B/ Analyse planche par planche

Planche I

L’interprétation de la planche montre une suite des modes d’appréhension D-Gbl. La succession peut servir à plusieurs fins. Nous ne pouvons lui donner une valeur interprétative qu’en englobant les associations de déterminants et les contenus référentiels.

Une première découpe centrale, évoque un objet inanimé. Puis la centration sur la symétrie offre une régression à l’époque de l’enfance : « comme quand on dessine , quand on est petit ». Le caractère difforme du sapin, renvoyé pour une part à l’immaturité des dessins de l’enfance, est ensuite ordonné à l’axe de symétrie « ils sont difformes parce qu’ils ne sont pas symétriques ». Cette manoeuvre prend une double signification défensive. Nous pouvons en dégager la trace d’une défense narcissique qui consiste à souligner et à nier l’aspect de la relation spéculaire. Dans ce contexte anaclitique, le recours à l’étayage (axe médian comme appui) s’interprète comme une tentative de rassemblement dont le sujet se défend. D’autre part, la non-reconnaissance de la symétrie évoque le déni (de la différence).

Deux réponses emboîtent pour ainsi dire des contenus humains : dans un premier temps, c’est le corps d’une femme sans tête (réponse 3). Une tête sans corps (asexuée) apparaît ensuite (réponse 4). La valeur de l’estompage lié au contenu féminin rappelle l’importance des contacts sensoriels dans l’établissement d’une enveloppe corporelle ici partielle. L’estompage, dans son association au contenu, souligne le manque d’intégration de la sensorialité primitive. Dès lors « la fourrure », si elle satisfait l’expression de la sensorialité primaire, met pour ainsi dire à nu la problématique de la castration rattachée au déni de la réalité : la tête absente, porteuse de l’absence du pénis chez la femme, est déplacée et superposée à la présence d’un objet (fourrure) qui permet la satisfaction du désir, l’effacement et l’apaisement de l’angoisse. Cette angoisse nous la retrouvons dans la réponse suivante (clob) en lien avec la tonalité agressive d’un regard qui transperce.

L’expression du regard peut connoter la situation du test dans laquelle l’oeil inquisiteur figure la position du clinicien scrutant son objet. L’investissement du champ visuel, en ces termes, peut aussi traduire l’assujettissement de l’individu au cadre pénitentiaire où tout est porté au voir/être vu. Ce regard « accusateur » trahit sans doute l’impact d’un Surmoi archaïque qui traque sans relâche les faits et gestes (passage à l’acte). Devant cette inquiétude, le repli dans le blanc (Gbl) et l’utilisation d’un objet masquant (de surface) le vécu émotionnel (profond) s’offrent comme moyens de circonscrire l’effet perturbateur. L’intervention défensive est vouée à l’échec puisque le pouvoir du regard se voit ensuite redoublé : « un masque avec quatre yeux, c’est bizarre ».

Toujours dans le blanc une tête de loup apparaît (un loup est aussi un masque couvrant le pourtour des yeux). L’évocation de la nuit comme élément anxiogène donne une impression quasi-fantômatique « il hurle à mort, la nuit ». La thématique met en scène des sensations, des éprouvés envahissants plus qu’une articulation au pôle représentatif (identité de perception). La nuit s’offre ainsi en couverture de camouflage, sujet et objet étant « fondus-confondus » en une seule ombre : « on se cache la nuit, on n’est plus soi ».

Les Fclob, où la forme domine l’évocation anxieuse marquent la lutte et le contrôle de l’angoisse. Cette angoisse, nous la situons dans l’irruption constante d’éprouvés corporels mettant à jour une relation d’emprise autant fuit que recherchée. C’est à travers ce lien paradoxal que l’empreinte de l’objet se manifeste en une combinaison de supports perceptifs : la cloche (bruits), le regard, la fourrure (sensibilité tactile). L’image du loup cristallise sur un mode quasi hallucinatoire l’envahissement de la douleur : « il hurle à mort ». Ce cri (de manque) évoque la défaillance d’une part, de la fonction α (W .-R. Bion) et, d’autre part, de l’hallucinatoire négatif comme structure encadrante (A. Green). Tout porte à croire que, comme se jetant dans la gueule du loup, le sujet réinvestit l’expérience du douloureux « je préfère la nuit ».

