Modélisation du clivage aux tests projectifs

C. Chabert (1987), C. de Tychey (1982), M. Timsit (1974-1975), N. Raush de Traubenberg (1976), F. Brelet (1986) ont considéré les caractéristiques principales du clivage dans les tests projectifs. Ils en explicitent les conditions d’apparition et en modélisent l’appréhension. D’autres travaux (Grala, 1980 ; Smith, 1980 ; P. & H. Lerner, 1980)83 ont proposé d’interpréter et d’évaluer certains types de production qui reflètent une défense par clivage.

C. Chabert (1987) note que si le clivage du Moi est difficilement interprétable d’emblée, il devient plus aisé d’en dégager une correspondance à partir du clivage des objets puisque « l’un est à la mesure de l’autre, l’un est le miroir de l’autre » (p. 112). Elle met ainsi l’accent sur l’apparition contradictoire et concomitante de productions à valeurs opposées :

  • Au niveau des modes d’appréhension : l’intégration et la synthèse sont arbitraires voire inarticulées. C. de Tychey (1982) souligne le manque d’organisation des réponses G (avec une prédominance des G primaires) en ajoutant une dissociation propre au clivage qui se répercute au niveau de la succession des modes d’appréhension : le sujet oscille entre des réponses globales, de détails ou de petits détails, ou peut produire une longue série de réponses G qui est ensuite suivie d’une préoccupation exclusive sur le D ou le Dd.

  • Au niveau des déterminants : l’affect accompagnant les réponses couleurs est soumis à des oscillations fortes entre un investissement positif et des sentiments négatifs. Il en est de même pour les kinesthésies renvoyant à des représentations très valorisées ou très dévalorisées, avec une impossibilité à réaliser une intégration équilibrée des états kinesthésiques qui restent alors extrêmement actifs ou exclusivement passifs. En même temps que le rapport au réel est maintenu, la qualité des déterminants formels est envahie subitement et sporadiquement par l’émergence du processus primaire.

  • Au niveau des thématiques : les auteurs s’accordent pour dégager trois caractéristiques spécifiques :
    1. l’existence de percepts oscillant dans des extrêmes positifs et négatifs se traduisant par des combinaisons d’images bonnes ou plaisantes et agressives ou terrifiantes,

    2. la superposition au niveau du même percept d’images contradictoires simultanément produites à partir du même fragment de la planche. M. Timsit ajoute une aspiration confuse aux phénomènes de fusion figure/arrière plan, ainsi que des renversements de planches ou ce qui était considéré « bon » dans un sens devient radicalement « mauvais » dans l’autre sens,

    3. la fragmentation des percepts qui habituellement appréhendés globalement, sont modulés par des connotations subjectives de valeurs émotionnelles incompatibles.

P. & H. Lerner (1980)84 évaluent l’apparition du clivage uniquement à partir des contenus humains selon quatre types de productions : dans le cas où un contenu humain est décrit très positivement, suivi immédiatement d’une coloration affective opposée ; selon qu’au sein de la même image humaine se distinguent deux parties contradictoires n’exprimant pas un conflit ambivalentiel ; la superposition, à partir du même contenu, de deux réponses humaines en opposition marquée ; l’idéalisation immédiate suivie par l’adjonction de traits négatifs concernant le même percept.

Au T.A.T., l’expression du clivage peut se lire « directement » à partir de la grille d’analyse élaborée par V. Shentoub qui porte une attention particulière aux processus primaires (procédés de la série E). Les propositions de F. Brelet (1986) enrichissent la clinique des modalités expressives du clivage. Elle y associe le gèle de l’expression pulsionnelle (qui sera portée par des procédés C/F : recours au factuel, à des normes extérieures, accrochage au contenu manifeste...), le « vacillement fugace de la secondarisation » (p. 140), une activité perceptive préférentiellement attentive à des catégories de la réalité externe habituellement peu utilisées : « mouvement de chute », « sensibilité aux contrastes », « perceptions sensorielles » (p. 141).

Plus récemment, P. Roman (2000) discute des modalités du clivage à partir de deux séries de protocoles projectifs d’adolescents de personnalité limite. Sa relecture des « effets de clivage » dans les épreuves projectives nous paraît particulièrement intéressante dans la mesure où il interroge ce qui est mis en jeu de l’expérience traumatique dans la problématique du traitement du lien à l’objet. Les signes où « effets de clivage » (confusions tout/partie, les superpositions inélaborables, les mouvements de destruction engageant la dimension de l’altérité...) préfigurent deux types d’aménagements possibles du clivage à titre de défense paradoxale contre les risques de désorganisation liés aux traumatismes primaires. Comme un processus de « coupure/suture » il organiserait une suture des différentes parties du Moi, soit en appui sur la part de violence constitutive de l’expérience traumatique (dans la lignée de la perversion), soit en appui sur le versant de la perte où le maintien du lien s’établit sur le mode de l’idéalisation (dans la lignée dépressive).

Pour notre part, à la suite des propositions énoncées, nous pensons que les manifestations du clivage marquent l’effort de neutralisation de la vie pulsionnelle quand celle-ci est infestée par de violentes charges.

Lorsque le fonctionnement « en clivage » ne peut s’opposer à de tels mouvements psychiques, ils se traduisent par des angoisses de mort ou d’annihilation. D’authentiques mouvements d’identification projective avec les objets internes, en lien avec les traumatismes primitifs85, vont alors traduire le manque de différenciation entre ce qui appartient au Moi et les parties retranchées, englobées, dans le Moi. A nouveau sera cherché à l’extérieur un objet externe « précoce », l’objet addictif, qui contre-inverstira les mouvements pulsionnels au lieu même du traumatisme. Par l’intermédiaire de ce nouveau lien les perceptions « étrangères » seront contre-investies. « L’effet-drogue » redéploiera les opérations de classement, de qualification des éprouvés qui n’ont pu être métabolisés, symbolisés et synthétisés, au sein de l’appareil psychique. Le lien à l’objet, remède et toxique, sera mis en jeu pour déconfusionner d’une part, le mauvais, le dehors, référé au sadisme de l’objet et d’autre par le bon, le dedans, référé à l’expérience hallucinatoire que procure l’objet. Dans chacun des pôles de l’expérience, des parties du sujet seraient concernées dans le collage avec l’objet. le sujet « s’identifiera » à chacune des deux facettes de l’objet dans une tentative d’introjection du mauvais (lié à l’intensité des pulsions agressives) et du bon (lié aux capacités de contenance). Ce type de prise en charge par l’extérieur de ce qui ne peut être synthétisé dans l’expérience interne est en partie dévolue au manque de tolérance à l’angoisse.

A partir de la lecture des épreuves projectives nous proposons de repérer dans un premier temps l’expression du clivage, ce qui nous conduira dans un second temps à discuter des mouvements d’identification projective (à partir des « réponses clivées ») qui surgissent sous-tendues par une agressivité orale très intense.

Notes
83.

Travaux cités par C. Chabert, 1987.

84.

Travaux cités par C. Chabert, 1987.

85.

Nous développerons ci-après les manifestations de l’identification projective avec l’objet interne Cf. Troisième partie, III, 2).