- Eléments de compréhension

Une première scène s’ouvre donc sur une mort annoncée avec comme berceuse un requiem qui ne sonnera pas mais que l’enfant entendra comme un spectacle reçu dans le corps. La naissance de Rachid converse avec des manifestations corporelles inquiétantes et indicibles. Le corps de l’enfant en position de gisant, noyau du délit et lieu du crime, est l’une des facettes d’une « identification endocryptique » (N. Abraham et M. Torok) dans laquelle Rachid semble emprisonné. De l’inintrojection du trauma familial lié à la mort d’enfants en bas âge, l’intensité de la scène, où Rachid voit sa mère enceinte et déchirée par la douleur, renvoie à l’éclatement du pare-excitation extrapolable au ventre maternel avec une reprise du pouvoir explosif des bébés. On devine que le prononcé de la peine, de la détresse du Moi sera assignée dans le psychisme sous forme d’incorporât étranger. De cette disjonction psyché/soma à laquelle nous assistons, P. Aulagnier (1985) en restitue une première signification de la violence originaire. Elle rappelle que dans ces conditions, on trouvera une séparation entre le registre des besoins somatiques qui entrent dans un rapport de préservation de l’état de vie, disjoints des besoins psychiques dont la signification de l’état de plaisir ne peut être qu’éprouvé comme une action mutilante avec inversion du rôle d’allier de la psyché parentale: ‘« L’enfant percevra la scène comme la réalisation d’un meurtre s’accomplissant. On ne sait plus qui est le meurtrier et qui est la victime. La permutation est toujours possible (...). Une mère a tué quelque chose : ce quelque chose pouvant être aussi bien une partie du père qu’une partie de l’enfant où qu’une partie de la mère elle-même’  » (p. 281). Dans ce très beau texte, P. Aulagnier défend l’hypothèse que la haine qui cimente la relation père/mère/enfant émane de ce qui est réactivé dans le couple qui s’adresse mutuellement à l’enfant porteur du désir de meurtre concernant « une puissance procréatrice » 152 (p. 271). Cette constellation dans laquelle l’enfant est rendu responsable du dysfonctionnement parental apparaît dans tous les cas que nous considérons dans ce travail (et chez bien d’autres patients que nous avons rencontrés), ce que Rachid nous dit à sa manière : « après moi, les autres sont tous normaux ».

L’intensité et la « qualité » émotionnelle des scènes vues et entendues que Rachid nous confie témoignent du pouvoir désorganisateur de l’excès. Les éléments gardent une formidable empreinte perceptive, plus que représentative, qui nous semble mettre en évidence cette part énigmatique du refoulé originaire et son échec puisque, comme l’écrit J. Laplanche (1987), les traces originaires ne peuvent être métabolisées que si l’adulte qui dispense les soins peut métaboliser les représentants-représentations du nourrisson. Sera donc traumatisant ce qui manifeste la présence de l’inconscient parental vécue comme une intrusion dans le bébé. Ainsi peut-on supposer que les états d’émotions, d’excitations, deviennent des organisateurs de mises en scène fantasmatiques qui ont pour qualité essentiellement un pouvoir explosif : l’oeuf qui explose lors du meurtre de Nora, la mère qui implose alors enceinte.

M. Enriquez (1984) met en évidence un mode de structuration fantasmatique qui renvoie à des noyaux pulsionnels inconscients, non liables, denses et pétrifiés (où sont logés envie, destructivité, rage, désir de mort ou de meurtre...) exerçant pouvoir et fascination mortifère, et ceci très précisément parce qu’ils privilégient « la mort et la destruction du corps dans la représentation de la mise en scène originaire » (p. 101). Elle en témoigne les enjeux, du côté négatif, le sujet articulant son origine sous le signe de la mort ce qu’il mettra à l’épreuve sous le désir destructeur et mégalomaniaque de l’auto-engendrement. Cette fascination du mortifère sera l’agent d’un principe de causalité (le « pourquoi » faisant toujours défaut) qui s’exercera, avant tout et se déploiera comme un « noyau dur ». A ceci nous pouvons ajouter que dans « l’actualisation addictive » du trauma, le lien à l’objet remplit la « cause externe » parce qu’au plus profond, le sujet en est exclu, confronté alors à l’exclusion interne d’une partie de soi qui réussi à franchir la barrière du refoulement originaire dans les passages à l’acte les plus dramatiques engendrant un frisson d’effroi toujours méconnaissable. De cette quête inintelligible, nous en avons rendu une première évidence, à savoir une symptomatologie de l’excès se doublant ici d’une préoccupation causale.

Notes
152.

La reconnaissance de l’enfant réactive les premières relations du père et de la mère à leurs propres parents. L’enfant est alors porté par une réplique du drame oedipien, ou plus justement de ce qui s’est joué dans ce secteur dans un fonctionnement traumatique : un premier père, une première mère usurpe les répliques du drame oedipien, nous dit P. Aulagnier, le fait de devenir un père, une mère réactive un désir de mort concernant le(s) parent(s).