II - L’imago des parents-combinés et la scène du meurtre

On ne va pas réinventer l’origine mais lui accorder une place, là où justement elle n’a pu être conservée comme un texte original de l’ouvrage subjectif. La thèse du toxicomane est juste là, prise dans une falsification qui nous oblige à ajuster, à raconter, à reconstruire ce qui dans le contexte historique n’est pas qualifié sous forme de vécus psychiques internes. Nous nous heurtons là à la complexité de situations traumatiques très diverses que l’on ne peut exclusivement ramener à la métaphore de l’effraction du pare-excitations. Si l’expérience du trauma addictif, et je dirais toute l’expérience traumatique, prend la forme de ce que Cl. Janin appelle le « collapsus de la topique interne », il est indubitable et précieux pour nous de pouvoir séparer et rattacher autrement l’événement du fantasme ainsi collabé.

L’ossature des fantasmes originaires doit à ce titre être accueillie comme une portion qui n’est pas parvenue à atteindre son but dans les pathologies auxquelles nous avons affaire. Reconstruire une réalité perdue qui, selon la parabole addictive se meut en réalité perçue, nous paraît fort audacieux puisque significatif de l’écart théorico-clinique. Selon notre opinion et parvenu à ce point, il ne nous faut pas seulement rêver mais mettre des mots pour en contrepartie récupérer cette réalité désinvestie.

Ces brèves remarques ne sont pas étrangères à ce que G. Bayle nomme « clivage fonctionnel », pôle négatif du côté non pensable qui peut aiguiser temporairement une dilution du sentiment d’identité du clinicien. Noyau trouble qui atteint des représentations de mots désaffectées entraîné par l’intensité de l’identification projective.

Ce que globalement nous pouvons repérer est un vacillement de l’identité où le rôle et la place de l’objet d’addiction sont voués à une recherche de sécurité, de constance, de continuité au détriment du Self ramené au seul postulat de l’objet. Sous la houlette d’un lien plus indocile que pacifiste, leur théorie de leur dépendance conclut à une manoeuvre nécessaire de leur liberté, source de multiples résonances avec la conscience d’un sacrifice obligé. De manière plus ou moins nuancée, les horizons de notre clinique expriment cette mutilation contre laquelle la drogue devient un implacable réquisitoire. La mort s’expose et s’impose délibérément ce en quoi l’option toxique devient l’orfèvre de cette insubordination. La victoire ou la gloire ramènent à prouver que la totalité de l’être n’a pas été affectée dans ce meurtre primitif.

Nous allons dégager selon trois points le lien à l’objet addictif s’efforçant de maintenir séparé le bon du mauvais. Nous envisagerons d’abord comment la contamination du bon et du mauvais se présente dans la scène fantasmatique, à partir de ce que M. Klein a décrit dans le fantasme des parents-combinés. Nous verrons ensuite comment la scène des origines se commute en une scène meurtrière. Dans ce rapport de destruction, nous nous limiterons à penser le champ du masochisme qui paraît préserver d’une expérience de destruction plus drastique.