Planche II

La réponse couleur (réponse 7) intègre une sensibilité émotive et une adaptation suffisante à la réalité (FC+). Ce n’est qu’après-coup (enquête) que la construction de l’objet est endommagée (« les ailes abîmées »). L’estompage (en cotation additionnelle) traduisant l’effet de transparence, rend compte de la limitation instable objet/environnement.

Une seconde interprétation associe le regard à la perméabilité de l’objet : le regard offre une lecture des intentions profondes, ce qui se traduit en terme d’éprouvés « ça donnent l’impression qu’ils se rejoignent ». Ces fantasmes de fusion s’étayent sur le regard de l’autre pris comme miroir. La réponse 12 reprend ce thème avec un mouvement régressif du couple vers la dyade : « deux personnes ou une personne qui se regardent dans la glace ». L’identification n’est justement pas établie dans une relation objectale différenciée mais conserve une visée narcissique. L’évitement de la rencontre avec l’autre est une modalité défensive qui vise à neutraliser les échanges pulsionnels. Seuls s’expriment les mouvements de la libido narcissique : K réponse 12, kp réponse 8. L’emploie du D0 à cette dernière souligne le mécanisme défensif. Il empêche l’intrusion d’une fantaisie inacceptable en évitant le contact avec un affect perturbateur. Les pulsions agressives sont ainsi balayées de la représentation.

Les réponses 8 et 9 tentent une approche du règne humain (Hd) mais dans un aspect partiel de la relation. Ces réponses voilent des fantasmes symbiotiques qui s’instaurent dans la répétition (« des mains », « des pieds ») au détriment d’une bonne qualité formelle (F-).

Les réponses 10 et 11 pourraient traduire la volonté de mettre de la distance avec l’objet. La figuration spatiale (estompage de perspective) montre le décollage entre les aspirations du sujet et sa position effective dévalorisée par ses exigences idéales. Le « très long bec » de l’oiseau figure le besoin de perfection que nous pouvons envisager en terme de Moi-idéal. L’accrochage au blanc (Dbl) dans ce contexte serait sous le signe de fantasmes d’auto-engendrement. En effet l’inacceptabilité de la rencontre dévoile le risque de la dépendance où le manque et la perte entrent au service de la blessure narcissique. Les mouvements centripètes (du regard) véhiculent la toute-puissance des idéaux. Face à l’angoisse de séparation, les fantasmes narcissiques d’auto-engendrement instituent l’origine dans une position d’autonomie.

Planche III

Le sujet donne de nombreuses interprétations avec des réponses se rapportant principalement à des découpes D. La seule réponse globale (réponse 21) implique la porosité des enveloppes passant par un sentiment de malaise : « c’est étrange, comme si on pouvait voir ses organes en transparence ». La forme de l’objet ne peut se décoller du fond perceptif (Gbl) ce qui immanquablement se rattache à un vécu de vide qu’il est urgent de combler (« avec un vide au milieu »). Ce vide, s’il marque la transparence des enveloppes (accrochage à l’enveloppe primitive) peut aussi, nous l’avons vu, établir un mauvais fonctionnement de l’hallucination négative comme première métabolisation de l’absence (A. Green).

Une autre catégorie de réponses (13, 15 et 19) apporte dans la diversité des images un éclairage sur le tarissement des courants libidinaux et agressifs. Le sujet se trouve face à lui-même, comme recroquevillé, tel ce foetus (réponse 15). On s’aperçoit que la contention des mouvements agressifs et l’évitement de leur expression révèlent un aspect de la défense narcissique, telles les différentes transformations décrites : « un bébé en formation », « une crabe qui se transforme en scaphandre », « un insecte-monstre ». L’action projetée reste comme figée, contenue dans l’objet allant jusqu’à entacher la bonne délimitation (F-, réponse 19).

L’apparition de détails oligophréniques (réponses 14 et 22) se conçoit dans cette même dynamique. Les « deux têtes de noirs », la partie prenant valeur du tout (Hd pour H), empêchent une traduction des contenus agressifs qui sont néanmoins traités à l’enquête en se dégageant du support projectif : « ça (pulsion) me rappelle des souvenirs (- écrans) d’aide humanitaire où les noirs avaient très faim, je me demande si ce n’est pas un peu raciste ». Le contexte condense une dépendance orale violemment combattue. Le thème du racisme comme mise à mort de la différence exprime le besoin excessif de contrôler l’objet.

