2) De l’effraction à la scène du meurtre

La violence de la destructivité apparaît dans notre clinique sous forme d’un couple d’opposition : pénétration-intrusion/exclusion. Dans ce domaine, on trouve la conduite d’addiction où la pénétration du toxique réduit le sujet à une exclusion de sa subjectivité et du tissu social. Doublon actualisé dans les actes criminels ou délictuels (vols, viols, homicide...), la pénétration directe (le corps) ou indirecte (l’habitat, les biens) de l’Autre conduisant à l’incarcération. C’est aussi sous cet auspice que nous avons observé comment dans le groupe Photolangage© il s’agit de s’approprier et de pénétrer les contenus du corps de l’autre, ce qui entre rapidement en corrélation avec l’exclusion, le rejet, d’un membre du groupe. Dynamique qui s’organise ensuite sur l’élection unanime du produit de dépendance. Nous avons déjà mentionné ce lien très significatif (destruction sadique/éclosion du vécu persécuteur) qui apparaît très largement dans les protocoles projectifs149. Nous en avions donné un exemple à partir du Rorschach d’Henry que nous reparcourons ici plus en lien avec ce qu’il revit du meurtre de Paule :

La Planche est choisie en tant que planche maternelle.

L’intrusion de la violence sadique, le besoin de contrôler l’objet de l’intérieur par identification projective excessive sont associés à des craintes d’être emprisonné et persécuté à l’intérieur du corps de la mère, ce qu’Henry met en scène dans une relation de similitude à son passage à l’acte criminel.

Notons que l’excitation suscitée (Planche II avec émergence de la couleur rouge) convoque aussitôt l’acte criminel dans une atmosphère de désespoir où trônent essentiellement : une dépendance à l’égard de l’objet bon qui est évincé, de par l’assujettissement qu’il suscite, et remplacé frauduleusement par une passivité envers les mauvaises parties du self dont les implications mènent à la destruction de l’autre comme équivalent du mauvais à détruire (confusion et permutation du jugement d’existence et du jugement d’attribution).

Notons aussi comment Sébastien opère dans ses cambriolages : il repère la maison (le plus souvent) et les horaires de ses habitants. Quand il entre dans les lieux, il épie - et se sent aussi épié - ce qui se passe au-dehors. Pour chaque objet de valeur qu’il dérobe, il en imagine l’histoire: le bijou que la femme porte à son cou, l’appareil de photos qui a dû capturer bon nombre de souvenirs, etc. Mais, après la recette du butin, ce qui le motive et l’excite au plus haut point, c’est d’imaginer la façon dont il entrera dans l’habitat, la peur et/ou la victoire de cette chasse-privée à laquelle il se livre, figurant tantôt l’animal traqué, tantôt le professionnel du vol. Dans cette même séance où Sébastien m’expliquant que finalement ses vols n’étaient pas moins que des cadeaux auxquels il avait droit150 d’autant plus qu’il dépossédait « les riches » et jamais « les pauvres », il ajouta : « ma mère m’a tout pris, c’est à cause d’elle si mon père est parti, elle est dure ma mère ».

Dans la première partie de notre travail, nous avons étudié la dynamique quantitative où l’objet d’addiction est pris dans une oscillation paradoxale où se chevauchent le besoin d’un épuisement pulsionnel en même temps que celui-ci est empêché. Nous voulons maintenant montrer comment cette complicité du quantitatif traverse la scène fantasmatique qui ne peut être que traumatique, irreprésentable et agit par répétition. Ainsi, nous pensons qu’à l’instar d’une fantasmatique reconnaissant l’espace-temps et la distinction sujet/objet, c’est sous le diapason d’un fantasme plus archaïque et destructeur, celui des parents-combinés, que l’organisation de l’originaire est convoquée et ne peut être qu’agit de part la sidération qu’elle produit. Mettre en scène cette « figure Une » omnipotente, a-sexuée, a-temporelle prend valeur d’un acte de meurtre. C’est, selon nous ce fantasme qui « colle à la peau » que traduit le magma de l’expression addictive.

Si Boris dit avoir reçu la vie comme « une claque dans la figure », voyons comment Rachid retrace les origines de son histoire.

Notes
149.

Cf. Notre troisième partie “ identification projective avec l’objet interne ”, p. 200-204.

150.

B. Duez (1990) lit la scène du vol-cadeau comme un dédommagement de la mère perdue.