- La symptomatologie de l’excès

Si, à l’origine, il est question de la qualité dans la relation à l’objet (les expériences du « holding », du « handling », de l’»object presenting » qui mèneront à l’expérience d’omnipotence légitime que Winnicott rassemble sous le terme « d’objet subjectif »), l’acte addictif reformule une expérience vouée à la quantité : trop présent (flash) ou trop absent (manque), l’option du trop demeurant la voie de l’investissement douloureux et passionnel signant l’incapacité à se soustraire de l’excitation. En outre, c’est l’excès de quantité qui doit être répété pour ces « esclaves de la quantité » comme l’entend M. de M’Uzan (1994). Il considère le facteur déterminant du passage à l’acte, à partir d’affections psychosomatiques ou de modalités perverses, maintenant l’indiscrimination Moi/non-Moi avec oblitération de la fonction signifiante qui passe par une réaction quantitative. Face au retour du répétitif « en vue d’une reproduction active et atténuée d’un trauma initial »50, l’auteur retravaille la distorsion dedans/dehors : «  ‘La moindre modification affectant l’objet, ou ce qui en tient lieu, est ressentie par le sujet qui peut toutefois ne pas l’identifier, comme s’étant produite à l’intérieur même de sa personne, où elle déclenche une symptomatologie somatique non hystérique (...) le sujet passe à l’acte, exactement comme s’il était un autre agissant à sa place et dont il attendrait l’apaisement’  » (p. 161-163).

Ainsi l’objet addictif brouillant la distinction dedans/dehors n’offre-t-il pas une variabilité indéfiniment répétée de la situation de séparation, avec le témoignage de l’objet remplissant les circonstances de la séparation et de l’union ? Il nous faut ainsi envisager l’expérience de l’utilisation de l’objet dans les conditions d’articulation de son lien.

Pour ce, il nous faut revenir à « la localisation de l’expérience culturelle » (D.-W. Winnicott, 1971) avec l’usage et l’apparition de l’objet transitionnel : ‘« L’objet est un symbole d’union du bébé et de la mère (ou d’une partie de la mère). Ce symbole peut être localisé. Il occupe une place dans l’espace et dans le temps, là et où la mère se trouve elle-même en transition entre deux états : être confondu avec l’enfant (dans l’esprit du bébé) et être éprouvé comme un objet perçu plutôt que conçu. L’utilisation d’un objet symbolise l’union de deux choses désormais séparées, le bébé et la mère, en ce point, dans le temps et dans l’espace, où s’inaugure leur état de séparation’  » (p. 134).

Autrement dit l’amorce et l’utilisation de l’objet trait d’union dehors/dedans naît de la résolution d’un paradoxe qui s’inscrit au bénéfice de la séparation. Plus globalement le « modèle addictif » qui bat le rythme entre l’absence et la présence ressenties de l’objet, à partir du fonctionnement du corps51, laisse sans cesse la place vacante du sujet avec un retournement spectaculaire sujet/objet. M. de M’Uzan (1969) confère à chaque tendance à la décharge une attraction particulière de « la compulsion de symbolisation » (terme proposé par G. Groddeck). Il distingue deux principales orientations formelles de répétition : la reproduction du même où la redistribution économique et dynamique est sensiblement modifiée, et la reproduction de l’identique dans laquelle la valeur remémorative est nulle : ‘« la répétition en cause est pour ainsi dire celle d’une expérience de décharge où l’économie domine absolument ; c’est une sorte de remise à zéro souvent traduite par un épuisement. (...) Ici on a bien affaire avec une exigence impérieuse du type du besoin ; un besoin toujours identique dans son indifférenciation au besoin antérieur et court-circuitant la mémoire’  » (p. 92-93). L’auteur fait allusion à une mutation de la valeur qualitative de l’énergie. Mais on ne peut s’empêcher d’admettre, en l’occurrence dans le passage à l’acte addictif, que le destin de la répétition n’est pas forcé de suivre un sens univoque. Il s’agirait d’un alliage en proportion variable permettant de trouver le meilleur dénouement possible.

Notes
50.

M’Uzan M. (de), 1994, p. 167.

51.

Il s’agit d’un fonctionnement corporel dans le sens où le corps est appelé, convoqué dans ses fonctions ce qui est bien différent d’une aire d’expérience supposant un positionnement psychique actif.