La seule représentation humaine entière n’est pas liée à un élément kinesthésique. Sa description s’apparente à une mise en tableau où certaines caractéristiques de la féminité reposent sur une idéalisation qui vient embellir le percept : « talons hauts, forte poitrine, mince ». L’idéalisation concerne l’exaltation de l’objet amené à sa perfection. M. Klein précise que ce processus recouvre obligatoirement des pulsions destructrices contre lesquelles lutte le sujet. Cette mesure défensive implique un clivage de l’objet : un bon objet idéalisé omniprésent et toujours plein/un mauvais objet persécuteur. Dans cette figure, le D0 s’impose comme une opération visant à écarter les critères sexués inféodés à une identité idéale. Notons que l’étymologie du mot sexe, vient de secare, de sexion qui désigne la coupure qui sépare les deux sexes.

Enfin, l’image de l’hippocampe (réponse 16) peut renvoyer au mythe de l’androgynie primitive dont S. Freud se sert pour introduire le narcissisme. Le mâle hippocampe possède en effet une poche incubatrice

Planche IV

La rencontre avec la planche fait émerger une réponse directement en lien avec la détérioration de l’enveloppe de l’objet. Le détail oligophrénique, comme premier accès à la représentation, traduit une fragmentation de l’objet qui ne peut être appréhendé dans sa globalité. Les deux modes d’appréhension globale de la planche font d’ailleurs émerger soit une mauvaise formalisation du matériel (F-, réponse 25), soit des éprouvés d’angoisse (Fclob, réponse 29).

La réponse 25 campe, en apparence, une représentation humaine, qui, lorsque l’on s’en rapproche, devient un emboîtement de contenus. De cette manière, la représentation humaine bascule dans un monde étrange, inhabité, organisé par des juxtapositions d’éléments hétérogènes : « sa tête est étrange, elle ressemble à trois têtes d’écureuil, deux de profil et une de face ». L’évocation de la tête comme une image à trois dimensions nous semble proche des images produites par holographie (méthode photographique utilisant la superposition de faisceaux de laser). L’hologramme est cette image à trois dimensions produite par cette technique. Ce qui importe, c’est la propriété de l’hologramme : l’image peut être brisée ou coupée, elle ne demeure jamais atteinte et reste entière. Ainsi la tête rassemble ses éléments : la symétrie est là un moyen de restituer l’image dans son entier, chaque partie valant pour un tout.

D’autre part cette tête d’écureuil est superposée à un corps ne lui appartenant pas (G contaminé : G/Dd). La synthèse du percept génère un télescopage absurde de deux perceptions partielles (homme - écureuil). Cet « indécodable » de la « représentation corporelle » peut traduire la manière dont l’archaïque s’incarne dans le corps tout entier. La représentation du corps implique un corps pour deux (une psyché pour deux) que J. Mc Dougall désigne comme « l’être manquant de sa moitié ».

La dernière réponse réactualise la faille et l’altération de l’enveloppe psychique : l’homme est ouvert en deux et l’on perçoit encore les traces, l’empreinte, de l’objet blessant. L’image implique la peau (comme premier réceptacle sensoriel), le corps comme lieu d’une lutte pour la survie. Ce corps se scinde en deux et dénonce l’hostilité des liens primaires à l’objet. Le vécu d’impuissance transmet cette détresse primaire qui n’a pu être bordée, limitée : « c’est assez horrible, assez choquant, ça fait peur ». Ce genre de contexte nous semble l’illustration typique de ce que D. Anzieu (1985) entend par un Moi-peau confronté au clivage d’une imago maternelle « promesse de vie et menace de mort ». Il souligne que le clivage de cette imago va de pair avec le clivage du Moi psychique et du Moi corporel.

Une autre construction (réponse 26) met en image une peau se vidant (à l’enquête) de son contenu. Ce type de réponse nous semble proche de l’organisation du signifiant formel décrite par D. Anzieu. En effet la représentation implique le changement d’un espace-corps subissant une modification irréversible. Cette transformation s’opérerait selon la première catégorie des signifiants formels (« une peau s’aplatit et se vide de son contenu »). Cette distorsion des enveloppes psychiques marque une étape dans la compréhension et la construction des traumatismes précoces.

