3) Groupe Photolangage© avec des patients addictés

- Particularité du groupe

Nous venons de montrer comment le « circuit » du produit d’addiction est indétachable de ce qui est vécu dans le manque ou la plénitude conduisant tous deux à un surplus d’excitations. Ceci met naturellement en cause de manière bouleversante l’homéostasie de l’appareil psychique due aux ratés de la qualification psychique du traumatisme.

En prenant appui sur ce que nous venons d’énoncer, il nous paraît intéressant de réfléchir à nouveau sur l’activité de liaison et d’élaboration de représentations en rapport à la construction « mythique » d’un travail de groupe. Le « mythe » dont nous parlons est une métaphore que je suggère pour rendre compte de la relation au passé, de ce qui s’est autrefois produit et n’a pas été métabolisé au sein de l’appareil psychique individuel. Nous allons voir que cet « en-soi » qui n’a pas été défini dans la réalité subjective est déposé dans le groupe comme un « mythe fondateur » sous forme de vécu « traumatique groupal ».

Je rappelle que D. Anzieu (1975) a fait l’hypothèse que le fonctionnement du groupe peut être conçu comme celui d’un Moi-peau c’est-à-dire une enveloppe qui rassemble l’activité psychique de plusieurs sujets contenant leurs projections fantasmatiques. R. Kaës (1985) approfondit cette perspective en montrant que « ‘Le groupe intersubjectif est un des lieux de formation de l’inconscient ’ » (p. 12). Son hypothèse centrale suppose que la matière psychique est de nature groupale par sa fonction essentielle de groupement/dégroupement. La notion de groupalité psychique (R. Kaës, 1994) permet de considérer le sujet de l’inconscient et le sujet du groupe soumis aux mêmes effets de liaison et de déliaison. La formation de l’inconscient peut alors être considérée sous son double ancrage individuel et intersubjectif. Mais si, comme le précise l’auteur, l’inconscient de l’espace intersubjectif ne coïncide pas strictement à la logique interne de l’appareil psychique du sujet, il n’en demeure pas moins que ces deux espaces hétérogènes entretiennent des rapports de fondation réciproque permettant de rendre pensable leur articulation. C’est dans ce sens que R. Kaës a construit le concept d’appareil psychique groupal : « ‘Il est la construction psychique commune des membres d’un groupe pour constituer un groupe. Ce concept théorique a pour fonction de rendre compte des transformations psychiques dont les groupes sont les instruments, les supports et les résultats (...). Les groupes internes sont toujours mobilisés dans les organisations psychiques groupales. Les fantasmes originaires, les imagos, les complexes ou les systèmes de relations d’objet assurent la structure de la base de l’appareillage par projection, par identification projective et introjective, par identification adhésive ou incorporation, par déplacement, condensation et diffraction’  » (Kaës R., 1993, p. 173-174).

En soutenant l’homologie d’une groupalité inconsciente intrapsychique et intersubjective, je souhaiterais m’appuyer sur la spécificité des relations de groupe pour réexaminer comment s’exprime la quête objectale féroce du produit de dépendance, sa force d’orientation prenant naissance sur des éprouvés à caractère traumatique.

Avant d’explorer cette clinique, nous présentons brièvement notre outil de médiation : la méthode Photolangage©. De par la difficulté de communication dont témoigne notre public, il m’est très vite apparu nécessaire d’introduire un objet médiateur : la photo. Celle-ci remet en perspective ce qui dans l’expérience primitive (de corrélation entre les représentations du soma et les représentations de la psyché) a pris le sens d’un cri ou d’un gémissement. La méthode me semble tenir cette position centrale permettant le passage du ressenti corporel sur un mode pré-figuratif. C. Vacheret (1984, 1991 et 2000) met en évidence le jeu et le rôle de l’objet médiateur, dans les groupes Photolangage©, facilitant le travail de délégation psychique. Le Photolangage© opère dans les premiers niveaux de mentalisation. Il met en scène la représentation du lien (union/désunion) et les divers états affectifs et émotionnels rendus alors possibles par le jeu.

La question posée en début de chaque séance permet aux participants du groupe de choisir personnellement et individuellement une ou plusieurs photos (selon la question) qu’ils présentent ensuite au reste du groupe. Le patient est amené à commenter la photo des autres membres du groupe. Dans ce dispositif, nous69 choisissons et exposons aussi notre photo. Le groupe reste fermé. Il accueille les mêmes participants (cinq ou six) durant une session de six séances étalées sur six semaines. Chaque participant peut décider de renouveler son inscription au groupe. Les règles de ce dispositif permettent d’exprimer l’engagement personnel envers le soin. Le renouvellement du groupe s’inscrit dès lors dans les dimensions du temps et de l’espace d’un travail limité par un début et une fin. Il constitue donc une ouverture potentielle, selon un rythme proposé et non imposé.

Je choisis de présenter une séance sous-tendue par la question : « Choisissez une photo qui évoque pour vous un bon souvenir ». L’intérêt de cette séquence est qu’elle va mobiliser dans le groupe un vécu de catastrophe, le manque et le « shoot » étant alternativement convoqués. L’analyse de nos observations, je tiens à le souligner, n’est pas séparable de la construction de la préhistoire groupale : il s’agit du démarrage d’un groupe, de sa seconde séance. Les origines groupales vont chevaucher la sphère de l’originaire individuel.

Notes
69.

J’anime le groupe avec ma collègue, psychologue clinicienne.