3) Les développements post-kleiniens

De nombreuses situations cliniques ont fait intervenir le concept d’identification projective pour apprécier l’étendue des réactions émotionnelles et fantasmatiques impliquant des processus fondamentaux par lesquels l’intériorité et l’extériorité se constituent. L’identification projective comprise de cette manière reflète une tendance générale centrée sur les phénomènes de transfert et de contre-transfert (H. Racker, 1953 ; R. Money-Kyrle, 1965 ; J. Sandler, 1987).

H. Segal (1979) a décrit explicitement l’identification projective en tant que mécanisme de défense, mais aussi comme la première forme de l’empathie.

Dans une longue argumentation, J. Sandler (1987) spécifie trois domaines d’application conceptuels : «  ‘l’identification projective de la première étape’  » opérant en tant que processus et survenant en fantasme ; «  ‘l’identification projective de la deuxième étape’  » qui représente une extension des propositions de M. Klein dans la relation transféro/contre-transférentielle ; ‘« l’identification projective de la troisième étape’  » se rapportant à ‘« l’extériorisation’  » de parties clivées ayant lieu dans l’objet externe.

Ce troisième champ d’application du concept est introduit par W.-R. Bion (1959, 1962) qui utilise la notion d’identification projective comme une composante fondamentale permettant de créer des pensées à partir de vécus et de perceptions. Sous le terme d’identification projective « réaliste », W.-R. Bion interprète une tentative omnipotente d’ajuster la réalité et de manipuler l’environnement comme ‘« une manière de donner corps dans la réalité au fantasme d’identification projective’  » (1962a, p. 48). Dans la relation mère/enfant elle se rapporte à la « capacité de rêverie » de la mère, c’est-à-dire à un état d’esprit de la mère qui doit se trouver dans un état de calme réceptivité pour prendre en elle le sentiment du nourrisson. La mère contient la destructivité, de telle sorte qu’elle est neutralisée permettant sa réintrojection (Identification introjective, H. Rosenfeld, 1952 ; W.-R. Bion, 1962a) dans le nourrisson. Le contenu de ce qui a été réintrojecté par le bébé est rendu plus tolérable et plus facilement intégrable dans la mesure où il a été métabolisé par les bonnes qualités maternantes de l’objet maternel.

Dans cet usage de l’identification projective, W.-R. Bion parvient à une formulation plus précise au moyen de « la fonction α ». Mais il introduit aussi une distinction entre la forme originelle et normale du processus, et son utilisation pathologique qui s’accomplit avec un maximum de sadisme et de violence77 de telle sorte que les fragments expulsés envahissent en retour l’objet interne pour y mener une existence indépendante et incontrôlable sous la forme d’un « objet bizarre » (1956, tr. fr., p. 47).

Outre les degrés d’exécution du processus, W.-R. Bion indique deux autres finalités de l’identification projective en marquant la différence entre évacuation et communication, même si cliniquement il peut y avoir un mélange des deux. Cette distinction résulte de traits cliniques pour délimiter une utilisation de processus psychotiques dans le développement normal et de leur utilisation sur un mode psychotique78.

L’application de la notion d’identification projective a été élargie à des situations faisant intervenir l’objet réel dans une dimension groupale : J. Zinner et R. Shapiro (1972) ont considéré l’identification projective comme un pont entre la dynamique individuelle et l’interaction dans le cadre du système familial ; T.-H. Ogden (1979) a insisté sur le rôle de l’identification projective en tant que passage conduisant de l’intrapsychique à l’interpersonnel ; plus récemment A. Ciccone (1995) a utilisé le concept d’identification projective pour rendre compte des modalités de la transmission psychique dans le système familial. Il en précise le statut pathologique et normal à partir des aspects intrapsychiques et/ou externes de l’objet :

Nous avons dans une première partie abordé le statut économique de la réorganisation traumatique dans laquelle l’objet (externe) addictif implique une gestion circulaire des excès. A partir du modèle théorique élaboré par M. Klein et des développements ultérieurs, l’identification projective nous permet, a priori, de rendre compte de la manière dont l’objet réel externe est concerné dans une conformité fantasmatique. Nous devons donc interroger l’agencement de l’objet toxique sous-tendu par des fragments spécifiques de la réalité interne. Il convient donc de repréciser rapidement l’écart théorico-clinique des concepts de projection et d’identification projective.

Notes
77.

Bion W.-R. (1959), parle de l’identification projective comme le processus prototypique employé par la psyché pour se débarrasser des fragments du Moi qui sont le produit de la destructivité. Quant à son apparition excessive, il ajoute : “ quand Mélanie Klein parle d’identification projective ‘excessive’, je pense qu’il faut tenir compte que le terme excessif s’applique non seulement à la fréquence de son emploi, mais à l’excès de croyance en son omnipotence. En tant qu’activité réaliste, elle prend la forme d’un comportement raisonnablement calculé pour éveiller chez la mère des sentiments dont l’enfant désire se débarrasser (...). Une mère bien équilibrée peut accepter cette peur et y répondre de manière à donner au petit enfant le sentiment que sa personnalité effrayée lui revient, mais sous une forme désormais tolérable (...). Si la mère ne peut tolérer ces projections, le petit enfant en est réduit à continuer l’identification projective avec une force et une fréquence de plus en plus grandes. La force accrue semble dénuder la projection de sa pénombre de significations. La réintrojection s’effectue avec une force et une fréquence comparables ”. Cf. “ Attaques contre la liaison ”, Réflexion faite (1967), tr. fr., 1997, p. 130. Une traduction de Brigitte Bost est parue sous le titre : “ Attaques contre les liens ”, Nouvelle Revue de Psychanalyse, 1982, n°25.

78.

Bion W.-R., 1957, “ Différenciation des personnalités psychotique et non psychotique ”, Réflexion faite, 1967, tr. fr., 1997, p. 73.