Planche V

Un bon objet rassurant, délimité, apparaît d’emblée pour combler le désagrément subi à la planche précédente. Le temps de latence en est réduit à sa plus simple expression !

Une seconde réponse, présentant toujours une bonne formalisation rattachée à l’appréhension globale du stimulus, détermine l’usage du narcissisme qui consiste en une recherche de colmatage : « deux oiseaux qui sont collés ventre à ventre ». L’aspect de la relation spéculaire a pour effet de tenir à l’écart le conflit pulsionnel. Comme nous l’avons vu avec les têtes d’écureuil (réponse 25), les deux profils d’oiseaux s’anastomosent ici en une représentation unique dédoublée et identique. Nous pouvons envisager la réponse dans la thématique de la complétude intemporelle.

Le noir (réponse 32) est un vécu, un ressenti envahissant qui n’arrive pas à trouver un cadre délimitant (clob). Il est principalement renvoyé aux émois de la Planche IV. Cette conduite traduirait une mesure défensive selon laquelle le sujet tente de sauvegarder la planche investie comme un bon objet, le mauvais (persécuteur) étant projeté en dehors du contexte. « La gueule de loup » qui apparaît ensuite corrobore notre hypothèse : le sujet renverse la planche et ne se risque plus à un mode d’appréhension globale (D). Le loup (tel l’animal qui hurle à mort la nuit, Planche I, réponse 6) représente une menace de dévoration, d’engloutissement. Ce qui est projeté au dehors (le cadre de la planche figure une limite et un cadre pour les pensées) revient du dedans marquant la faillite du système pare-excitations.

Planche VI

La peau tannée apparaît dans le contexte d’un objet mort (Adév). La bonne formalisation attachée à un estompage de texture (FE+) joue un rôle de contenant, de limite des expériences sensorielles. L’effet de peau plissée donne une configuration spatiale de l’objet associée au toucher.

Le grand nez (réponse 35) évoque la dimension phallique qui demeure idéalisée : « Cyrano de Bergerac ». Cette image donne à voir l’aspect proéminent d’un appendice emblématique balayant les angoisses de castration. L’appel au contexte culturel assure la permanence de l’indice viril. Notons qu’une fois encore la partie porte le tout, Cyrano n’étant rien (apparemment) sans son nez. Si l’objet est magnifié c’est bien parce que la menace est de le perdre (« un profil pas joli »). Ce développement narcissique serait sous-tendu par un « soi-grandiose » (H. Kohut) dans lequel la recherche de satisfaction éteint la relation à l’autre.

Les crochets de l’animal constituent un indices de relation d’emprise. Ils sont la projection d’un besoin de contrôle sur l’objet. Cette image révèle en même temps la manière dont le sujet s’est senti sous l’emprise de l’objet. L’animal n’est pas identifiable, seules les traces de la relation éprouvée perdurent.

La « vue par satellite » induit un changement de point de vue, une mise à distance, marquée par un estompage de perspective. La description d’un paysage d’aspect lunaire (cratères, lacs...), sans vie ni chaleur renvoie à l’investissement des premiers contacts dans leur polarité régressive. A la mesure du vide affectif, la production balaye les mouvements libidinaux et agressifs.

La réponse qui suit réactive l’expérience sensorielle. On y découvre une femme serrée dans ses vêtements, les cheveux épais. La localisation de l’image féminine (D2) fait généralement émerger des réponses d’ordre sexuel (pénis en érection). Nous pensons que si la réponse est liée au refoulement de contenus sexuels, c’est bien parce que la sexualité suppose la reconnaissance d’un manque qui se dialectisera ensuite avec la problématique du désir. La femme « avec des hanches larges » semble traversée par une imago maternelle condensant les caractéristiques essentielles de la relation narcissique. Rachid choisira cette planche pour désigner la sphère maternelle : « ma mère prend beaucoup de place » et puis « ma mère c’est un robot » telle cette terre aride que nous observons, réponse 37. L’imago maternelle s’inscrit de manière conflictuelle : elle exige pour une part le bannissement de la vie affective et elle préserve d’autre part le sujet du manque.

