui l’entourent ne semble qu’un prétexte aux retrouvailles d’un climat affectif nourricier. Cette sphère enveloppante serait une sorte de figure circulaire (le bon sein) basée sur la recherche d’une sensualité qu’il souhaite ininterrompue. Ce qui en résulte est une profonde déception où s’intercale le principe de réalité. Ce goût amer qui annonce la discorde entre ses attentes et ce que peut lui apporter le monde réel, Henry le ressent comme une mutilation. Il décrit admirablement bien ce mouvement de siphon qui l’aspire : «Je crois que j’ai suivi le courant qui tourbillonne et me brinquebale. Les branches sur lesquelles je m’accrochais étaient ces femmes, mais ça cassait tout le temps ». Puis il ajoute : « ma mère m’a trop couvé mais je n’avais pas l’essentiel. J’ai manqué d’amour. Tout ça c’est de la faute de ma mère, elle aurait dû me pro-jeter dans la vie ».

Henry n’a jamais pu réellement quitter sa mère. A trente ans il décide de construire, avec sa femme, sa maison. Le couple attend leur second enfant. Le terrain que sa mère lui cède est situé à quelques kilomètres du domicile parental, ce qui permet à Henry de passer chaque jour un moment auprès de sa mère avant de rentrer chez lui. Il parle très peu avec elle. Mais le besoin maladif de s’abreuver à la source maternelle est un détour qui lui paraît impossible de combattre.

Quant à son père, il en parle peu. Les quelques souvenirs qu’il en conserve sont des images fugaces de relations de copinage : il se revoit partir à la chasse avec lui, jouer à la « pétanque » ou boire le verre de l’amitié dans un bar. Cet homme est beaucoup plus âgé que sa mère. Il a déjà un fils d’un premier mariage, quand, veuf, il rencontre la mère d’Henry. Henry a assisté à de violentes scènes entre ses parents, ce qui lui fait dire que leur union était plus raisonnable qu’amoureuse. L’espace des relations qu’il entretient avec ce père s’accompagne d’une coloration affective plus excessive que nuancée. Henry pense que le sentiment de solitude qui a baigné son enfance et continue de l’envahir est directement induit par la conjoncture du couple parental : « J’étais le petit dernier, un enfant de vieux, je ne voyais que des adultes et pas d’enfants de mon âge ». D’autre part, il semble impossible pour Henry de s’identifier à un père « dur et costaud comme un vieux chêne ». A la mort de celui-ci, qui coïncide à la naissance du fils aîné d’Henry, il vit un véritable déracinement qui se manifeste par des états pénibles d’angoisses intenses.