1) Préliminaire à la définition du concept

Le terme « d’identification projective » est introduit par M. Klein (1946,1955). Une large part de son travail repose sur les mécanismes schizoïdes. Mais, l’exploitation de ses idées a été en grande partie accomplie par le groupe de ses successeurs. Par H. Rosenfeld qui dès 1947 explora les états confusionnels dans la schizophrénie. Descriptions qui furent plus tard reprises et élaborées par W.-R. Bion à partir de 1959 qui décrivit la différence essentielle entre la forme normale et la forme pathologique de l’identification projective. Betty Joseph (1987) adopta ce concept pour décrire un matériel clinique dans lequel elle s’est sentie prise au dépourvu et poussée à l’agir ce qui la conduisait à entrer sous le contrôle des fantasmes de son patient : «  ‘l’identification projective est par sa nature même une sorte de communication, même dans le cas où tel n’est pas son but. Par définition, l’identification projective signifie mettre des parties du soi dans un objet. Si l’analyste à l’extrémité réceptrice est vraiment ouvert à ce qui se passe et est capable de prendre conscience de ce qu’il éprouve, ceci peut être une méthode puissante pour avancer dans la compréhension. Une grande part de notre reconnaissance de la richesse de la notion de contre-transfert en découle’  » (p. 102). Sa démarche me semble d’un grand intérêt puisqu’au-delà du classement complexe entre identification projective normale et pathologique, elle considère, dans le cadre de l’analyse, un mélange en proportion variable des processus qui tendent vers l’évacuation et/ou vers la communication. Cependant, l’utilisation du concept semble affectée par plusieurs handicaps :

  1. Véhiculant des idées nouvelles, il est évident que le concept est devenu quelque peu « élastique » dans son évolution progressive. W.-W. Meissner (1987) ne manque pas de le rappeler : «  ‘L’identification projective devient une métaphore, traduite vaguement dans les termes de contenant et de contenu, et qui s’applique à presque toutes les formes de phénomènes relationnels ou cognitifs pour lesquelles on peut faire appel aux notions habituelles de relation, de contenance ou d’implication’  » (p. 63). Preuve donc, de sa valeur effective et des développements affectifs que le concept suscite. Mais il doit être tout aussi évident que l’extension du terme ayant pris des orientations différentes est en partie due au fait que ‘« ceux qui utilisent ce concept tendent à le considérer comme un mécanisme unique, alors qu’en fait son sens varie selon le contexte, comme tant d’autres concepts en psychanalyse’  » (J. Sandler, 1987, p. 28).

  2. Malgré tout, il s’agit d’une notion qui est difficile à discuter d’un point de vue non kleinien. Ceci contribue à un certain nombre d’opérations défensives, voire de dégoût par ceux qui rejettent cette approche. En contrepartie, sa ligne récente de développement peut être vivement attaquée par ceux qui considèrent comme un abus toute modification du concept. Comme on le voit, les connotations idéologiques dominent nettement.

  3. Une troisième difficulté tient à ses répercussions dans le contre-transfert entre ce qui appartient au patient et ce qui appartient au clinicien. Si c’est le travail du clinicien que d’accueillir et de considérer l’expérience de confusion primaire, son interprétation n’en demeure pas moins délicate.

  4. Enfin, un dernier aspect, non le moindre, concerne toute une série de questions soulevées à l’encontre du concept d’identification projective réduit à une extension du concept de projection chez Freud : «  ‘Je ne pense pas utile de distinguer la projection de l’identification projective. Ce que Mélanie Klein a fait, selon moi, fut d’approfondir le concept de projection de Freud et d’étoffer sa signification, en mettant l’accent sur le fait qu’on ne peut projeter des motions sans projeter une partie du Moi ’ » 75. Je m’en référerais à O. Kernberg (1987) qui différencie très nettement la projection de l’identification projective en proposant une continuité de l’expérience émotionnelle passant par l’étape la plus précoce - dans laquelle ou peut supposer que le processus d’identification projective caractérise l’expulsion d’une partie du monde subjectif - à une étape plus évoluée impliquant la projection dans la mesure où l’organisation des frontières du Moi sont différenciées mais non encore intégrées.

Notes
75.

Spillius E., 1983 cité par Hinshelwood R.-D. (1989), p. 198.