Planche VII

La planche est située dans un même contexte. Elle est choisie en lien à une représentation maternelle : « parce qu’elle est effacée, y’a pas de couleur, ni vraiment de forme ». La sphère maternelle est synonyme d’empêchement à la vie affective. Ce que décrit Rachid en terme de sensations nous semble proche de l’approche d’A. Green concernant « la mère morte ». L’auteur souligne les conséquences d’une mère psychiquement morte dans la relation au jeune enfant, à savoir l’édification d’un « noyau froid » qui est l’identification primaire à l’objet perdu (pour ne pas le perdre totalement). C’est sous cet angle que nous analysons le rétrécissement de l’image féminine qui recouvre l’image maternelle (réponse 41). La localisation fait intervenir le blanc (Ddbl) et l’axe médian comme zone charnière où se rattache l’expression de la dépendance.

Si les deux autres productions sont marquées par une formalisation acceptable et un bon ancrage dans la réalité (F+), les satisfactions pulsionnelles et affectives demeurent gelées. Notons que la planche est d’emblée interprétée en position inversée ( message URL FIG01.gif), ce qui peut être l’expression d’une conduite d’opposition visant la maîtrise de l’objet. L’appréhension globale du matériel (comme indice de contrôle) n’est pas risquée.

Planche VIII

Une première tentative d’élaboration échoue. Le sujet ne parvient pas à délimiter et identifier les stimulus de façon suffisamment stable et continue dans le temps. La volonté de formaliser le percept entraîne la déformation voire la destruction de la forme alors ressentie comme une transformation subie et irréversible « quelque chose qui bouge ... quelque chose qui va se transformer ». Le recours à une norme extérieure (« comme dans le magazine Thalassa ») opère selon le besoin d’une mise en sens pour l’appareil psychique. Le mouvement régressif se produit du pôle perceptif au pôle moteur. Cette régression topique est donc accompagnée de sensations kinesthésiques (ou images proprioceptives) proches de la seconde catégorie des signifiants formels décrits par D. Anzieu. Nous pouvons avancer, à la lumière des commentaires observés à la planche suivante (« les mélanges de couleurs ont l’air tristes, mais les couleurs sont jolies ») que cette réponse kinesthésique non formalisable reste induite par l’effet sidératif du « choc au mélange ».

Le retournement de la planche introduit un glissement de la représentation humaine aussitôt liquéfiée. L’enveloppe corporelle dégradée renvoie aux contours des contenus : « le diaphragme, les épaules... » (réponse 43). La reprise des contenus corporels (réponse 47) est toujours en lien avec la représentation d’un corps distordu marqué par la souffrance de la séparation : « on l’a coupé en deux et on l’a recollé ». Face à l’impact de la douleur subie (expérience qui nous semble proche du vécu d’agonie primitive) tout se passe comme si le Self devait se couper d’une partie de lui-même pour maintenir un îlot intact. Les transformations successives qui sont présentes dans le test pourraient mettre en scène les mutations topiques au sein du psychisme (dont le clivage du Moi). L’indistinction sexuée (« on ne sait pas si c’est un homme ou une femme ») se rapproche de la représentation de l’androgyne que nous avons déjà évoquée. La réponse animale (réponse 45) reprend, dans un registre plus éloigné les lacunes à figurer l’objet dans un contexte délimité (F-). La perception d’un animal à cheval entre deux règnes congédie les capacités créatrices de l’imaginaire. L’étrange (étranger au Moi) souffre davantage d’une recherche de colmatage à tout prix. Le plastron (réponse 44) peut s’imposer comme indice grandiose, image de perfection idéale.

L’élément sensoriel (C) ne participe d’aucune manière à l’élaboration des réponses. L’analyse du matériel renvoie à l’utilisation de l’objet (partiel) dans un rôle de miroir (réponse 46) ou empêchant la souffrance inhérente à la perte (idéalisation).

Planche IX

Les couleurs sont ressenties mais non intégrées aux réponses. La planche n’est pas appréhendée de façon globale. La visée de l’emprise apparaît très clairement dans les trois premières réponses. Le besoin exagéré de contrôler l’objet se superpose à une mainmise excessive de l’objet sur le sujet. Les réponses sont régies par une agressivité orale : « crochets d’une araignée », « tête de moustique » qui vient pomper le sang, de « gros yeux ». L’apparition d’indices inquiétants voire persécuteurs montre la faiblesse de l’organisation défensive. Les mouvements d’identification projective, décrivant l’intrusion sadique de l’intérieur du corps, suggèrent le danger de la rétorsion. Une dernière réponse tend à pétrifier les mouvements libidinaux et pulsionnels : l’image du buste (robot/Terminator) empêche l’expression du registre humain ici immobile comme sans vie.

