Métaphore du montage moléculaire : un pare-excitation extra-territorial ?

Je pense utile de revenir maintenant aux modalités de l’action physiologique des drogues, et en particulier des opiacés. Ces substances sont dites « analgésiques ». Elles atténuent la sensibilité à la douleur. Le corps humain sécrète quotidiennement des endomorphines (ou endorphines) qui freinent toute douleur survenue. Le groupe des opiacés (héroïne, morphine, codéine, dérivés synthétiques) se substitue aux endorphines lors de la transmission synaptique. L’organisme face aux grandes quantités absorbées stoppe la sécrétion des endorphines. La douleur, quelle qu’elle soit, est arrêtée de manière artificielle et permanente. Un sujet qui consomme quotidiennement des opiacés ne ressent ni froid ni faim ni soif... Durant les périodes d’arrêt de la prise de toxique, le cerveau ne produisant pas immédiatement des endorphines, le toxicomane éprouve de terribles souffrances. Les molécules analgésiques naturelles sont donc remplacées par des ersatz de synthèse extra-corporelles choisies dans le « corps médical » (Henry parle du « vital »). Leur assimilation réalise une pseudo-barrière protectrice ramenée dans l’omnipotence du sujet qui pense pouvoir en gérer les quantités et le rythme. La métaphore du parcours biologique nous invite à penser que la drogue devient une autogreffe de la partie mutilée du pare-excitations primitif et naturel défaillant.

Or, nous avons vu que le « flash » dans les protocoles projectifs a valeur d’implosion interne et donc rupture du pare-excitations. Ce que nous observons est donc un double retournement de chacun des pôles antagonistes : manque/came-pare-excitations/excitations. L’objet addictif comme antidote de la mort psychique n’est pas sans rappeler le mythe de Déjanire correspondant à la douleur comme moyen de panser la douleur46, ce que D. Anzieu (1985) met au bénéfice d’une fonction toxique du Moi-peau.

Notes
46.

Le mythe raconte que Nessos au passage d’une rivière essaya de violer Déjanire. Il fut tué par Héraclès son mari. Mais avant, il offrit une drogue à la jeune femme qu’il présenta comme un filtre d’amour. Lorsque Héraclès tomba amoureux d’Iole, Déjanire teignit la tunique de son mari de la drogue donné par Nessos. Quand Héraclès passa la tunique sa peau le brûla tant qu’il mit fin à ses jours en s’immolant sur un bûcher au Mont Oeta. Cf. Grimal P., 1996, p. 119.