La planche est choisie en relation à l’univers paternel : « c’est assez flou, des mélanges, un sentiment de puissance ». L’appel au père incarnant la puissance pourrait constituer le besoin d’échapper à une imago maternelle dominatrice. Si l’image du Terminator en tant que défenseur peut être associée à une représentation paternelle, n’oublions pas que Rachid parlait de sa mère comme un robot qui prenait beaucoup de place (choix Planche VI). L’évocation d’objets perçus dans leur toute-puissance nous autorise à penser l’intrication imagoïque père/mère confondus. N’est-ce pas ce que peuvent évoquer l’attrait et la sidération face au mélange (de couleurs) ?

Planche X

La couleur et l’éparpillement de la planche est ressentie dans une ambiance de fête. La situation de rupture est intégrée à l’enquête : « c’est le bouquet final ». La tonalité émotionnelle fortement investie se rapproche, après-coup, d’images acoustiques : « c’est plein de vie et de bruits ». Les bruits évoqués peuvent autant exprimer le besoin d’être baigné dans une enveloppe sonore, que le désagrément causé.

Le retour du regard (réponse 59) associé à un indice pulsionnel (kp) ne renvoie pas à une mise en scène conflictuelle mais à l’usage anobjectal du narcissisme : le regard qui regarde est lui-même observé. L’aspect spéculaire de la relation s’impose.

L’image idéale d’Icare est proposée comme l’équivalent d’une représentation humaine. Un bref détours vers la mythologie s’impose154. Icare et son père (Dédale) furent enfermés dans le labyrinthe en représailles d’avoir enseigné à Ariane le moyen de retrouver son chemin dans ce lieu mortifère. La légende dit que Dédale eût l’idée de fabriquer pour lui et son fils des ailes en cire afin de sortir du labyrinthe. Dédale recommanda alors à celui-ci de ne pas voler trop bas ni de s’élever trop haut. N’écoutant pas les conseils de son père, Icare s’approcha si près du soleil que la cire fondit précipitant l’imprudent dans la mer. Cette version du mythe offre une formidable métaphore des aspects essentiels, chez le toxicomane, de l’utilisation de l’objet anaclitique (ou prothétique). Les ailes, porteuses de survie, sont détournées de leur utilisation. Elles sont désormais l’instrument qui permet d’atteindre une satisfaction absolue. Les recommandations de Dédale traduisent le bon fonctionnement de la décharge pulsionnelle « ni trop haut, ni trop bas ». Nous associons le trajet d’Icare aux mouvements des excitations opérant dans la dynamique du toxicomane. La fascination à l’égard d’une satisfaction idéale (le soleil ou le « flash ») conduit à l’extinction totale de l’excitation, au non-vivant. Ces changements d’états (entre vie et mort) semblent décrire une courbe sinusoïdale. D’autre part si le sensoriel est mis en avant (le voir), il fait l’objet d’un aveuglement rendant insensible à toute autre stimulation (les recommandations de Dédale). Si nous revenons à l’analyse du protocole (réponse 60), nous observons que la représentation féminine se superpose à l’image d’Icare : « mais c’est bizarre, c’est un corps de femme ». L’attachement au féminin est sans doute associé à une position passive face à l’appel de la satisfaction. Une seconde hypothèse nous amène à considérer la superposition féminin/masculin (soleil/mer dans le mythe) comme l’emboîtement des imagos parentales. L’imago paternelle insatisfaisante (car sous tendue par des thèmes d’impuissance) met à jour une figure idéale, hors d’atteinte. Cette image idéale traverse la sphère maternelle (imago maternelle) qui fonctionne comme une « clarté éblouissante ». D’autre part nous resterons attentif à la succession particulière des contenus selon une oscillation féminin/masculin (« moustaches » ou « trompes » perçues dans la même découpe, puis « soutien-gorge » et « amygdales ») qui s’organise, en dernière réponse, dans une superposition indifférenciée homme/femme : « Icare... mais c’est bizarre, c’est un corps de femme ».

Notes
154.

Cf. Grimal P., Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Paris, PUF, 13ème édition, 1996, p. 224.